Daiichi Sankyo, ou la production pharmaceutique made in France

Entretien avec Franck Telmon, Président de Daiichi Sankyo France



Mardi 28 Avril 2015


Fin 2014, le laboratoire japonais spécialisé dans le domaine du cardiovasculaire, et prochainement dans celui de l’oncologie, célébrait les 40 ans de son site de production implanté à Altkirch, en Alsace. Nous avons rencontré le Président de la première filiale européenne du groupe pour échanger avec lui au sujet de l’avenir de l’industrie pharmaceutique en France.



Que représente la production pharmaceutique aujourd’hui en France ?

Si l’on s’en tient à la fabrication de médicaments stricto sensu, celle-ci représente environ 40.000 emplois directs et autant d’emplois indirects, hors fonctions connexes telles que la R&D. Les salariés sont répartis au sein de plus de 200 sites industriels capables de produire environ 8 milliards de boîtes de médicaments par an.

Quel est le poids économique du secteur pharmaceutique en France, dans son ensemble ?

Le secteur pharmaceutique représente environ 100.000 emplois directs et presque 200.000 emplois induits en France. On l’ignore souvent, mais les entreprises françaises du médicament sont très réputées et performantes à l’international. Elles représentent ainsi le second secteur exportateur français derrière l’industrie aéronautique et spatiale. Ce n’est pas un hasard : les dépenses de R&D de l’industrie pharmaceutique s’élèvent en moyenne à 15 % du CA. Pour le groupe Daiichi Sankyo, ces dépenses sont supérieures à  17 % du CA, en vue de financer les projets de notre pipeline et préserver notre compétitivité. 

Quelles sont les raisons qui expliquent que vous consacriez un investissement en R&D supérieur à la moyenne du secteur ?

L’explication tient dans la volonté de Daiichi Sankyo d’apporter des solutions dans des domaines thérapeutiques majeurs où subsistent d’importants besoins médicaux non couverts. Notre objectif est de développer des molécules ayant un statut « First in Class » et « Best in Class », c’est-à-dire un statut d’excellence, dans le domaine du cardiovasculaire. Notre recherche a d’ailleurs été reconnue et récompensée par le prix du « Meilleur Pipeline Cardiovasculaire » en 2009. En effet, Daiichi Sankyo est l’un des rares laboratoires au monde à développer des projets de R&D à la fois dans le domaine des anticoagulants et des antiagrégants plaquettaires. Cela implique nécessairement un niveau d’investissement supérieur, mais c’est peut-être là le prix de l’excellence.

La France est-elle, à ce titre, encore considérée comme un pays moteur en matière de R&D et de production pharmaceutique ?

Oui et non. Oui, parce que la France dispose d’une compétence historique en la matière. C’est la raison pour laquelle Daiichi Sankyo a fait le choix d’investir en France, et de faire ainsi de Daiichi Sankyo France la première filiale européenne du groupe. En revanche, le secteur dans son ensemble perd progressivement de son leadership. Entre 2012 et 2014, seules 8 des 130 nouvelles molécules autorisées en Europe ont été produites en France. Rien que depuis 2000, la valeur ajoutée de la production pharmaceutique a chuté de 18 %. C’est, en outre, ce qui explique que la situation de l’emploi dans l’industrie pharmaceutique en France est difficile.

Comment percevez-vous l’attractivité de la France aujourd’hui ?

Malgré nos investissements, la France perd de son attractivité dans l’attribution de molécules jeunes ou en lancement, et cela constitue un véritable danger pour l’avenir de la recherche en France. Il y a d’abord des raisons législatives et administratives à cela car on observe dans notre pays, depuis de nombreuses années, un durcissement continu des conditions d’accès au marché. Celui-ci se traduit concrètement par des délais de mise à disposition des médicaments plus longs qu’ailleurs en Europe, même après autorisation du médicament par l’Agence Européenne.

Ensuite, il y a des raisons macroéconomiques, à commencer par une forte pression sur les dépenses de santé, et donc sur les prix. La pire des situations que nous puissions imaginer, c’est que l’intérêt des patients cède progressivement du terrain face à une approche purement économique de la politique de remboursement du médicament. Or le médicament a un prix. Il faut en moyenne un investissement d’un milliard d’euros et un délai de dix ans pour qu’une innovation pharmaceutique arrive jusqu’au malade.  Si l’on ajoute à cela les taxes françaises spécifiques au pharmaceutique, on comprend immédiatement que la recherche pharmaceutique française subit des contraintes économiques et temporelles qui rendent le métier éminemment compliqué. En revanche, les exigences thérapeutiques vis-à-vis des laboratoires sont toujours plus grandes.

Il convient par contre de souligner en France la qualité des réseaux de soins et du système de santé en général, et celle des infrastructures dont bénéficient tous les laboratoires. A cela s’ajoute bien sûr un système d’éducation et de formation parmi les plus performants, nous fournissant une ressource humaine extrêmement qualifiée et expérimentée. La qualité du secteur de la santé français, celle de ses chercheurs et de ses ingénieurs concourent à cette attractivité pour laquelle nous avons ces choix d’investissement en France.

Comment, chez Daiichi Sankyo, intégrez-vous ces contraintes ?

L’investissement sur le long terme reste la clé et se traduit pour Daiichi Sankyo par une longue tradition de découvertes majeures. Par exemple, nous sommes à l’origine de la découverte, en 1973, de la première statine (Ndlr : molécule permettant d’abaisser le taux de cholestérol). Nous sommes également à l’origine, en 1991, d’une nouvelle classe de médicaments indiqués dans le traitement des complications liées à la formation de caillots sanguins.  Le groupe investit chaque année entre 1,4 et 1,7 milliard d’euros dans l’objectif de poursuivre sa mission de laboratoire pharmaceutique global innovant et mettre à disposition des patients des molécules dans des domaines thérapeutiques représentant des enjeux de santé publique. C’est pour répondre à cet objectif que nous avons réalisé certaines acquisitions, dans le cadre de notre stratégie de croissance externe. Nous avons ainsi racheté trois sociétés de biotechnologies innovantes : U3, en 2008, Plexxikon en 2011 et l’américaine Ambit en 2014.

Comment le laboratoire dégage-t-il les marges de manœuvre suffisantes pour financer sa R&D, dans le contexte économique que vous décrivez ?

Le modèle économique de Daiichi Sankyo repose sur plusieurs piliers, le principal étant les médicaments innovants. En outre, et afin de répondre aux besoins divers des patients, nous sommes présents à la fois dans les pays industrialisés et dans les pays émergents, qui devraient jouer un rôle majeur dans notre développement futur. D’une façon générale, tous les laboratoires sont en quête de relais de croissance pour s’adapter au nouvel environnement stratégique de l’industrie pharmaceutique. 

Cela signifie-t-il que l’industrie pharmaceutique n’a guère d’avenir en France ?

Certainement pas ! La France est un écosystème riche si l’on pense à la qualité de ses techniciens, de ses ingénieurs et de ses centres de recherche, mais aussi du système de soins en général. Si Daiichi Sankyo France est aujourd’hui la première filiale européenne du groupe, c’est aussi en partie parce qu’elle s’intègre pleinement et participe à la vie de cet écosystème, par exemple en étant partenaire de grands centres français, et en contribuant à la recherche, au travers d’essais cliniques.

Nous sommes également confiants quant à notre activité de production sur le site d’Altkirch. Avec un savoir-faire de haute technicité, au carrefour de la chimie traditionnelle et des biotechnologies, l’usine se porte d’ailleurs candidate pour accueillir la production de nouveaux principes actifs et produits. En outre, la quasi-totalité de la production du site est destinée à l’export. Mais comme dans toute autre industrie, c’est bien entendu la vitalité du marché domestique qui reste déterminant dans les choix d’implantation et d’ancrage territorial. 

Inversons le raisonnement : la France a-t-elle encore une place dans l’industrie pharmaceutique mondiale ?

C’est en tout cas notre conviction, et c’est dans cette optique que le groupe espère pérenniser ses investissements productifs et en R&D sur le territoire français. 

 

(Source : LEEM)
Franck Telmon est depuis le 6 septembre 2010 le President de Daiichi Sankyo France, Il succède à ce poste à Christian Deleuze, qui a rejoint la présidence de Genzyme France. 

Franck Telmon, est docteur en pharmacie et titulaire d'un master en marketing. Il a exercé au sein des laboratoires Rhône-Poulenc Specia, puis Servier et Takeda France avant de rejoindre Eli Lilly France en 1997. Après avoir assumé successivement les fonctions de directeur régional puis de directeur national des ventes, il poursuit son parcours en devenant manager de la business unit ostéoporose, et enfin, en 2007, directeur de la business unit diabète et ostéoporose.

Capucine Davignon