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Bruno Faucher, Intuitu Novae : "La manière d’écrire la stratégie doit produire l’énergie du changement"




Vendredi 22 Septembre 2017




Diplômé d’HEC, vous choisissez d’exercer vos talents dans le Marketing pour le leader des produits électroniques SONY, en France puis au niveau européen. Que vous ont appris ces années de management opérationnel ?

Bruno Faucher, Intuitu Novae
Bruno Faucher, Intuitu Novae
Après m’être intéressé à l’édition, j’ai rejoint Sony en 1990, et contribué entre autres au lancement du premier livre électronique en 1992. Ces années de responsabilités opérationnelles m’ont beaucoup appris : gérer un compte d’exploitation, les lancements de produits, les conditions de vente, les achats, les promotions... A partir de 1994 mon passage à la Direction marketing Européenne pour les produits audio portables m’a donné la responsabilité de mettre en cohérence les différentes stratégies nationales et de jouer un rôle plus central dans le développement et la stratégie de lancement des nouveaux produits. Ces années m’ont familiarisé avec le fonctionnement d’une grande société internationale et multi-culturelle, dans un environnement technologique en constante évolution. J’y ai découvert l’importance de combiner une vision de long terme et une grande réactivité aux évolutions du marché. Et aussi la disruption numérique, qui a frappé très tôt le secteur de l’Electronique Grand Public. 

Vous rentrez chez McKinsey en 1998. Après 8 ans dans l’industrie, expliquez-nous votre choix du Conseil en Stratégie, plus souvent choisi en début de carrière par vos camarades d’Ecole ?

Chez Sony, j’ai développé un intérêt très fort pour l’innovation et la stratégie, en particulier la convergence entre l’innovation technologique et l’évolution des modes de vie et des comportements. Après tout, c’est de cette convergence qu’est né le Walkman.

Le conseil en stratégie était pour moi une façon de faire plus, et de manière plus exigeante, des choses que j’aimais faire : projection dans l’avenir, élaboration de scénarios, évaluation d’options techniques, analyse de marché, interaction avec de nombreuses fonctions dans l’entreprise… C’était aussi l’occasion de me trouver en situation d’apprentissage d’une posture nouvelle, et de découvrir une beaucoup plus grande diversité d’industries, d’entreprises, de gens et de problématiques.

Quels enseignements de ce parcours vous sont utiles aujourd’hui ?

En premier lieu, j’ai compris que le métier de conseil ne s’improvise pas. Il ne suffit pas d’être un bon opérationnel pour être un bon consultant. Mes premières années de conseil m’ont appris à entrer dans des sujets ambigus, mal définis, pour lesquels la première valeur ajoutée est dans la clarification de la question et des enjeux. Le conseil permet aussi de se constituer une « boîte à outils » précieuse : bien circonscrire une question, structurer et mener des analyses avec rigueur, définir un plan d’étude, construire et évaluer des scénarios, articuler ses communications autour des messages clefs, etc.

Mes années chez McKinsey ont été l’occasion d’explorer une très grande variété d’industries tant en matière de produits (équipement, alimentaire, accessoires, mode, parfums et cosmétiques…), que de services (immobilier, construction, soins à la personne, services aux entreprises, entretien auto, commerce…).

Mes projets m’ont aussi amené à travailler dans de nombreuses fonctions : vente et marketing, mais aussi supply chain & logistique, etc. ce qui m’a permis d’acquérir une diversité de vision indispensable pour appréhender les trois composantes de tout business model : la « value proposition », ce que vous offrez à votre client et qu’il vous achète, ; la « value delivery », ou la manière dont vous organisez votre production, votre distribution, vos services de façon cohérente avec la proposition de valeur ; et la « value extraction », ou comment vous rendez votre activité rentable et pérenne.

Comment ce passage dans le conseil en stratégie a-t-il influencé votre façon de travailler ?

Je crois que j’y ai d’abord expérimenté intensément ce que j’appelle la « mise en intelligence collective ». Trouver des solutions créatives et pertinentes à des problèmes complexes suppose de travailler collectivement, de confronter des hypothèses, d’intégrer une variété de points de vue. Pour cela, il est nécessaire de faire un travail de « domestication des egos », qui est une condition préalable à la co-construction et à l’engagement collectif.

J’ai aussi appris que des changements de grande ampleur sont possibles dans l’entreprise, en s’appuyant sur les leviers adéquats : vision ambitieuse et partagée, principes de management clairs, conduite de pilotes et mesure des résultats, engagement de la hiérarchie, alignement des indicateurs, etc. … La réussite exige néanmoins de passer du temps « sur le terrain », avec les équipes de ses clients. Cela a été pour moi une introduction au travail de coaching stratégique que je fais aujourd’hui.

A côté de l’intelligence collective, j’ai aussi réalisé l’importance de la personnalité d’un dirigeant, de son degré d’ouverture, sa capacité à mettre son ego de côté pour optimiser le fonctionnement collectif, mais aussi de sa capacité à décider. Il y a toujours beaucoup de « jeux » autour d’un dirigeant, dont il ou elle est plus ou moins conscient. C’est pourquoi je pense que dans la formation d’un dirigeant, l’approfondissement de la connaissance de soi est une nécessité, autant que la capacité à lire l’environnement et anticiper son évolution.

Vous avez une vision singulière de votre action pour vos clients. Pourquoi par exemple, vous être formé au coaching chez Transformance Pro, alors que vous possédiez déjà une quinzaine d’années d’accompagnement et de conseil de Direction Générale ?

Tout au long de mon parcours, j’ai constaté une chose : il y a une différence entre la conviction d’aller dans la bonne direction et l’énergie de la mise en œuvre. Si le travail d’élaboration stratégique est essentiel pour faire émerger des faits pertinents et une vision claire sur l’environnement, il y a parfois des craintes qui ont du mal à y être exprimées car elles ne trouvent pas de place dans le cadre de l’analyse stratégique.

Pourtant ces craintes sont rationnelles et réapparaissent souvent une fois que le consultant est parti. Il est fréquent qu’on demande alors au DRH de « gérer le changement », c’est-à-dire essentiellement de vaincre des résistances.
 
Avec mes clients, je souhaite prendre en considération cette dimension dès le début. Pour cela, il faut mettre à jour les freins et peurs éventuels, mais aussi les aspirations et les valeurs sur lesquelles on peut construire et installer l’énergie du changement. Parfois, des confrontations sont nécessaires quand une personne ou une équipe entretiennent des représentations qui les limitent dans leur capacité de projection, ou dans la réalisation de leur ambition.

En ce sens, ce que je crois est que l’approche de « conseil » et celle du coach sont plus efficaces quand elles sont conjointes. La capacité à « changer de casquette » de manière délibérée permet d ‘anticiper et de surmonter des obstacles qui feraient échouer une vision moins intégrative de la transformation.
 
Il m’arrive aussi d’être frappé par une forme de sécheresse dans l’expression de la vision stratégique de certains dirigeants.  Ce n’est pas surprenant, car cette communication est souvent écrite en premier lieu à destination des analystes financiers. Elle est donc très bien structurée, précise, quantitative, mais aussi souvent désincarnée et peu mobilisatrice, quand vous la recevez en tant que client, ou a fortiori en tant que manager ou employé. Quand un dirigeant la reprend pour sa communication interne, ce que ressentent les équipes est souvent un déficit de sens, et l’énergie collective en pâtit. Là encore, c’est souvent à la DRH que l’on demande de venir compenser… Pour éviter cela il est clé d’être clair sur l’articulation entre différentes dimensions : la vision, la vocation, l’ambition, la stratégie, les valeurs, les principes de management… et ensuite d’articuler, en associant les personnes concernées, ces différents niveaux de production de sens, pour apporter à chaque public les éléments les plus mobilisateurs.
 
Dans un univers en mouvement constant, le CEO doit être un « Chief Energy Officer ». Cela suppose de s’occuper non seulement de stratégie, mais aussi de la vision partagée, des valeurs, des principes de management. 

Les grands cabinets de la place n’offrent pas ces services ?

Dans les grands cabinets de conseil, même les plus seniors sont peu ou pas formés aux outils du coaching et de l’accompagnement des dirigeants. C’est d’ailleurs ce qui à mon avis explique le fort développement du coaching de dirigeants depuis 20 ou 30 ans.

Or c’est dans les mêmes moments charnières que les dirigeants et leurs équipes ont besoin d’un accompagnement dans la réflexion stratégique et dans leur fonctionnement collectif.

Les grands cabinets de conseil, qui l’ont bien compris, cherchent la réponse : certains font accompagner leurs seniors par des coaches qui leur transmettent des éléments de savoir-faire, d’autres investissent en croissance externe dans des cabinets spécialisés… mais l’intégration des deux approches ne peut se faire chez la même personne que si elle consacre un temps important à sa formation et à sa pratique, ce qui est difficile à réaliser dans le modèle économique des grands cabinets.

Pensez-vous occuper une niche dans le conseil en stratégie, ou plutôt incarner son futur ?

Ce qui est évident, c’est que la demande de coaching de dirigeants et d’équipes de direction ne fait que croître depuis une vingtaine d’années, qu’elle se diversifie, et qu’elle débouche sur une prise de conscience élargie des enjeux humains dans l’entreprise.

On voit que les grands cabinets de stratégie cherchent tous à intégrer cette dimension, comme je le disais plus tôt. C’est vrai aussi de certains grands cabinets de recrutement de dirigeants, qui cherchent à se positionner sur l’accompagnement d’équipes dirigeantes avec des approches moins « normatives » que par le passé, et plus en lien avec la stratégie. Je vois aussi de plus en plus d’anciens dirigeants d’entreprise ou consultants qui choisissent de se tourner vers les métiers du coaching et du développement de l’intelligence collective. Il me semble que ce métier requiert d’établir avec les dirigeants de réelles relations de confiance, bâties sur l’intuitu personae.

La révolution numérique se traduit par la prise en charge des travaux répétitifs ou analytiques par des machines, et par la transparence de l’information. A mon avis, ces deux facteurs vont continuer à remettre en cause les paradigmes traditionnels du management, et à faire monter le besoin d’intelligence collective pour tous. Je crois donc que ce métier va continuer à se développer et se réinventer.

La rédaction




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