Interview de Patrick Klaousen au sujet du protectionnisme



Lundi 30 Octobre 2017


Le protectionnisme est plus que jamais d'actualité. Il a été au cœur de l'élection de Donald Trump, du Brexit et a occupé une place importante dans les programmes de plusieurs partis lors des dernières élections. Auteur d'une étude remarquée, nous avons interrogé Patrick Klaousen sur ce sujet clivant.



Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Patrick Klaousen. Je suis juriste de droit public et politiste. Je suis Maître de conférences à l’Université de Rennes 1. J’ai enseigné en qualité de professeur associé à l’Institut supérieur d’administration de Rabat et à l’École spéciale militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.
Suite à ma longue collaboration avec Saint-Cyr, que je poursuis (d’ailleurs) en qualité de chercheur associé, je suis investi dans les problématiques liées à la sécurité et à la défense, — en Europe et en Afrique 

Quelle pertinence à publier en 2017, un ouvrage sur une affaire vieille de trente ans ?

Ce livre, qui traite de diplomatie commerciale, permet de documenter une réflexion sur le retour en force du protectionnisme dans le paysage politico-médiatique actuel.
L’intérêt de l’Affaire de Poitiers est de jeter un regard décalé sur cette pratique si souvent décriée, en s’appuyant sur l’analyse d’une mesure protectionniste qui est devenue un « cas d’école » : l’Affaire du dédouanement des magnétoscopes à Poitiers.
Certes, entre le début des années 80 et aujourd’hui, le monde a changé.
Le pays en ligne de mire était le Japon. Aujourd’hui c’est la Chine.
Quant au produit concerné, les plus jeunes d’entre nous devrons se faire expliquer ce qu’était un magnétoscope. En 2017, le produit sensible du moment pourrait être le panneau solaire photovoltaïque chinois dont l’importation à bas prix au sein de l’Union Européenne asphyxie la filière industrielle autochtone.
Toutefois, les mêmes causes produisant les mêmes effets, l’Europe, — trente ans après Poitiers, — reste confrontée à la même problématique : comment défendre son marché intérieur, face au dumping social, environnemental ou tarifaire des économies émergeantes.

Comment une décision douanière supposée anecdotique est-elle devenue une question nationale et internationale ?

Il y a effectivement dans cette affaire un côté anecdotique : il s’agit du choix du Centre Régional des douanes de Poitiers. À ce propos, il m’a été rapporté que les fonctionnaires du secrétariat d’État au budget avaient été frappés par l'analogie existant entre le "code pays" du Japon dans la nomenclature douanière internationale (732) et l'état d'esprit protectionniste du moment à l'égard de "l'invasion des produits japonais".
Suite à quoi, décision fut prise d’associer symboliquement l’arrêt de la conquête commerciale japonaise au lieu même où en 732 Charles Martel arrêta la progression des conquérants arabes !
Voilà pour l’anecdote. Il n’y eut bien évidemment pas de combat, mais simplement l’ordre de centraliser les opérations de dédouanement des magnétoscopes commercialisés en France, — dont la quasi-totalité étaient d’origine japonaise, — au CRD de Poitiers, … qui à l’époque était manifestement sous-équipé pour gérer un tel flux de marchandises.
Je ne m’attarderai pas ici sur les péripéties qui ont fait que Michel Jobert décida d’assumer la paternité de la mesure prise par Laurent Fabius, — qui dans le gouvernement Maurois était secrétaire d’État au budget …
… et j’en viens à évoquer les développements de l’affaire.
L’affaire a eu un retentissement national car (pour faire court) les français étaient très préoccupés d’acheter leur magnétoscope avant que n’entre en vigueur la déclaration obligatoire par le vendeur de cet achat en vue de percevoir une redevance sur les possesseurs de ce produit électronique grand public très en vogue à ce moment là.
Mais aujourd’hui le plus intéressant, — me semble-t-il, — réside dans l’évocation des développements européens et internationaux de l’affaire.
Le retentissement européen fut considérable, donnant lieu à des protestations parfois véhémentes, parfois feintes, en vue d’exiger la levée de l’obligation de dédouanement de tous les magnétoscopes importés en France au CRD de Poitiers.
À l’évidence, la mesure douanière transgressait explicitement les dogmes du libre échange.
Soyons clair, Michel Jobert n’a jamais prôné un protectionnisme de principe. La décision dont il assumait la paternité était avant tout une façon d’inciter les partenaires européens de la France (institutions européennes, États membres, acteurs industriels), à coopérer en vue d’opposer une réponse commune à la déferlante de produits extra-communautaires.
L’objectif de Michel Jobert et d’Étienne Davignon, — qui était le commissaire européen chargé des affaires industrielles, — était de donner aux industriels européens le répit nécessaire pour se ressaisir et pour élaborer (enfin) « des stratégies industrielles communes ».
Il n’en fut rien. Les principaux acteurs européens du secteur des produits électroniques grand public continuèrent à se concurrencer car les logiques industrielles n’ont rien à voir avec les logiques politiques. Elles se croisent, se heurtent, mais ne s’épousent que lorsqu’il est trop tard.
Ceci m’évoque le souvenir d’une dictée latine faite au collège sur un texte de Sénèque décrivant l’éruption du Vésuve et l’ensevelissement de Pompéi : « Ils jouaient aux cartes pendant que le volcan avançait pour les engloutir ».
Michel Jobert n’a pas été entendu, mais aujourd’hui, c’est un peu comme si le film, — qui avait été mis sur « Pause », — recommençait à défiler à la faveur de l’affolement suscité par la dégradation des comptes publics, la montée du chômage et son effet concomitant, la montée du populisme.
Quant au retentissement international de la mesure, il s’explique par les protestations véhémentes que le Japon a fait entendre au GATT, auquel a succédé en 1994 l’OMC, c’est à dire l’Organisation Mondiale du Commerce.

Comment en êtes-vous arrivé à vous faire préfacer par Michel Jobert ?

Les choses se sont faîtes très simplement. J’ai écrit à Michel Jobert en vue de documenter mon mémoire de troisième cycle universitaire, en conséquence de quoi, je l’ai rencontré à plusieurs reprises.  Michel Jobert, — il faut le rappeler, — a été ministre du Commerce extérieur de 1981 à 1983. La lettre qui tient lieu de préface à l’ouvrage a été écrite en 1986 ; soit trois ans après qu’il ait quitté ses fonctions ministérielles. L’intérêt que Michel Jobert portait à mon travail témoignait de son désir de rétablir un certain nombre de vérités sur une affaire, certes en grande partie oubliée aujourd’hui, mais qui à l’époque avait défrayé la chronique avec les inévitables « fakenews » qui ne sont bien évidemment pas l’apanage du temps présent.

Vous êtes maître de conférences et docteur en droit public, quels sont vos thèmes de recherche actuels ?

Mes thèmes de recherche sont liés à la sécurité et à la défense. L’affaire de Poitiers est en grande partie un écrit de jeunesse, dont l’actualité a opportunément souligné toute la pertinence. Ma collaboration avec le Centre de Recherche des Écoles de Coëtquidan (CREC Saint-Cyr) m’a conduit progressivement à privilégier des thématiques telles que l’Europe de la défense (PSDC), l’intégration des capacités de défense en Europe et en Afrique, ainsi que le renseignement de sécurité sous l’angle éthique et sous l’angle de l’évaluation des performances des services de renseignement. C’est (d’ailleurs) sur ce dernier thème que je viens de coordonner la réalisation d’un ouvrage collectif qui devrait paraître cet automne.

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L'auteur

Patrick Klaousen est docteur en droit public, maître de conférences à l’université de Rennes 1 et membre du Centre de Recherches Européennes de Rennes (CEDRE-IODE, UMR CNRS n°6262).

La rédaction