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La biodiversité, une question de risque stratégique - Entretien avec Sylvain Boucherand




Lundi 7 Avril 2014


B&L Evolution, bureau d’étude spécialiste du développement durable, a publié récemment une étude poussée des stratégies d’entreprise du CAC 40 et particulièrement de leur prise en compte de la biodiversité. Loin d’avoir tous également pris la mesure de l’importance de ce concept, les fleurons de l’économie française ont en commun de sous-estimer assez largement l’intérêt de la biodiversité pour l’activité économique. Sylvain Boucherand, ingénieur chez B&L Evolution commente ce constat.



Quels sont les enjeux de la mise en place d’une stratégie biodiversité pour une entreprise ? Constitue-t-elle seulement un outil de communication ?


Sylvain Boucherand - B&L Evolution
Sylvain Boucherand - B&L Evolution
Sylvain Boucherand : Pour une entreprise, les enjeux liés à la mise en place d’une stratégie biodiversité se situent à plusieurs niveaux. L’entreprise devra mobiliser l’ensemble de ses parties prenantes : de sa direction à l’ensemble de ses collaborateurs, en passant par son service de recherche & développement, ses fournisseurs directs et indirects ainsi que ses clients et partenaires. Elle devra également arriver à faire le pari du temps long et ne plus se laisser enfermer dans le très court terme. Enfin il sera nécessaire de changer de regard sur la biodiversité pour comprendre que d’une part ce n’est pas une contrainte, mais une source d’innovations et d’opportunités. D’autre part, il faut comprendre que l’ensemble des activités dépend du bon fonctionnement des écosystèmes et qu’il s’agit bien d’une démarche stratégique de gestion de risque.

La communication ne doit pas être un but en soi. Elle est la « cerise sur le gâteau », elle doit être vue comme une récompense à un changement profond du fonctionnement de l’entreprise. Mais il est vrai qu’aujourd’hui, on le voit dans l’étude, la biodiversité se cantonne encore à être simplement un élément fort de communication pour l’entreprise.

L’intégration de la biodiversité dans sa politique environnementale implique-t-elle des conséquences économiques pour l’entreprise ?

Bien sûr ! Ça lui permet de s’inscrire dans un modèle durable. N’est-ce pas la volonté de tout dirigeant d’entreprise ? Intégrer la biodiversité, au-delà de la politique environnementale, dans sa stratégie permet d’identifier des risques majeurs pour l’entreprise en lien avec les écosystèmes naturels : accès aux ressources et matières premières, aux financements, à de nouveaux marchés, image-réputation, règlementation… Il semble raisonnable d’investir aujourd’hui un peu pour éviter d’avoir à supporter des surcouts plus importants demain si ces risques ne sont pas pris en compte.

Dans quelle mesure une entreprise doit-elle investir pour mettre en place une politique biodiversité viable ?

Je ne pense pas que le montant d’investissement soit le bon indicateur pour définir une bonne ou une mauvaise politique biodiversité. Souvent d’ailleurs, ça ne coute pas plus cher de « bien faire ». Le plus important c’est de bien comprendre les enjeux et d’oser être ambitieux pour transformer en profondeur son business model. Tout d’abord il y a la gestion des sites et du foncier possédé par l’entreprise. Puis – et c’est le cœur du sujet – il faut travailler sur l’ensemble de sa chaine et de valeur et du cycle de vie de ses produits et services pour identifier les interdépendances à la biodiversité, les risques et s’orienter vers un modèle compatible avec le fonctionnement des écosystèmes.

En quoi l’ensemble des activités économiques dépend-il de la biodiversité ? Peut-on quantifier certains services rendus par des écosystèmes ?

Toute l’économie dépend de la biodiversité, car nous tirons des bénéfices de services produits pour les écosystèmes. Par exemple, tout ce que nous mangeons et buvons est issu de la biodiversité, les tissus, les constructions en bois, le papier, l’eau « propre », la plupart des cosmétiques et médicaments sont issus de ce que l’on appelle les services écosystémiques « d’approvisionnement » et de « régulation » ; c’est-à-dire le climat, la qualité de l’air, la pollinisation, etc.. Autre exemple, l’ensemble de l’industrie touristique dépend entre autres des services dits « culturels » dont fait partie la beauté des paysages. Et lorsqu’on regarde de près, même les combustibles fossiles ou le calcaire, utilisé dans les constructions, proviennent de la transformation de la biodiversité du passé.

Ces services peuvent être mesurés, c’est relativement facile dans le cadre des services « d’approvisionnement » - cela s’exprime en tonnes de bois, de coton, de maïs, de viande – et un peu plus complexe pour d’autres. De nombreuses recherches scientifiques sont en cours sur ces sujets. Lorsque j’interviens en entreprise, c’est d’ailleurs par cette étape que l’on commence pour montrer de manière tangible l’intérêt de l’entreprise à se saisir de l’enjeu biodiversité.

N'y a-t-il pas un paradoxe selon vous dans la politique environnementale des grands énergéticiens par exemple, régulièrement pointés du doigt pour leur empreinte écologique ?

Aujourd’hui, on parle beaucoup de transition énergétique et on oublie un peu trop souvent que les enjeux sont liés et ne se limitent pas à l’énergie. On ne peut espérer sortir de la crise économique et environnementale si l’on continue à avoir une vision mono-critère et en silo. Ces approches ont à chaque fois conduit à prendre des décisions qui sont des non-sens et qui se retrouvent être au final encore plus néfastes. Il faut systématiquement considérer un enjeu sous un angle économique, social et environnemental. Pour en revenir aux énergéticiens qui sont montrés du doigt, j’aimerais rappeler que ce ne sont pas les seuls à avoir une empreinte écologique importante. Tous les acteurs économiques doivent s’engager. Il n’y a pas de paradoxe, simplement des politiques environnementales qui ne sont pas encore à la hauteur des enjeux.

La Rédaction




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