Cession d'ADP : à quoi servira le fonds pour l'innovation ?



Mercredi 24 Avril 2019


Derrière l’électrique discussion sur la privatisation de Groupe ADP (ex-Aéroports de Paris), le grand public oublie souvent l’un des buts de la loi PACTE. En effet, parmi bien des évolutions législatives, la loi prévoit également de créer un Fonds pour l’innovation et l'industrie doté de 10 milliards d’euros. Pour le gouvernement cet outil est crucial pour que la France prenne un nouveau virage stratégique sur le plan industriel.



Aujourd’hui les start-ups françaises les plus prometteuses ont toutes le même destin. « Si elles ne sont pas rachetées par un géant industriel tricolore, elles finissent dans l’escarcelle d’un géant mondial américain ou chinois. Après plusieurs levées de fonds fructueuses, lorsqu’elles atteignent la taille critique de plusieurs millions d’euros, les acteurs français en capacité de retenir la technologie en France se font rares », confie le responsable d’un fonds d’investissement public. Malheureusement ce sont plus souvent les GAFA aux États-Unis et les BATX en Chine qui ont les moyens de racheter ces jeunes pousses de l'industrie française et la tendance se confirme d’année en année. C’est avant tout de ce constat qu'est née l’idée du Fonds pour l’innovation inclus dans la loi PACTE.

L’État ne se désengage pas, il change de tactique

De ce point de vue, le plan de privatisation lancé par la majorité change de perspective. Trop souvent présenté comme un retrait de l’État de la sphère industrielle, il s’agit en fait d’un redéploiement. « Avec la constitution de ce fonds, le Gouvernement entend ainsi consacrer les ressources issues de cessions du portefeuille financier de l’État au financement de l’innovation, qui est une des clefs du développement et de la croissance des entreprises françaises » explique la Direction générale des Entreprises sur son site internet.
Pour atteindre cet objectif, l’État a notamment prévu la vente de ses participations dans trois sociétés : les 50,6% du groupe ADP (8,8 milliards d’euros, auxquels il faut ajouter la prime de contrôle de près de 2 milliards d'euros dont devra s'acquitter l'acheteur) ainsi que les 72% de la Française des Jeux et 24,1% de Engie (7,8 milliards d’euros). Sur le produit de ces ventes, 10 milliards serviront à créer le fonds pour l'innovation et le reste ira au remboursement de la dette. Une fois le fonds créé, il ne sera pas question de consommer les 10 milliards de dotation. C’est le rendement annuel de 200 à 300 millions qui doit être investi dans l’innovation. Rappelons au passage que, comme le précisait Libération, il n'est pas exact de comparer la totalité des dividendes versés à l'État au titre de sa présence au capital d'ADP, Engie et FDJ (770 millions d'euros en 2017) avec les 250 millions de rendement du fonds pour l'innovation puisque ce n'est pas la totalité du produit de la vente de ces trois entreprises qui alimenteront le fonds. Pour être rigoureux, il faudrait plutôt comparer les 170 millions d'euros de dividendes versés à l'État par ADP (les meilleures années, les dividendes étant fluctuants), avec les 250 millions d'euros de rendement fixe permis par le fonds pour l'innovation.
Reste que sur ces 250 millions annuels, 70 millions iront dans l'investissement pour l’innovation profonde (« deep tech ») gérés par Bpifrance et 140 millions dans les innovations de rupture dont 100 millions pour l’intelligence artificielle. Le tout sera géré par un conseil de l’innovation qui doit piloter la répartition des investissements.« Un pas de plus pour que la France se démarque comme le leader des innovations de rupture », assure Bpifrance.

Un fonds pour soutenir l’innovation

Avec ce fonds, l’objectif est d’assurer un avenir au génie français grâce à l'investissement public. Les entreprises innovantes financées par l’État seront ainsi plus à même d’accompagner les groupes français dans leur mutation technologique sans être à la merci de la boulimie des GAFA et BATX, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle.« On ne va pas laisser les futurs SpaceX ou les producteurs de véhicules autonomes nous passer sous le nez. Il faut que nous puissions investir davantage dans les innovations de rupture, qui ne sont pas immédiatement rentables pour les entreprises » avait plaidé Bruno Le Maire lors de l’inauguration de la structure en janvier 2018.
Dans une interview données aux Echos , Philippe Varin, ancien patron de PSA qui a depuis pris la tête de France Industrie, la nouvelle organisation française des dirigeants du secteur automobile affirmait : « Il faut trouver le moyen de mettre d'avantage l'accent sur l'innovation de rupture, avec le soutien du nouveau Fonds pour l'Innovation en France. Dans cette optique, nos 18 filières travaillent sur une cinquantaine de projets allant des batteries à l'intelligence artificielle, en passant par la traçabilité, les protéines de demain, la bio production pharmaceutique, les microprocesseurs, les nouveaux matériaux ou la chimie verte. Nous avons dans ces domaines une avance mondiale qu'il faut faire fructifier. »

La France dispose d’un réseau d’incubateurs et de centres de recherches très performants. D’après les chiffres officiels, 61% des investisseurs spécialisés classent le pays dans le top 5 des destinations pour investir dans la technologie de rupture. Mais sans moyens pour valoriser leurs recherches et investir, résister aux sirènes des groupes internationaux riches à milliards relève de l’utopie. Ainsi lorsque l'on débat de l'à-propos de la privatisation d'ADP, il semble essentiel de garder à l'esprit son objectif final. En effet le fonds pour l'innovation devrait permettre à l'industrie française d'exploiter elle-même au moins une partie de ses bonnes idées, plutôt que de laisser des puissances étrangères les racheter systématiquement.
 

La Rédaction