Coyote navigue la crise et trace sa route



Mercredi 13 Janvier 2021


L’interdiction des avertisseurs de radars a fait monter au créneau les automobilistes français. Lorsqu’en mai 2011, le gouvernement Fillon envisage un projet de loi interdisant les avertisseurs de radar, Fabien Pierlot – fondateur de Coyote System – prend les devants. C’est en effet la survie même de sa société qui est menacée, et ce sont ses clients qui vont la sauver.



Un appel, et c’est la sortie de route. Le 11 mai au matin, Fabien Pierlot apprend d’un de ses actionnaires la nouvelle : Coyote va devenir hors-la-loi. À 14h30, c’est Claude Guéant, alors ministre de l’Intérieur qui décrète son interdiction. La décision du Comité interministériel de la Sécurité routière d’interdire les avertisseurs de radars met un coup d’arrêt au parcours sans faute du petit boîtier. Créée en 2006, Coyote System est alors le leader français et européen avec pas moins d’un million d’utilisateurs. De quoi intéresser le gouvernement français qui emboîte le pas aux autorités suisses et allemandes et Nicolas Sarkozy d’annoncer : « J'interdis les avertisseurs antiradars. Et je ne reviendrai pas sur ma décision ».
 
Mais Fabien Pierlot n’a pas dit son dernier mot. Ni une ni deux il entre en gestion de crise et s’en remet aux meilleurs communicants en la matière : le cabinet Havas (alors Euro RSCG) en la personne de Yves-Paul Robert. Coyote prend ses cibles dans le collimateur : le gouvernement (notamment le ministère de l’Intérieur), les autorités législatives (principalement les députés) et l’opinion publique (plus précisément les automobilistes français). Il peaufine ses éléments de langage : sécurité routière et aide à la conduite à l’heure où le ministre de l’Intérieur annonce l’installation de 1 000 radars pédagogiques face à la hausse de 13% des décès sur les routes. Il n’y a comme argument plus puissant que les caisses de l’État que la force de l’opinion publique.
 
Mais le temps presse et dans ce cas, les ennemis de mes ennemis sont mes amis. Le 12 mai, Fabien Pierlot de Coyote, Loic Rattier de Wikango, Jean-Georges Schwartz de Inforad, organisent une conférence de Presse à l'automobile Club de France à Paris. C’est avec l’aide de ses concurrents que Coyote crée de toute pièce l’Association française des fournisseurs et utilisateurs de technologies d’aide à la conduite (AFFTAC). Et le tour est joué : non seulement l’AFFTAC réunit a minima 6 millions d’automobilistes français mais en outre elle s’éloigne de la dénomination « avertisseur de radars » par un prodigieux tour de passe-passe sémantique. Le PDG de Coyote est érigé en porte-parole et déclare immédiatement parler au nom des « milliers de chauffeurs de taxis, des ambulanciers, des chauffeurs routiers, des motards, des représentants de commerce, des artisans, des salariés de PME ou du simple particulier » : « nous sommes aujourd’hui quatre millions sept-cent mille à dire non » martèle-t-il trois fois. Très à l’aise, détendu, il adosse tout de suite son propos à l’expérience de chacun (« levez les doigts, on aimerait bien savoir si vous en utilisez ») avec des utilisateurs derrière lui qui, contrairement à ce que laisse à penser la décision du gouvernement, « ne sont pas des délinquants de la route ». Il dénonce les mensonges et en appelle au droit de partager des informations entre utilisateurs, ce qui ne saurait être interdit aux Français. Au contraire de ce qu’avance le gouvernement, les appareils des trois marques répondent déjà à leurs objectifs depuis 5 ans. Fabien Pierlot appelle à la mobilisation le 18 mai à 13h dans les grandes villes de France, et son appel est relayé sur les boîtiers, dans la presse écrite et sur les réseaux sociaux. C’est une grande réussite : la manifestation fait la une du 20h de TF1. Plus encore, les médias donnent l’impression que c’est partout en France alors que le communicant les a guidés vers Marseille où on voit une foule en colère. Une pétition est également lancée en ligne contre le projet de loi et récolte 1,5 million de signatures. L’AFFTAC devient le cadre de référence dans les négociations forte de quasiment tous les automobilistes. Seul bémol : les fabricants de GPS refusent d’y participer.
 
Mais Coyote n’en reste pas là. Le projet de loi doit être présenté à l’Assemblée. Or à un an des législatives, la carte électorale est bonne à jouer. Tous les parlementaires reçoivent un courrier de l’AFFTAC avec le nombre d’utilisateurs d’avertisseurs de radars dans leur circonscription. De plus, Fabien Pierlot fait valoir l’impact économique et social en déclarant à l’AFP que Coyote a mis à l’arrêt son usine de Bayonne, et que ce sont plus de 200 employés qui sont concernés.  La réaction ne se fait pas attendre : le 18 mai, Claude Guéant est hué à l’Assemblée par une centaine de députés, y compris au sein de son parti. Des députés de la majorité UMP en profitent même pour s’exprimer dans les grands médias sur cette décision « nullissime ».
 
Le PDG de Coyote est alors reçu place Beauvau par le ministre lui-même qui ne veut pas transiger : sauver des vies n’est pas une question politique. Une solution est trouvée en accord avec les engagements du gouvernement, le souci de sécurité routière et l’avantage économique que représente l’avertisseur de zones dangereuses désormais (incluant bien entendu les radars). De l’aveu du communiqué de presse de ministère de l’Intérieur c’est « afin de faire respecter les limitations de vitesse sur tout le territoire et de sauver davantage de vies » que « les avertisseurs de radars seront transformés en assistant d'aide à la conduite » avec « un travail en commun en vue de développer un ensemble de fonctionnalités contribuant à améliorer la sécurité routière » parmi lesquelles les limitations de vitesses, l’état du trafic et la lutte contre la somnolence. Sans revenir sur la décision gouvernementale, il s’agit d’une victoire pour Coyote qui offre une porte de sortie au ministre et peut reprendre la route sereinement.
 
Coyote passe la seconde. Il s’agit avant tout de rassurer les utilisateurs et de relancer la machine : les ventes ont chuté de 25%. Les fabricants n’ont que quelques mois pour se mettre aux normes mais Coyote va faire encore mieux et doubler ses concurrents. En mois d’un mois l’entreprise actualise l’ensemble de ses bases de données pour mettre ses boîtiers aux normes et les vendre en toute légalité avec le logo NF. Les zones de radars sont devenues des zones de danger mais sont toujours bien signalées, de même que les limitations de vitesses.
 
Dans le fond rien n’a changé. Fabien Pierlot tient bien à le montrer aux automobilistes français. L’entreprise investit alors massivement dans des campagnes de pub réalisées par Hello Sunshine (Fred & Farid). Il s’agit de faire valoir l’intérêt d’un appareil d’aide à la conduite pour ceux qui « oublient parfois que les points sont précieux » alors que les Coyotes « informés en temps réel des limitations de vitesse […] peuvent ainsi les respecter et protéger leurs points ». Plus de radars ciblés dans les spots publicitaires mais une mention « 100% légal » omniprésente et un recentrage sur la communauté d’utilisateurs : « Coyote c’est le club des conducteurs éclairés. Plus il y a de Coyotes, plus la route est sûre ». Que ce soit une zone accidentogène, qu’il y ait des travaux ou un radar fixe ou mobile, pour les utilisateurs de Coyote cela ne fait nul doute : quand il aboie, il faut réduire sa vitesse. Coyote est donc « l’appel de phares du XXIe siècle » mais aussi un modèle pour « la gestion de crise du XXIe siècle ».

Sébastien D'HERBÈS