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Alexandra Demeure
Alexandra Demeure est juriste spécialisée en droit communautaire. Elle est diplômée de la Faculté... En savoir plus sur cet auteur

Le statut des travailleurs frontaliers dans l'Union européenne




Mardi 27 Novembre 2012


La libre circulation des travailleurs s'est imposée comme un droit majeur dérivé de la citoyenneté européenne. Nombreux sont ceux qui passent les frontières pour exercer leur activité professionnelle, sans pour autant déplacer leur résidence dans leur Etat d'emploi. Immigration, droit du travail, sécurité sociale et régime fiscal du travailleur frontalier sont autant d'aspects qui font l'objet d'une réglementation spécifique afin de ne pas désavantager ni le travailleur, ni sa famille ni son employeur.



Qu'est-ce que le travail frontalier ?

L'Union européenne se compose aujourd'hui de 27 Etats membres, auxquels s'ajoutera la Croatie le 1er juillet 2013. Chacun des citoyens européens est libre travailler dans un autre Etat de l'Union européenne (UE) que son Etat d'origine, mais n'a pas pour autant l'obligation de s'y installer et d'y résider. Cette situation est fréquente en Europe continentale, où les Etats partagent leurs frontières avec leurs voisins. Par exemple la France métropolitaine a 6 pays frontaliers: l'Allemagne, Andorre, la Belgique, l'Espagne, l'Italie, le Luxembourg, Monaco, et la Suisse. Il existe donc pour ce seul Etat 12 possibilités de travail dit frontalier.
 
Dès 1971, les autorités communautaires ont fixé un cadre législatif communautaire à cet état de fait :
"Le terme "travailleur frontalier" désigne tout travailleur salarié ou non salarié qui exerce son activité professionnelle sur le territoire d'un État membre et réside sur le territoire d'un autre État membre, où il retourne en principe chaque jour ou au moins une fois par semaine" (1)
 
Chaque pan du droit a ensuite adopté des règles en la matière, dans l'intérêt du ressortissant communautaire.

Le droit de l'immigration : une libre entrée pour les Européens mais un permis d'entrée pour les tiers

Crédit: Freedigitalphotos/Victor Habbick
Crédit: Freedigitalphotos/Victor Habbick
Les citoyens européens bénéficient d'une liberté totale en matière de franchissement des frontières intérieures à l'UE, et, du point de vue de l'immigration, n'ont donc aucune démarche à effectuer pour légaliser leurs franchissements réguliers de frontière.
 
Cela étant, l'UE partage ses frontières extérieures avec de nombreux Etats tiers, et les habitants des communes frontalières de ces Etats tiers peuvent avoir à franchir régulièrement la frontière entre leur Etat et l'UE, pour des raisons sociales, culturelles, familiales ou pour des raisons économiques justifiées. Les Etats tiers n'étant pas soumis au droit communautaire, des accords bilatéraux ont été conclus avec chacun des Etats tiers concernés afin de consolider le cadre juridique communautaire régissant les frontières extérieures.

Par exemple, le travailleur ukrainien se rendant en Pologne quotidiennement pour son travail sera dans une situation de "petit trafic frontalier" (2), à condition que le séjour se fasse dans la zone frontalière (moins de 30 kilomètres de la frontière) et ne dépasse pas 3 mois. S'il est exempté de l'obligation de demander un visa d'entrée (3), il se voit remettre par les autorités polonaises un « permis délivré en vue du franchissement local de la frontière » valable entre 1 et 5 ans et précisant son identité ainsi que la zone frontalière dans laquelle il est autorisé à circuler. De la même manière, les Européens sortant vers un pays tiers, par exemple le ressortissant letton travaillant en Russie, se voient remettre un permis de frontalier en vertu de l'accord bilatéral UE-Etat concerné.

Le droit du travail : une neutralité parfaite

Puisque chaque ressortissant d'un Etat membre de l'UE peut librement exercer son activité professionnelle dans l'Etat membre de son choix, le fait qu'il réside dans un Etat autre que l'Etat de son entreprise n'a aucun impact en matière de droit du travail. Il jouit, comme tous les travailleurs migrants, du principe de non discrimination et de l'égalité de traitement. Il est soumis à la législation de son pays d'emploi en matière de droit du travail et bénéficie des mêmes avantages sociaux et fiscaux que les locaux, notamment en matière de rémunération, licenciement, réintégration professionnelle ou réemploi (4)

Le droit de la sécurité sociale : une double couverture de santé

En matière de sécurité sociale, les règles applicables aux frontaliers sont, sauf pour quelques spécificités, les mêmes que celles appliquées aux travailleurs migrants dans l'UE (travaillant et y installant leur résidence).
Le principe inhérent au droit de la sécurité sociale est que le citoyen est assuré dans le pays où il exerce son activité professionnelle. Dès lors, un citoyen français résidant en France mais travaillant à la frontière belge paiera ses cotisations sociales en Belgique, son employeur versera également les contributions qui lui sont attachées, et la personne sera assurée en Belgique.
 
Néanmoins, les travailleurs frontaliers se voient reconnaître l'accès transfrontalier aux soins de santé, afin de ne pas rencontrer d'obstacle à leur libre circulation et à l'exercice de leurs droits communautaires (5). Par conséquent, s'il fait appel aux soins en Belgique, le travailleur sera remboursé par sa mutualité belge selon la législation belge. De même, s'il bénéficie de soins de santé en France, il sera remboursé par la sécurité sociale française comme s'il y était rattaché. L'Etat de résidence doit servir les prestations pour le compte de l'Etat compétent, dans lequel les cotisations sont payées. Le frontalier est titulaire de deux cartes d'assurance maladie, une pour chaque pays. 
 
Les membres de la famille du travailleur pourront être inscrits à sa charge en Belgique, pour autant qu’ils ne disposent pas de droits personnels et pour autant qu’ils ne puissent pas être inscrits comme personne à charge d’un assuré du régime français.

Afin de mettre en place ce système de couverture transfrontalière, le résident français doit demander à sa caisse d'origine (CPAM en France) le formulaire E104 (attestation concernant la totalisation des périodes d'assurance, d'emploi ou de résidence) et le remettre aux autorités du nouvel Etat de travail. Celles-ci prendront en compte ces périodes, comme si elle avaient été couvertes par leur propre législation, et délivreront le formulaire S1 (inscription en vue de bénéficier de prestations de l'assurance maladie, anciennement E106), qu'il faudra remettre à la caisse du pays de résidence. 

Le droit fiscal : un domaine plus strict

L'Union européenne s'est constituée car les Etats membres ont accepté de transférer des pans de leur souveraineté vers les autorités communautaires. En matière fiscale cependant, ce transfert est délicat puisqu'il touche à un droit régalien séculaire, celui de lever l'impôt.
 
Il n'existe donc pas d'accord communautaire général régissant l'imposition des travailleurs européens frontaliers, mais seulement des conventions bilatérales de double imposition. Celles-ci visent à éviter la double imposition des revenus transnationaux (une fois dans l'Etat membre de travail et une seconde dans l'Etat membre de résidence), qui constituerait un obstacle à la libre circulation. Les règles et critères applicables varient d'un cas à l'autre, pouvant notamment comporter l'imposition du frontalier dans l'Etat de résidence (ex: convention franco-belge de double imposition), dans l'Etat du lieu de travail (ex: convention entre les Pays-Bas et l'Allemagne), ou les deux en même temps (convention entre la Confédération Suisse et l'Allemagne).
 
En sus des éléments traditionnels du travail frontalier, ces conventions imposent par ailleurs au travailleur de résider et travailler dans une "zone frontalière" (définie au cas-par-cas, en général quelques dizaines de kilomètres de part et d'autre de la frontière) pour pouvoir prétendre à ce statut particulier.
 
Ces traités, même s'ils comportent de petites différences, sont uniformisés sur le modèle de convention fiscale de l' Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) pour ce qui est de la double imposition du revenu et du capital. En revanche, pour le cas particulier des frontaliers, si l'OCDE adopte le principe de l'imposition dans l'Etat de travail, les conventions bilatérales des Etats européens attribuent le plus souvent le droit de taxer à l'Etat de résidence.
 
Ces problématiques, si elles sont cruciales pour les intéressés, le sont aussi pour les autorités des deux Etats concernés. En effet, les collectivités locales situées de part et d'autre d'une frontière intérieure de l'UE peuvent voir leur "échapper" des ressources fiscales si l'impôt sur le revenu est perçu par l'Etat voisin. Il importe donc de partager ces ressources via un système de compensation fiscale transfrontalière, en vue de résoudre le déséquilibre entre les charges et les ressources. Les schémas de péréquation fiscale nationaux (permettant par exemple les transferts d'impôts entre les Länder allemands ou la redistribution du financement de l'État parmi les collectivités territoriales françaises) a été transposé au niveau européen par certaines conventions bilatérales pour couvrir le cas des frontaliers. 

Retraite et chômage des frontaliers : un transfert des droits acquis

En cas de cessation involontaire des relations d'emploi, le frontalier peut toucher des allocations chômage, qui seront versées par son Etat de résidence. En effet, même si les cotisations afférentes au soutien des personnes sans emploi ont été versées, pendant la période d'activité, aux autorités du pays d'emploi (par exemple le Luxembourg), c'est l'Etat de résidence (par exemple la France) qui versera les allocations chômage (sauf en cas de chômage partiel, où c'est l'Etat de travail qui verse les allocations).
 
En vertu des accords communautaires, le principe de la totalisation des périodes s'applique et les périodes d'emploi dans l'UE sont reconnues par l'Etat de résidence au moment de la demande. Elles seront prises en compte dans le calcul des allocations, sans distinction de localisation du dernier emploi, et selon les barèmes de l'Etat de résidence. Il faut pour cela demander, au moment du départ, le formulaire U1 qui attestera officiellement des périodes cotisées à l'étranger. L'Etat frontalier, qui a perçu les cotisations chômage du travailleur frontalier, n'aura donc pas à lui verser d'allocation chômage s'il perd un jour son emploi. Ce principe s'appliquant de matière identique des deux côtés de la frontière, il pourra en revanche avoir à verser des allocations à son résidant qui a cotisé plusieurs années à l'étranger en travaillant dans l'Etat voisin.
 
Similairement, les retraites des travailleurs frontaliers sont étudiées en prenant en compte l'ensemble des périodes cotisées, même celles effectuées à l'étranger. Les trimestres sont donc également comptabilisés. En revanche, chaque Etat d'emploi devra être sollicité à l'âge de la retraite, pour reverser aux autorités du pays de résidence la part correspondant à la période d'emploi à l'étranger. Ainsi, et à l'inverse des allocations chômage, la pension cotisée à l'étranger est reversée par l'Etat qui en a perçu les cotisations. Cela est transparent pour l'intéressé, qui doit simplement introduire sa demande de pension auprès de la caisse de pension compétente de son pays de résidence. Celui-ci se charge du transfert des formulaires de liaison en direction des organismes compétents des autres pays concernés.
 
 
(1) Article 1.b Règlement CEE n°1408/71 du 14.06.1971 devenu Article 1.f Règlement CE n°883/2004 du 29.04.2004
(2) Règlement (CE) 1931/2006 du 20 décembre 2006
(3) Règlement (CE) 1932/2006 du Conseil modifiant le règlement (CE) 539/2001
(4) Article 7§2 Règlement (CEE) 1612/68 du 15 octobre 1968
(5) Règlements (CE) 883/2004 et 987/2009 (remplaçant les règlements 1408/71  et 574/72 ), voir plus particulièrement l'article 17 du Règlement 883/2004 





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2ème édition, revue et augmentée