Affaire Uramin : l’apocalypse du nucléaire français



Vendredi 3 Mai 2019


Alors que les géants du nucléaire français, EDF et Areva, sont au plus mal, la perspective d’une hausse des tarifs de l’électricité, voire d’un renflouement aux frais du contribuable, se fait de plus en plus nette. Cette issue apparaît d’autant plus injuste qu’une grande partie des difficultés de ces deux entreprises provient d’acquisitions malheureuses, sinon douteuses. L’exemple le plus scandaleux est l’affaire Uramin, dans laquelle les rebondissements se suivent depuis son déclenchement en 2007. Alors, bourde colossale ou arnaque abracadabrantesque ? Retour sur une affaire hors du commun sur fond de corruption politique, d’espionnage financier et d’hommes d’affaires véreux.



2007 - 2011 : Un optimisme discret, béat

Tout commençait pourtant sous les meilleurs auspices : après plusieurs tentatives d’acquisitions invalidées par la puissance publique dans les années 2000, Areva est approchée en 2006 par Uramin, une jeune société détenant de faramineux gisements d’uranium en Afrique et qui espère être rachetée faute de moyens pour les mettre en exploitation. Le cours de l’uranium ne cesse d’augmenter, Areva ne veut pas rater une affaire de plus et engage les démarches pour mener une OPA amicale le plus rapidement possible. Si rapidement que les experts géologues d’Areva ont interdiction de se rendre sur les sites pour les évaluer, au mépris de la rigueur et du bon sens attendus dans cette situation.
 
Accordant une confiance aveugle aux données géologiques fournies par Uramin, la direction d’Areva s’autorise moult déclarations enthousiastes, que résume le communiqué de rachat publié en juin 2007. À cette date, Areva annonce l’acquisition d’Uramin pour 1,8 milliard d’euros, en espérant accroître sa production d’uranium de 18 millions de livres (soit plus de 8000 tonnes) à partir de 2012. L’entreprise ne cache alors pas ses ambitions dans le domaine de la production d’uranium, et la direction convie même des journalistes à son usine au Niger en 2009, sans toutefois faire état des sites nouvellement acquis.
 
Ainsi, sur cette période, Areva est restée assez discrète dans sa communication au grand public sur le sujet Uramin, mais très optimiste vis-à-vis des acteurs spécialisés et sur sa stratégie et ses perspectives en général.

2011 : La débâcle dévoilée

L’élément déclencheur est un article paru dans Paris Match en 2011, qui fait état d’une provision de 426 millions d’euros subrepticement passée dans les comptes d’Areva liée aux actifs d’Uramin. Si l’article fait peu de vagues à l’époque -la firme n’y réagit pas-, la question est posée à Anne Lauvergeon par la commission des finances de l’Assemblée nationale qui l’entend, car son mandat arrive à terme. L’emblématique PDG d’Areva se montre évasive et mal à l’aise. Elle sera évincée quelques mois plus tard, remplacée par Luc Oursel. À partir de là, la gestion de l’information échappe à l’entreprise : pour reconstituer le puzzle, il faut se fier aux déclarations de multiples individus et entités qui jouent les uns contre les autres et à ce titre cachent des informations et adoptent des stratégies de communication différentes.
 
Areva souffre en silence

Jusqu’à aujourd’hui, Areva a évité au maximum toute allusion à Uramin dans sa communication, malgré la situation financière cauchemardesque du groupe. Ainsi, dès sa prise de fonction en 2011, Luc Oursel s’est attaché à noyer l’affaire Uramin dans les difficultés de l’entreprise, s’attardant plus par exemple, sur l’insuffisance de l’autofinancement des investissements et le changement de politique énergétique en Allemagne. Lorsque la question est inévitable, l’entreprise se pose en victime des agissements passés.

De Saifee Durbar à Sébastien de Montessus : la coopération hostile

Certains acteurs au cœur de la transaction ou de ses suites se confient volontiers dans des interviews, cherchant à prouver leur bonne foi. C’est le cas de l’homme d’affaires Saifee Durbar ou de l’ancien directeur des mines d’Areva, Sébastien de Montessus. Si les deux hommes ont livré des éclairages précieux sur Areva et Uramin, il est certain qu’ils en savent plus que ce qu’ils veulent bien dire, et que leur stratégie répond aux conflits qu’ils peuvent avoir avec d’autres acteurs impliqués dans cette affaire. Ainsi, Durbar aurait été la cible d’une tentative d’assassinat et de Montessus a commandité deux enquêtes internes dont l’une porte sur Olivier Fric, le Mari d’Anne Lauvergeon.
 
Lauvergeon, Balkany, Dattels ou le bal des marionnettistes

Enfin, d’autres personnes ont eu un rôle bien plus trouble et agissent depuis l’ombre. Au cœur de la tempête, Anne Lauvergeon a conservé une constance remarquable dans ses positions depuis 2011 : l’investissement était parfaitement justifié et s’inscrivait absolument dans la stratégie d’Areva de l’époque. Implicitement, elle se place dans le camp des victimes. Le plus souvent,

elle ne s’exprime pas directement, mais par l’intermédiaire de son avocat et agit avec discrétion. Elle est ainsi à l’origine de pressions sur un journaliste qui réalisait un documentaire sur l’affaire Uramin et a occulté la première enquête interne de son directeur des mines en 2010.
 
D’autres adoptent, non sans une certaine efficacité, la posture du déni le plus complet, comme Patrick Balkany qui aurait servi d’intermédiaire dans des transactions douteuses avec des dignitaires centrafricains.
 
Quant à l’instigateur de toute l’affaire, l’insaisissable Stephen Dattels, il brille par la maîtrise de son image. De fait, il n’a jamais été ni condamné ni inquiété en aucune façon. Véritable spectre, il ne laisse filtrer que très peu d’information le concernant sur internet et il n’existe aucune image publique de lui. En somme, un virtuose des trusts et de la finance internationale et doté d’une grande expérience du secteur minier.
 
 
Plus encore que l’uranium, les secrets sont difficiles à extraire dans l’affaire Uramin. La communication d’Areva s’est avérée ridicule parce que minée de bout en bout par les intérêts mystérieux et antagonistes qui étaient à l’œuvre. C’est l’entreprise qui a payé le prix de cette affaire en termes d’image et financier, c’est-à-dire le contribuable français. Après 3 milliards d’euros d’investissement, les gisements d’Uramin ont été abandonnés. Pas un seul gramme d’uranium n’en est sorti.

Eric Desseintes