Christophe Assens : la rencontre impossible du financier et de l’artiste



Jeudi 19 Juin 2014


Avec la saison d'été, les festivals artistiques font leurs grands retour partout en France (Festival de théâtre d’Avignon, les Vieilles Charrues, Jazz à Antibes, etc.). Chaque année, la tenue de ces évènements est le résultat d'une collaboration entre des parties prenantes nombreuses et variées. On y trouve les artistes, bien sûr, mais aussi les intermittents, les bénévoles associatifs, et, entre autres, les parties-prenantes financières. Cet enchevêtrement de compétences n’est pas sans interroger la nature de la relation fonctionnelle qui unit le financier à l’artiste. C’est ce que nous explique Christophe Assens, directeur adjoint du laboratoire de recherche Larequoi (UVSQ) dans cette interview.



Au coeur d’un festival, le rôle des financeurs (publics et/ou privés) semble prédominant. Est-il pertinent de construire un réseau de partenaires autour des attentes prioritaires des financeurs, pour assurer le succès de l’évènement artistique et culturel ?

Christophe ASSENS, Directeur adjoint du laboratoire de recherche LAREQUOI (UVSQ)
La construction d’un réseau de partenaires est destinée à faire entrer dans le périmètre de l’entreprise en charge de l’organisation d’un événement artistique et culturel, les facteurs de l’environnement qui présentent un risque d’incertitude pour cette activité : ce que Jeffrey Pfeffer et Gerald Salancik qualifient « d’environnement négocié ». Dans le cadre d’un événement artistique à l’image d’un festival de musique par exemple, il y a trois types de parties prenantes qui peuvent jouer un rôle dans la structuration de l’offre : les bailleurs de fonds (publics et/ou privés) les intermédiaires (prescripteurs culturels et touristiques) et les artistes et autres intermittents du spectacle (producteur de l’offre).

Avec la révolution digitale sur Internet, ces trois rôles peuvent d’ailleurs être dédiées au consommateur final en position de bailleur (crowdfunding), d’intermédiaire-prescripteur sur les blogs et les forums de discussion, voire de co-producteur de contenu artistique (crowdsourcing)  Le rôle du coordinateur d’un festival de musique consiste alors à mettre en relation les différentes parties prenantes, pour créer de la valeur ajoutée pour le client final. On parlera de réseau, si les parties prenantes sont considérées comme des partenaires à égalité, sans primauté de l’un par rapport aux autres, tous unis par une relation de confiance nouée autour du coordinateur.

Pour bâtir un réseau, comment se déroule la sélection des partenaires considérées comme les différentes parties prenantes du projet d’événement culturel et artistique ?

Affiches du festival Off d'Avignon / Matthieu Riegler - Wikipedia Commons
S’il s’agit de construire un réseau de partenaires, l’adhésion doit être libre et ne doit pas relever systématiquement d’une négociation marchande. Autrement-dit les différentes parties prenantes doivent souhaiter librement adhérer au projet proposé en raison des externalités positives que l’événement culturel et artistique représente à l’image d’un festival de musique par exemple : externalité directe (la croissance du nombre de participants au festival accroît la valeur du bien culturel proposé et donc la satisfaction du consommateur final) externalité indirecte (la croissance de la demande pour un bien culturel (offre artistique)- dépend de la croissance de l’offre liée pour un bien complémentaire du premier (offre liée à la création artistique et à l’événement culturel) pour laquelle la notion de réseau rejoint la notion d’écosystème en raison de la création de valeur conjointe.

Par exemple le festival de musique des « vieilles charrues » accroît la notoriété du tourisme dans le Finistère en Bretagne / en retour la qualité de l’offre touristique, des infrastructures de transport et d’hébergement dans le Finistère accroît la notoriété de ce festival... Dans ces conditions, il est donc important de savoir gérer les externalités : d’une part les interfaces entre les consommateurs finals du festival de musique pour développer les externalités directes sur la notoriété de l’évênement, et d’autre part les interfaces entre les parties prenantes au festival de musique pour développer les externalités indirectes, autrement-dit les richesses par ramification d’activités.

Comment le coordinateur du projet de festival procède-il pour obtenir la coopération des différentes parties prenantes ? Doit-il occuper un rôle particulier pour gagner leur confiance ?

Il existe plusieurs manières de susciter la confiance des parties prenantes : soit par le recours à un tiers de confiance qui se porte garant de la pertinence du projet de festival au sein de la communauté des intermittents du spectacle, soit par un principe d’identité partagé avec les partenaires, soit par la construction d’un effet d’expérience dans la durée pour tester la relation de confiance. Au cours de ce processus de construction de la confiance, le coordinateur doit être aussi neutre que possible dans ses décisions, de manière à concilier en toute légitimité les attentes contradictoires des parties prenantes.

Une fois que les différentes parties prenantes coopèrent au projet, quels sont les indicateurs qui peuvent justifier de leur légitimité dans le projet ?

L’un des facteurs clefs de succès dans la gestion de projet dans un réseau repose sur la mutualisation du capital social. On adhère en effet à un réseau pour partager le capital social avec autrui. La véritable richesse dans un réseau est donc immatérielle, et repose essentiellement sur le partage du carnet d’adresse, pour dépasser les aléas de la conduite de projet grâce aux compétences relationnelles : jeu d’intermédiation entre fournisseur et client, mise en relation d’acteurs tiers, veille collective d’information, démarche sous forme d’intelligence collaborative pour partager les tâches. De ce point de vue, la légitimité d’un partenaire dans le réseau est définie le plus souvent par les autres partenaires selon des critères de fiabilité, de loyauté et de réciprocité dans les échanges, sur le principe de l’économie du don énoncée par Marcel Mauss.

Quelle(s) différence(s) faites-vous entre une partie prenante et un réseau ? Faut-il harmoniser les différences pour manager un réseau ?

Une partie prenante est un groupe d’acteurs ou une institution ayant un intérêt lié directement (partie prenante primaire) ou indirectement (partie prenante secondaire) avec le festival. Un partenaire membre du réseau est un groupe d’acteurs ou une institution ayant noué une relation de confiance avec le coordinateur (ego-network). Une partie prenante peut donc devenir partenaire, membre d’un réseau, selon le principe « d’environnement négocié » par le coordinateur.

Dans un réseau, les différences sociales ou professionnelles ne peuvent pas être estompées car ce n’est pas souhaitable pour conserver la complémentarité dans la spécialisation de chaque partenaire (artiste, producteur, scénariste, décorateur, etc…), mais il peut y avoir une harmonisation technique des systèmes d’informations, des modes de communication, des règles tacites de collaboration, dans le projet de festival. La clef est d’introduire des règles de solidarité dans le projet, avec une recherche d’équité en terme d’équilibre dans la contribution et la rétribution de chaque partenaire impliqué.
 

La Rédaction