L’Europe du droit renforcée par la cour de cassation de France



Lundi 10 Février 2014


Par ces temps de crise économique, la cour de cassation de France vient de renforcer les droits des créanciers européens en cas de procédure d’insolvabilité de leurs débiteurs.



Par Yves-Marie MORAY, avocat à la cour et président d'EUROLAW.

Le 17 décembre 2013, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a, par un arrêt d'une grande importance, précisé la sanction attachée au défaut d'information du créancier résidant dans un autre État membre de l'Union européenne, pour déclarer sa créance lors de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde, dans le cadre du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité lequel restait sans précision sur ce sujet capital pour la sauvegarde des droits des créanciers.
 
Dans l’affaire soumise à la plus haute juridiction judiciaire française, un ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas demandait le recouvrement d'une créance d'un montant relativement conséquent, à une société de droit français devant le tribunal de commerce. Mais, alors que l'affaire avait été mise en délibéré, la société française a fait l’objet d'une procédure de sauvegarde.
 
En application des articles L 622-24 et R 622-24 du code de commerce, le créancier, résident néerlandais, devait déclarer sa créance dans un délai de quatre mois, à compter de la publication du jugement d'ouverture au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales (BODACC).
 
Toutefois, pour que le créancier soit en mesure d'effectuer cette déclaration, il doit disposer de l'information nécessaire. L'article R 622-21 du code de commerce dispose que le mandataire judiciaire est tenu d'avertir les créanciers d'avoir à lui déclarer leurs créances dans le délai fixé à l'article R 622-24 du code de commerce.

Le droit de l'Union européenne, par son règlement (CE) 1346/2000 du 29 mai 2000, protège les créanciers résidant dans un autre État membre que celui de leurs débiteurs.
 
L'article 40 du règlement prévoit dès qu’une procédure d’insolvabilité est ouverte dans un Etat membre, l'obligation pour la juridiction compétente de cet Etat ou le syndic nommé par celle-ci  d'informer sans délai les créanciers connus, qui ont leur résidence habituelle, leur domicile ou leur siège dans les autres Etats membres, et de fournir individuellement les informations concernant les délais à observer, leur sanction et l'organe habilité à recevoir la production des créances.
 
L'article 42 impose en outre à la juridiction compétente ou au syndic l'envoi d'un formulaire portant, dans toutes les langues officielles de l'Union européenne le titre ‘ Invitation à produire une créance. Délais à respecter ’.
 
L'article 4 paragraphe 2, point h, du règlement laisse la liberté aux États membres de déterminer l'admission des créances et par conséquent la sanction du défaut d'information.
 
Or en l'espèce, aucune information n'avait été communiquée au créancier. Et pour cause, le débiteur n'avait pas déclaré la créance litigieuse au mandataire judiciaire, en violation de l'article L. 622-6 du code de commerce de telle sorte que ni le greffe du tribunal de commerce ni le syndic (mandataire judiciaire) n'avaient transmis le jugement de sauvegarde au créancier néerlandais ou à son conseil.
 
En raison de ces manquements, le créancier n'a pu être averti de ses obligations que trois mois après la publication du jugement de sauvegarde au BODACC, soit seulement un mois avant la date de forclusion, et n'a pu déclarer sa créance à temps.
 
En conséquence, une demande de relevé de forclusion a été introduite dans le délai de six mois à compter de la publication du jugement d'ouverture prévu à l'article L 622-26 du code de commerce. Ce même article prévoyant que la forclusion n'est encourue qu'à la condition que le créancier établisse que « la défaillance n'est pas due à [son] fait ou qu'elle est due à une omission volontaire du débiteur [...] ».

Le juge commissaire puis le tribunal de commerce ont refusé de faire droit à cette demande, au motif que le créancier avait tout de même bénéficié d'un délai d'un mois, suffisant pour déclarer la créance avant la date de forclusion.
 
Un appel de la décision a donc été interjeté par le créancier, en se fondant notamment sur les articles 40 et 42 du règlement (CE) 1346/2000 du 29 mai 2000 et L 622-26 du code de commerce, afin d'obtenir un relevé de forclusion. En effet, les obligations d'information du créancier, prévues par ledit règlement, n'ayant pas été respectées, la défaillance du créancier n'était pas de son fait mais était imputable aux manquements des organes de la procédure collective et du débiteur qui avait omis la créance de son créancier néerlandais de la liste de ses créanciers présentée dans la procédure de sauvegarde que le tribunal de commerce avait ouverte bien que celui-ci ne pouvait l’ignorer puisque le dossier avait été plaidé au fond avant l’ouverture de cette procédure de sauvegarde.
 
Il était ainsi demandé à la Cour d'appel de se prononcer sur la sanction du non respect des obligations prévues par le règlement (CE) 1346/2000 du 29 mai 2000 lequel ne prévoit pas de sanction en cas de défaut d'information. Aucune jurisprudence n’existait sur cette question fondamentale.
 
Par un arrêt du 5 juillet 2012, la Cour d'appel d'Aix en Provence a fait droit à la demande de du créancier néerlandais et a infirmé le jugement du tribunal de commerce. La Cour a jugé qu'à défaut d'information du créancier, résident d'un autre État membre, selon les modalités des articles 40 et 42 du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000, ‘ le délai de forclusion prévu à l'article L 622-26 du code de commerce n'a pas couru et aucune forclusion ne peut lui être opposée ’.
 
Ainsi, le délai de forclusion ne peut commencer à courir tant que le créancier n'a pas été informé de l'ouverture de la procédure d'insolvabilité et des conditions pour déclarer sa créance, selon les modalités prévues par le règlement européen de 2000. Pour la Cour d'appel, la sanction est l'inopposabilité de la forclusion au créancier.

Un pourvoi en cassation a été formé par la société de droit français débitrice et le mandataire judiciaire estimant que le créancier avait disposé des informations nécessaires et avait été en mesure de déclarer ses créances dans le délai requis.
 
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi en relevant que ‘ l'absence d'envoi du formulaire avait, dans les circonstances de la cause, empêché, sans défaillance de sa part, ce créancier de déclarer sa créance dans le délai légal ’ et qu'en l'absence de sanction prévue par le droit de l'Union européenne, ‘ seule la voie du relevé de forclusion est ouverte, par l'article L 622-26 du code de commerce ’.
 
Sur le fondement de cette nouvelle jurisprudence, les juridictions consulaires françaises et les mandataires judiciaires sont désormais appelés à faire une application stricte du règlement (CE) n° 1346/2000 du 29 mai 2000 et à en respecter le formalisme.
 
L’Europe du droit en sort renforcée. Les droits des créanciers européens sont ainsi confortés dans le cadre du grand marché unique de l’Union.

A propos de l'auteur

Yves-Marie MORAY est avocat aux Barreaux de Paris (depuis 1986) et de Bruxelles (de 1983 à 1997). Gérant de la société d’avocats MORAY & ASSOCIES, il est également président du groupement européen d'avocats EUROLAW.

Yves-Marie Moray