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La crise du sang contaminé en France, retour sur un scandale qui a remis en cause le système sanitaire français




Vendredi 10 Avril 2020


Souvent présentée comme la première crise sanitaire française, c’est en 1983 que débute ce que l’on appelle actuellement « la crise du sang contaminé » : suite à des transfusions de sang ou à la réception de dérivés du sang, des centaines de patients se retrouvent contaminés par le SIDA ou l’Hépatite C, et ont du faire face à un gouvernement incapable de leur venir en aide et de leur fournir des explications. Retour sur la gestion de cette crise par le gouvernement français.



C’est dans les années 1980 que la maladie du SIDA se répand et est présentée comme un danger majeur pour les populations partout dans le monde. Cependant, entre la découverte de cette maladie et sa compréhension, de nombreuses personnes ont été victimes de cette méconnaissance du virus : à l’époque, les conditions de transmission n’étaient pas très claires, et le traitement encore loin. C’est ainsi qu’à partir de 1984 a lieu en France ce que l’on appelle encore aujourd’hui la « crise du sang contaminé ». En 1984, on découvre que le virus peut être désactivé avant une transfusion, tout simplement en le chauffant. Cependant, cette technique n’est pas utilisée dès sa découverte en France, et le Centre National des Transfusions Sanguines (CNTS) continue à effectuer ses transfusions sans mesures de sécurité supplémentaires. De même, dès avril 1985, un test de dépistage fiable est mis sur le marché ; la France le rendra obligatoire seulement à partir d’août 1985, alors même que jusqu’à 1986 une grande partie des prélèvements de sang ont lieu dans les prisons, lieux à haut risque. Du fait de ce manque de réactivité du gouvernement français, plusieurs centaines de personnes vont être contaminées par le VIH entre 1983 et 1987, date des premières plaintes. Ces révélations vont ainsi provoquer ce que l’on considère communément comme la première crise sanitaire française, plaçant au premier rang des coupables, en France, les médecins et le gouvernement, et notamment Laurent Fabius, premier ministre à l’époque, ainsi que sa ministre des affaires sociales Georgina Dufoix et son ministre de la santé Edmond Hervé.
 
On constate de manière générale, sur toute la durée de cette crise, une très faible réactivité du gouvernement, et une prise de décisions très lente. De fait, Jacques Roux, directeur général de la santé à l’époque, publie le 20/6/1983 une circulaire où il suggère d’écarter les personnes potentiellement à risque des dons de sang. Bien que démontrant la connaissance du gouvernement des risques de transmission, cette circulaire reste uniquement informative, une simple recommandation sans aucune obligation, et est ainsi le premier symbole de l’inactivité de l’Etat, alors même que tous les acteurs impliqués ont conscience des risques. On constate le 13 janvier 1984 l’inefficacité de cette circulaire : Mme Ezrati, directrice générale de l’administration pénitentiaire, ordonne ce jour-là d’augmenter les fréquences des prélèvements de sang des détenus. Premier symbole de l’inefficacité de l’Etat lors de cette crise, cet exemple montre à quel point les acteurs de cette crise étaient désorganisés, alors même qu’ils devaient tous faire face à la même crise : au vu du peuple, la santé nationale passe donc après les intérêts économiques des dirigeants ; par cette décision, Mme Ezrati crée donc une première faille dans la communication de l’Etat.

En mai 1985, un rapport confidentiel, qui sera rendu public en 1991, prouve que le CNTS était au courant de la contamination de la totalité de ses lots de sang. Ainsi, le 1er octobre 1985, l’Etat prend enfin la décision de ne plus rembourser le sang non chauffé, prenant en compte, deux ans après, les mesures sanitaires nécessaires. Or, là encore, la décision n’est que poudre aux yeux : aucun rappel des stocks non chauffés et contaminés n’est effectué, et ces stocks sont transfusés aux malades. Enfin, dernier exemple de la lenteur extrême du gouvernement à réagir, alors même que le monde scientifique progresse très rapidement dans la prévention contre le VIH : le délai entre la mise à disposition du test de dépistage, et la décision de Laurent Fabius de rendre le test systématique avant le don de sang : quatre mois durant lesquels les contaminations auraient pu être évitées.

Mais la faible mobilisation de l’Etat autour des mesures sanitaires à prendre n’est pas la seule faille de cette communication de crise plus qu’insuffisante : les premières plaintes contre le CNTS, seul fournisseur de sang en France à cette époque, arrivent dès 1987. Des centaines de victimes et leurs familles dénoncent le travail bâclé du CNTS et de ses médecins, mais aussi des hauts responsables comme le Premier Ministre, le Ministre de la Santé et la Ministre des Affaires Sociales. En réponse à ces plaintes multiples, l’Etat met en place un service d’indemnisation des victimes, tentant ainsi d’étouffer l’affaire. On notera également la très faible présence du président de l’époque, François Mitterrand, dans les déclarations au public, alors même que c’était un scandale d’une ampleur inédite à l’époque. L’absence de déclaration de M. Mitterrand, elle aussi, a été perçue comme un mépris des hauts représentants de l’Etat envers les victimes de cette crise.

Le premier procès contre les responsables a lieu en 1992 : c’est notamment le procès du docteur Garretta, directeur du CNTS au moment des faits, qui écope de quatre ans de prison ferme. Un an plus tôt, L’évènement du Jeudi rendait public le rapport prouvant que dès 1985 le CNTS était au courant de la contamination du sang qu’il détenait : l’institution est donc clairement coupable, mais reste alors une question : qui était au courant ? Lors du procès, les familles des victimes dénoncent l’absence de hauts responsables au box des accusés, certaines de leur connaissance des faits dès 1985. Le second procès sera celui de ces absents, justement : Fabius, Hervé, Dufoix. Les trois ministres sont relaxés, Hervé étant inculpé mais « dispensé de peine ». Ce scandale n’a toutefois pas empêché Laurent Fabius de poursuivre sa carrière politique : il a su gérer son image sur le long terme, après l’échec de la communication de crise initiale.
                 
L’ex Ministre des Affaires sociales Georgina Dufoix déclare, suite à son procès : « Je me sens responsable mais pas coupable ». Une phrase simple, qui pour les victimes restera symbole du manque de considération du Gouvernement, ainsi que de l’injustice qu’ils ressentirent à la suite de la conclusion du procès de 1999. De manière générale, la communication insuffisante et mal menée par le Gouvernement montre à quel point cette crise a été, au départ, sous-estimée, puis mal gérée. Mal gérée d’abord par les responsables, qui ont caché la vérité et ont agi comme si de rien n’était. Mal gérée, aussi, lors des communications nationales, qui se résumaient en recommandations factices, en mesures prises avec énormément de retard, et en annonces mettant en balance la vie de plusieurs centaines de personnes et les enjeux économiques du CNTS. On notera pour finir l’impact que cette crise a eu sur tout le système sanitaire français : en termes de sécurité, d’abord, mais également dans la relation médecin-patient, brisant une partie de la confiance du patient en son médecin en créant un précédent de soigneur devenu empoisonneur. Le sang contaminé a ainsi touché une population dans son ensemble, en plus d’avoir causé la mort de centaines de personnes, et ce scandale est encore aujourd’hui cerclé d’incompréhension de la part de nombreux français.
 
Si vous souhaitez en savoir plus sur cette crise, ou voir quelques déclarations des ministres de l’époque, vous pouvez vous rendre sur ina.fr .

La Rédaction

Dans cet article : gestion de crise, sang contaminé, SIDA



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