Christophe Gurtner, Forsee Power Solutions : « Le marché français de la mobilité durable et écologique présente des opportunités de croissance considérables »



Vendredi 13 Septembre 2013


Du 13 au 16 septembre 2013 aura lieu à Paris-Porte de Versailles le salon du Cycle. A cette occasion Christophe Gurtner, PDG et fondateur de Forsee Power Solutions, intégrateur en systèmes de batteries, a accepté de répondre à nos questions sur le développement des nouvelles formes de mobilité.



La mobilité durable et écologique est un sujet qui vous est cher. Quelles sont les technologies que vous développez dans ce domaine ?

Christophe Gurtner, PDG de Forsee Power Solutions
Nous développons essentiellement des batteries à base de technologies lithium. Mais nous travaillons en cas de besoin sur des technologies plus anciennes comme le plomb,ou le nickel matal hydrure. Mais c’est le lithium qui concentre l’essentiel de notre énergie et de nos moyens. Le lithium est un nom très générique, et qui englobe différents types d’électrochimies. En réalité, tout notre travail consiste à déterminer quelle est la bonne électrochimie par rapport au besoin de mobilité durable et écologique, qu’il s’agisse du Vélo à Assistance Electrique (VAE), du scooter électrique, de la voiture électrique, ou d’une maison à énergie positive. Dans chaque cas, ce sont des contraintes différentes avec des technologies différentes : phosphate de fer, oxyde de titane, nickel-cobalt-manganèse, etc. Nous travaillons également sur des technologies plus avancées comme les piles à combustible. Mais c’est une technologie encore en phase de recherche. Ces produits restent des démonstrateurs des technologies de demain ou d’après-demain.
 
Travailler sur les batteries impose également d’avoir des compétences dans le domaine de l’électronique (hardware et software) et de la mécanique. L’électrochimie n’est qu’un de nos cœurs de métier : nous devons savoir combiner nos solutions en électrochimie avec l’électronique de gestion des systèmes de batteries, la conception mécanique des batteries, et des compétences industrielles pour pouvoir produire et diffuser nos produits.
 
Il faut ensuite mettre au point les interfaces hommes machines qui permettent à l’utilisateur de disposer d’un produit simple, ergonomique, non polluant, et qui lui permette de se déplacer. Tout cela dans le but d’apporter un produit de qualité, sécurisé, avec des contraintes de poids et de volume réduits, avec une durée de vie la plus longue possible, et bien sûr à un prix le plus bas possible. C’est là le tableau d’une batterie idéale. Mais il faut impérativement réunir l’ensemble de ces savoir-faire pour réaliser un VAE optimisé.

Les vélos de tous types font l’objet d’un plan gouvernemental (il existe une « politique vélo ») et d’aménagements urbains de plus en plus nombreux, mais y a-t-il véritablement un marché pour le VAE ?

Avant de parler de VAE, il faudrait déjà en effet s’intéresser aux vélos de manière générale. En Allemagne, le « plan vélo » est une stratégie d’Etat mise en œuvre par les Länder [les régions, NDR], avec au sein de chaque Länder et parti politique, une vraie prise de position sur le développement du vélo. Ces questions font l’objet d’un véritable débat en Allemagne, particulièrement dans le contexte des élections législatives à venir. Les Allemands planifient la construction d’infrastructures pour les vélos avec la même rigueur que nous employons pour bâtir nos lignes TGV.
 
En France un certain nombre d’initiatives ont été menées, mais elles dépassent rarement le niveau local, et ne sont pas relayées au niveau national ; pour l’instant le plan vélo reste un vœu pieux politique. La France a un énorme retard pour le développement du vélo comme moyen de transport, qu’il soit électrique ou non, par rapport aux pays nordiques ou à l’Allemagne. Le marché français représente environ 40 000 VAE par an. Le marché allemand, 500 000. Le marché néerlandais, c’est entre quatre et cinq fois le marché français pour une population cinq fois moindre environ.
 
Nous avons un manque de vision politique sur cette question et probablement un manque de budget à allouer sur ce genre de choses.  Le VAE peut se développer dans une perspective d’usage loisir ou dans une optique de remplacement de la voiture. Mais si nous voulons que les Français en arrivent là, il faut d’une part que les trajets soient pensés et prévus de bout en bout pour le vélo, et d’autre part que ça ne présente pas de difficultés physiques insurmontables. L’assistance électrique trouve toute sa pertinence sur la question de la difficulté, particulièrement dans les villes avec du dénivelé.
 
La France constitue un vrai marché potentiel. Mais la croissance de ce marché prendra du temps, car il faut construire l’infrastructure manquante nécessaire au développement de cette activité, mais aussi faire admettre la logique de remplacement des véhicules. Mais je suis convaincu que nous parviendrons à rattraper notre retard, ne serait-ce que parce nous sommes un pays de forte culture du vélo.

Le salon du cycle 2013 de Paris est l’occasion de rencontrer certains partenaires actuels et futurs, autour du Vélo à Assistance Electrique en particulier. Quelles sont les innovations clés que vous allez leur soumettre cette année ?

Ce que nous proposons, ce sont avant tout des améliorations techniques. Il ne faut pas attendre de révolution, mais des améliorations continues des caractéristiques des batteries.
 
Aujourd’hui, nous proposons des batteries à plus haute tension (36V ou 48v, contre 24V auparavant). Ces batteries sont couplées à un moteur ; des tensions plus élevées offrent un rendement supérieur sur ces moteurs. La deuxième chose, ce sont des batteries avec des autonomies plus importantes, pour des trajets plus longs. Nous proposons également de nouvelles électroniques de gestion, afin d’optimiser la plage d’utilisation de la batterie, en évitant de la pousser jusqu’à ses limites. Cela permet d’augmenter le nombre de cycles possibles [un cycle correspond à une phase de charge et de décharge, NDR], et donc la durée de vie des batteries rechargeables. En gagnant 20 ou 30% en nombre de cycles, nous pouvons gagner une année de fonctionnement. Ce sont là les améliorations principales. En permanence, nos efforts de R&D portent sur l’autonomie, les accélérations, le nombre de cycles, le poids et bien évidement sur le coût.
 
En termes de service d’autre part, Forsee étant une entreprise française, avec des sites de production en France, en Pologne et en Chine, des bureaux d’étude en France,  nous avons une capacité réelle pour soutenir en SAV nos clients fabricants de vélo européens.

On reproche traditionnellement aux VAE leur poids et leur prix. Quelles sont les contraintes techniques spécifiques aux VAE ?

Par rapport à un vélo classique, on ajoute un moteur et une batterie. Un VAE est forcément plus lourd ! Le progrès technique des batteries nous autorise à jouer sur l’un ou l’autre des facteurs que sont le poids et l’autonomie : à poids constant, les nouvelles batteries autorisent des trajets assistés plus longs en apportant plus d’énergie, ou, à autonomie identique, le vélo peut être plus léger. Par rapport aux batteries plus anciennes, la technologie actuelle vous permet par exemple pour une autonomie de 50km de gagner 500 grammes ou un kilo, ce qui est loin d’être négligeable. Ou alors, à poids identique, vous passez à 60 km d’autonomie. Tout est affaire de choix et de priorité pour l’utilisateur. Concernant le prix, les productions en série nous permettent de réaliser des économies d’échelles, et donc de réduire les prix.

Toujours sur la question du prix, il convient de bien faire la différence entre les VAE coûtant entre 600 et 1000 euros et ceux valant 1500 ou 2500 euros. Les premiers sont destinées à un usage ponctuel en loisir, mais à ce prix on fera nécessairement appel à des technologies plus anciennes et donc peu couteuses aujourd’hui. Pour un VAE à 600 euros, vous serez contraint de recourir, par exemple, à des batteries au plomb peu onéreuses, avec pour corollaire une autonomie, une durée de vie (en cycles) et des performances limitées. De plus ni le moteur ni l’accélérateur ni les batteries ne seront optimisés. En conséquence de quoi, ces vélos seront plus lourds, ou moins performants. Pour un usage intensif et quotidien, un bon VAE coute environ 1500 euros. Si ce vélo vient remplacer l’usage d’une voiture, l’investissement est très vite rentable, avec de surcroit un vrai confort d’utilisation. Le fait de faire du VAE un moyen de déplacement régulier permet de l’amortir rapidement en profitant d’un véhicule performant qui donnera pleine satisfaction à son utilisateur, même pour un usage sportif. Cycliste convaincu, j’ai moi-même longtemps été réticent à l’assistance électrique, mais j’ai été très impressionné par les performances des produits de dernière génération.

Pour les VAE, vous avez fait le choix de batteries lithium-ion rechargeables. Pourquoi ce choix ? Est-ce la seule technologie qui permette de répondre aux contraintes que vous avez citées ?

Si vous voulez un produit performant, il faut d’une part trouver la bonne technologie lithium-ion, parce que toutes les technologies ne présentent pas les mêmes caractéristiques, mais aussi la bonne électronique de gestion et le bon moteur. Seul le lithium peut répondre aujourd’hui de manière optimale aux besoins d’autonomie, de vitesse et de confort. Il constitue actuellement le meilleur compromis en termes de rapport coût-sécurité-performances.

On pourrait penser que la batterie est un « sujet technologique » dont on a fait le tour. Qu’en est-il des recherches en la matière et des pistes de développement ? A quoi ressemblera la batterie du futur ?

L’électrochimie est un domaine dont nous sommes loin d’avoir fait le tour ! Elle revient à combiner des alliages, des métaux, des électrolytes…en testant en permanence le potentiel de toutes les combinaisons, en cherchant la formule la plus énergétique et la plus sûre possible, tout en étant industrialisable. C’est un travail de recherche permanent, qui ne connait pas de ruptures technologiques quotidiennes, mais qui évolue constamment. Tous les six mois un produit nouveau arrive ; il ne représente souvent que 3 ou 5% d’amélioration par rapport au produit précédent. Mais rapporté sur des années de développement, cela représente des évolutions considérables. Ce phénomène est permanent : une batterie utilisée sur les premières générations de téléphones mobiles pesait deux kilos et ne permettait qu’une heure de communication de mauvaise qualité. Aujourd’hui une batterie de smartphone pèse à peine 10 grammes, apporte 5 heures d’autonomie en communication et permet en plus de prendre des photos, des films, d’écouter de la musique et de transmettre des données. A horizon de 3 ou 5 ans, nous resterons selon toute vraisemblance sur des alliages électrochimiques à base de lithium. Nous sommes encore loin d’avoir épuisés le potentiel de ce métal.
 
Avec le développement exponentiel des besoins de stockage d’énergie dans les bâtiments de manière générale depuis environ 5 ans, les efforts de recherche dans le domaine des batteries bénéficient d’investissements sans commune mesure avec ce qui a pu être fait pour les vélos électriques. Les VAE profitent de ces efforts de R&D. La plupart des améliorations apportées aujourd’hui sur les batteries de vélo sont dues aux investissements dans le stockage sur les réseaux et les batteries de véhicules électriques. Des milliards sont investis dans ce domaine.
 
A plus long terme, la batterie du futur pourrait ressembler à un assemblage entre une batterie de puissance (batterie au lithium ou supercondensateur) et une pile à combustible, qui, elle, apporte de l’autonomie, mais avec une faible puissance. Seule cette combinaison permet de cumuler puissance (accélération) et énergie (distance) avec une répartition des tâches entre les deux. Aucune de ces technologies ne peut remplacer l’autre, Elles se complètent avec leurs caractéristiques. Aujourd’hui cette combinaison est hors de prix et reste au stade de démonstrateur. Si vous voulez un produit performant avec une autonomie quasiment illimitée et de bonnes accélérations, vous pouvez réaliser un vélo avec des batteries Li-Ion et une pile à combustible. Mais un vélo pareil va couter plus de 10 000 euros et restera du domaine du « gadget ».

Vous vous êtes fait une spécialité des batteries pour véhicules électriques, des scooters aux voitures, en passant par les caddies de golf et mêmes le sport automobile. La technologie est-elle la même ?

Une batterie de voiture électrique va être nettement plus grosse : une batterie de VAE c’est 300 à 400 W/heure. Une batterie de voiture électrique c’est 20 kW/heure, soit 60 fois plus. La cellule de base par contre, le plus petit dénominateur commun, peut être la même cellule que pour le vélo électrique. Mais il y a aussi tout un environnement technologique à ajouter dans le cas de la batterie de voiture électriques (électronique  mécanique, refroidissement, sécurité, communication et logiciels). Les produits finis n’ont pas grand-chose à voir mais le composant de base peut être de même géométrie. Une batterie de voiture électrique va être plus puissante, va supporter des contraintes thermiques et mécaniques extrêmes et sera astreinte à des contraintes de sécurité poussées aux limites.

Arthur Fournier