Albert Hiribarrondo, chasseur de têtes

« Trouver les femmes et les hommes qu’il faut pour des entreprises qui en ont besoin »



Mercredi 10 Juillet 2013


L’intitulé du métier intrigue, mais il cache surtout de véritables savoir-faire qui requièrent expérience et professionnalisme, au-delà de la seule maitrise des « réseaux » professionnels. Métier peu connu, celui de chasseur de têtes nous est expliqué par Albert Hiribarrondo, Président de « IMD International Search Group » et associé chez SIRCA, cabinet de recrutement et chasseur de têtes pour dirigeants et experts, depuis Paris.



Carnets du Business : Qu’est qui vous a amené au métier de chasseur de tête ?

Albert Hiribarrondo - Président de IMD International Search Group et associé chez SIRCA
Albert Hiribarrondo : Centralien de formation, j’ai commencé assez traditionnellement dans le milieu industriel. Mais ayant décidé de m’investir aussi dans une ONG internationale, j’ai rapidement dû chercher un emploi qui me permettrait de concilier les deux. J’ai contacté des chasseurs de têtes pour trouver un emploi correspondant, près du siège de l’ONG dont je m’occupais alors. Tous les chasseurs m’ont proposé… de les rejoindre, avec mes diplômes et mes réseaux, pour faire, selon eux, le plus utile des métiers « de relations » : trouver les femmes et les hommes qu’il faut pour des entreprises qui en ont besoin. J’ai rejoint finalement Alexandre Tic S.A. comme consultant en recrutement.

Et pourtant vous quittez la chasse de tête au bout de 4 ans ?

J’ai servi en effet comme consultant « chargé de développer l’activité de chasse », à temps partiel pendant 16 mois, puis à temps plein pendant 3 ans. Alexandre Tic m’a appris de nombreuses composantes de mon métier, avec une exigence extrême sur les écrits, la façon de conduire des entretiens et de rendre un éclairage, précis, sur les candidats. Je l’ai quitté à regret, en lui exprimant ma sincère reconnaissance, pour sa confiance. Mais l’ONG à laquelle je consacrais une bonne partie de mon temps m’a offert l’opportunité du poste de Président au siège international. Un mandat d’une année, extrêmement dense mais d’une richesse incroyable.

Comment revenez-vous aux « affaires » ?

Début 1993, à la fin de ce mandat, je suis recruté comme DG de l’Ecole Supérieure de Commerce de Poitiers (Groupe ESCEM aujourd’hui). J’y trouve de belles motivations professionnelles, avec un prolongement cohérent, motivant, de mon engagement passé : une entreprise à diriger et des formations au leadership. J’y trouve aussi un beau projet personnel : transmettre aux jeunes générations, et à travers elles, aux organisations qu’elles rejoignent, les valeurs auxquelles je crois, celles d’un Leadership Humaniste, tourné vers les autres. Pour « Réussir sa vie et non réussir dans la vie ».

Vous avez finalement rejoint SIRCA en 97. Quelle vision vouliez-vous affirmer du métier de chasseur de tête ?

A 40 ans, j’avais envie d’aller plus vite et plus loin, plutôt que de rester aux commandes d’une Grande Ecole. Je choisis donc de conseiller à la mise en place des dirigeants clés dans les organisations qui me feront confiance, et avec toujours 3 objectifs :

1. Impacter positivement sur les hommes et les organisations dans un métier de relations (to care ; servir, se rendre utile) ;

2. Entreprendre dans un environnement pérenne et porteur, dans la durée (to dare ; entreprendre, en profession libérale) ;

3. Partager, comme Associé chez SIRCA, un modèle unique d’anticipation de la réussite (to share ; partager avec des partenaires, une équipe de collaborateurs sur chaque recrutement).

Avec près de 20 ans d’expérience dans la chasse de tête, quelles évolutions avez-vous constatées dans votre métier ?

La chasse de tête, lancée aux Etats Unis, a plus de 50 ans d’existence. Exercée par des experts dans la compréhension des enjeux et des besoins des entreprises, et de l’approche des dirigeants, elle a inspiré de nouvelles externalisations. Elle a aussi inspiré des acteurs moins qualifiés, mais actifs dans les recrutements de masse (par annonce notamment) pendant les trente glorieuses années de croissance forte, pour du middle management. Les  recruteurs sont devenus nombreux, divers, peu distincts les uns des autres, à quelques exceptions près.

Mais le modèle de l’annonce est mort en l’espace de dix ans. Il a été remplacé par les messages, par internet et une activité foisonnante des réseaux sociaux. Mais une question restera toujours posée : comment faire le tri et attirer les meilleurs vers soi ? La masse d’information ne simplifie en rien notre tâche. Elle accentue la puissance et l’exigence de la sélection pour recommander « les meilleurs ». 

L’approche directe, la chasse, au niveau des dirigeants, reste la plus qualitative et la plus stratégique des recherches pour des postes clés. Elle impose un haut niveau relationnel de la part des consultants. C’est le virage pris par SIRCA, qui a basculé, en 1990, sur ce seul marché, pour  « anticiper la réussite » des entreprises et des candidats, à long terme. Les événements économiques de ce début de 21ème siècle confirme la justesse de notre vision : miser sur le haut de gamme et la qualité, et anticiper les reprises, lorsque les entreprises s'arrachent les talents.

Y a-t-il eu des dérives ?

La « contingency » en est une.  Elle consiste à pourvoir des CV et à se faire payer « à la tête », au succès. C’est une pratique encore très présente dans tous les pays où la législation le permet. Si le dirigeant recruté est adapté, tout va bien ; on économise quelques milliers d’euros. Si le choix n’est pas pertinent, les pertes peuvent vite se chiffrer à plusieurs centaines de milliers ou millions d’euros… sans garantie de pouvoir fournir une alternative.

La logique de procurement en est une autre, généralement rencontrée dans les processus de sélection du prestataire de chasse de tête. Elle consiste à considérer le chasseur de tête comme un fournisseur semblable aux autres, avec l’idée du meilleur prix au détriment du meilleur service. Il faut savoir comparer ce qui est comparable.

A l’opposé de ces pratiques, la chasse de tête part des besoins de l’entreprise et recherche ensuite la meilleure solution sur le marché, dans les meilleurs délais possibles. Elle est garante de la qualité (97% de réussite) et du respect des entreprises comme des candidats, rien ne se faisant sans l’accord des uns et des autres.

Les fondamentaux du métier ne changeront pas. Nous disposons d’un mandat exclusif sur un besoin identifié et validé. Nous cherchons des profils adaptés, où qu’ils soient, et nous évaluons le degré d’adéquation. Nous obtenons ensuite leur accord pour aller plus loin. Il s’agit d’un travail exhaustif, qualitatif et sélectif en accord avec tous les contacts initiés. Nous ne retenons que les meilleurs pour un poste donné, par respect pour tous, avec des procédures de garantie en cas d’insatisfaction.

Quelle perception avez-vous du marché et de vos clients ?

Le marché reste segmenté entre le mandat d’approche directe et les pratiques de contingency. Mais cela est voulu par nos clients, qui subissent par ailleurs d’énormes pressions opérationnelles et financières. En outre, les décisions sont de plus en plus collégiales. Le grand patron solitaire omnipotent avec son conseil ou son chasseur propre appartient au passé… Aujourd'hui, le management est participatif. On décide en équipe, ce qui complexifie la décision de recrutement.

Mais nous restons confiants, parce qu’on aura toujours besoin de nos conseils et de nos capacités d’intermédiation. Les opérationnels n’ont plus le temps d’assurer le recrutement eux-mêmes. Pour un comité directeur qui souhaite recruter un dirigeant, notre intervention restera pertinente parce que spécifique (acte exceptionnel) et stratégique (lourde de conséquences). Et plus l’information circulera, via les réseaux sociaux notamment, plus il faudra d’expérience pour sélectionner.

Arthur Fournier