Evaluation du personnel: un état des lieux avec Gérard Reyre



Lundi 14 Décembre 2009


Gérard Reyre est l’auteur de l’ouvrage « Evaluation du personnel. Histoire d’une mal-posture » aux Editions L’Harmattan. Les pratiques d’évaluation annuelles sont considérées comme la pierre angulaire à la fois d’un management « moderne » et d’une GRH capable de collaborer avec les collaborateurs. Néanmoins, en approfondissant le sujet, de nombreuses critiques apparaissent, tant sur la fiabilité des outils que sur le sens à donner à cette pratique. Nous avons rencontré Gérard Reyre afin qu’il nous éclaire sur les origines, le développement de cette pratique et les voies possibles de progrès.



C.d.B.: Pourquoi parler d’évaluation du personnel aujourd’hui ? Est-ce une vieille histoire ?

La notion d’évaluation n’est pas récente bien sûr. Elle fait l’objet d’une première modélisation importante au début du 20eme siècle autour des politiques publiques aux Etats Unis. L’évaluation du personnel elle, s’est structurée dans les années 80 sur la base de deux phénomènes connexes. D’une part la vague évaluatrice qui s’est déclenchée sous l’impulsion des gouvernements conservateurs dans les pays anglo-saxons. Il s’agit alors de contrôler les résultats produits par les acteurs publics à l’aide d’une batterie de critères. D’autre part, l’importation en France de ce modèle s’est articulée avec la suppression de l’indexation des salaires qui entraine la suppression des augmentations générales ouvrant ainsi la voie aux augmentations individuelles et aux outils afférents, dont l’évaluation du personnel est le cœur.


C.d.B.: Quels sont les principales caractéristiques de ce dispositif ?

Pour mettre à jour les caractéristiques de ce dispositif, il convient de faire un petit voyage en son centre. En effet, on découvre que le face à face entre évaluateur et évalué porte des traces de la relation du pénitent à son confesseur. Ne s’agit-il pas, au fond, de dégager un mode de gouvernement de soi à partir de sa propre vérité à l’image du principe de la confession ? Ainsi, de l’aveu à la pénitence, nous retrouvons le fil de l’échange qui pousse l’un à avouer – ses fautes, son incompétence, ses erreurs - et l’autre, le manager, à s’évertuer à réparer, aider, accompagner, parfois punir. Bien sûr, l’environnement s’est sophistiqué, plusieurs référentiels ont été inventés et sont venus professionnaliser le dispositif, créant d’ailleurs d’autres biais.


C.d.B.: Quelques exemples de ces biais ?

Eh bien, par exemple, certains systèmes d’évaluation, comme pour ne pas manquer une dimension essentielle, se présentent comme une compilation de référentiels. On trouvera donc, cohabitant, des objectifs, quantitatifs et qualitatifs, de la définition de fonction, des compétences, tout cela exprimé de façon plus ou moins détaillée et sans discrimination des populations concernées. Il est pourtant facilement loisible de constater que tous les métiers ne peuvent être soumis au même régime évaluatif, certains ne justifiant pas par exemple des objectifs individuels mais des objectifs collectifs.

Autre exemple, toute activité, même celle qui apparaît comme banale et répétitive, relève d’une complexité maintes fois démontrée dans les ouvrages de sociologie du travail. Le travail prescrit ne l’est plus que dans une certaine mesure dans les organisations d’aujourd’hui. On proposera pourtant des critères simples, voire simplistes pour apprécier le travail fourni. Qu’il faille user de mille et une astuces acquises à l’insu de l’organisation formelle, de relations diverses, faites de coups de mains, de tuyaux, d’influence, de rapports de force, d’amitié, pour arriver à exercer réellement son activité, ne peut être mis totalement à jour afin d’en identifier la valeur. Impossible dès lors de « critérier » simplement le travail réel. Le jugement porté sera donc peu clair et il le sera d’autant plus que l’activité sera complexe. On a là, une perte de sens et un déficit de reconnaissance.

C.d.B.: En quoi le sens et la reconnaissance au travail sont-ils particulièrement impactés par l’évaluation ?

Chacun souhaite être reconnu en tant que personne dans son travail. Ce désir de reconnaissance peut prendre plusieurs formes et au premier chef, la reconnaissance de la dignité et de l’utilité du travail réalisé. Ensuite c’est la revendication de sa singularité qui préoccupe chaque travailleur. Le fait d’être reconnu personnellement, pour sa contribution et ses compétences.

La reconnaissance comporte simultanément une dimension d’intégration et d’approbation sociales. L’estime de soi constitue la traduction subjective de l’acte de reconnaissance. La reconnaissance accordée à autrui contribue en conséquence à la fois à la création de la valeur de ses projets et à la création du sentiment de confiance dans ses capacités pour les mener à bien. L’estime de soi n’est donc pas liée au seul développement des capacités mais aussi au fait que celles-ci enveloppent une satisfaction qui dépend de leur approbation sociale. On peut en déduire que dans ces conditions la personne cherchera à développer ses capacités en vue d’obtenir ce type d’approbation. L’évaluation peut participer à cet acte de reconnaissance.

C.d.B.: Quelles pistes nous proposez-vous pour aller dans cette direction ?

Je ne reprendrai ici que deux pistes parmi celles que je développe dans le livre:

- Le système doit être construit sur la base d’un bien supérieur commun.

La coopération entre individus ne s’opère que s’ils sont tendus dans leurs actions par le dépassement de leurs intérêts propres. Ce qui compte au premier chef, c’est le résultat de leurs efforts conjoints. C’est donc poser le problème de la finalité de l’entreprise. Servir des actionnaires ne peut motiver que quelques dirigeants tenant à leur place.


Si le management de l’entreprise n’établit sa communication que sur les chiffres et le profit, nul doute que sa crédibilité sera faible au moment où il voudra compter sur la mobilisation de ses salariés. Les orientations, la stratégie de l’entreprise ne sont bien souvent que de simples objets de communication alors qu’elles devraient être incitatives (et non indicatives comme elles le sont trop souvent). Ce qui est premier c’est le rapport qu’entretiennent tous les salariés à ces mêmes orientations, à cette même stratégie. C’est donc bien la contribution solidaire de chacun à travers sa prise d’initiative, en situation, aux orientations fixées par l’entreprise qu’il s’agit d’évaluer, de mettre en valeur.

- Civiliser les dirigeants.

On pourrait dire aussi protéger ceux qui sont capables de concevoir leurs responsabilités autrement que par l’exercice de la violence et de la domination. Vœux pieux, diront certains. C’est une nécessité absolue pourtant que le patron soit légitime aux yeux de ses collaborateurs. La conception du pouvoir, le comportement du dirigeant et son exemplarité ont un impact direct sur ce que tolèrent intimement les salariés. Il faut pour cela que le détenteur du pouvoir ne s’appuie pas sur une conception qui considère l’aventure de l’entreprise comme l’équivalent de la jungle où tout est permis pour autant que cela lui permette de survivre. Monter le niveau de civilisation des dirigeants c’est simplement introduire la touche d’éthique raisonnable permettant à l’entreprise de se déplacer avec ses ressources et non contre elles. La recherche de congruence entre la vision du monde du dirigeant, son comportement et le système de gestion de ses salariés est une condition sine qua non pour que les différentes parties prenantes jouent le même jeu de la recherche du bien commun.

Gérard Reyre, "Evaluation du personnel. Histoire d’une mal-posture", L'Harmattan


La Rédaction
Dans cet article : gérard reyre