Le Caucase, terre d’opportunités au carrefour des nouvelles Routes de la soie



Mardi 24 Mars 2020


Coincés entre la mer Noire et la mer Caspienne, entre l’Asie et l’Europe, les trois pays du Caucase – Azerbaïdjan, Géorgie et Arménie – possèdent des atouts évidents pour prendre une place de choix sur les nouvelles Routes de la soie. Gros plan sur une région sous-estimée, entre infrastructures, industries, ressources naturelles, énergies et nouvelles technologies.



Le Caucase, zone économique-clé sur les routes de la soie
La géographie forge les peuples et les pays, ceux du Caucase ne font pas exception. Situé à cheval sur l’Azerbaïdjan, la Géorgie, l’Arménie, la Russie, l’Iran et la Turquie, le Caucase s’est imposé sur la nouvelle Route de la soie conceptualisée par la Chine – connue aussi sous l’acronyme anglo-saxon BRI, pour Belt and Road Initiative. Parents pauvres de l’effondrement de l’URSS en 1991, les trois pays du Caucase – Azerbaïdjan, Géorgie et Arménie – ont connu des destinées différentes, en fonction de leur géographie et de l’exploitation de leurs ressources naturelles. Près de trente ans plus tard, ils présentent aussi des points communs, comme par exemple leur PIB par habitant assez proche, avec respectivement 4243, 3839 et 4001 euros en 2019. Si la région a fait parler d’elle ces vingt dernières années à cause de litiges territoriaux plus ou moins gelés comme en Abkhazie, en Ossétie ou dans le Haut-Karabagh, elle présente surtout de nombreuses potentialités de développement économique.

Infrastructures et industrie : l’heure des grands investissements

Avec ses dix millions d’habitants et un PIB remarquable de 41,68 milliards d’euros en 2019 l’Azerbaïdjan est en train de se transformer en profondeur, comme en témoigne sa courbe de croissance ces quinze dernières années, qui s’est stabilisée autour de 3%, après des pics à +35% en 2006-2007. Pour développer ses infrastructures et son secteur industriel, l’Azerbaïdjan a fait le choix ces dix dernières années de créer de grandes zones et de grands parcs industriels comme ceux de Sumgaït (chimie), de Balakhani (recyclage) et de Mingäçevir (électricité). L’industrie est essentielle dans le paysage économique du pays, à travers le textile, l’automobile, la métallurgie, les matières plastiques, l’agro-alimentaire… Les usines tournent à plein régime et peuvent compter sur la relance du transport ferroviaire pour exporter leur production, vers la Géorgie voisine par exemple. Dans toute la région, le commerce s’appuie en effet sur son réseau ferré, du nord au sud de la Russie, à l’Inde, en passant par l’Iran, et d’est en ouest de la Chine vers la Géorgie et la Turquie. Bakou peut compter sur les financements étrangers pour ces grands projets, comme ceux de l’Agence française de développement (AFD) pour la relance des lignes ferroviaires Azerbaïdjan-Géorgie-Turquie. Pour encourager l’accès au marché azerbaïdjanais, les autorités françaises facilitent d’ailleurs les contacts avec leurs homologues locales. « Les entreprises françaises répondent essentiellement à des grands projets d’infrastructure et doivent garder des liens étroits avec les entreprises publiques nationales ou les ministères compétents », souligne Serge Krebs, chef du service économique à l’ambassade de France à Bakou.

La Géorgie bénéficie elle aussi de ces projets à dimension régionale, à l’heure où elle est en train de « sortir de l’ombre ». Selon Ioulia Sauthier de la Direction générale du Trésor, « sur le plan des réformes, les autorités ont annoncé le déploiement d’un programme en quatre points, ciblant particulièrement, les infrastructures routières, le renforcement du rôle du secteur privé dans l’économie, l’administration publique et l’éducation. » Le pays se montre lui aussi attractif pour les institutions financières internationales comme l’AFD, la Banque mondiale, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) et la Banque asiatique de développement (BAD), surtout dans le domaine des infrastructures comme les écoles ou les hôpitaux. Et la marge de progression est encore énorme. Plusieurs secteurs sont demandeurs d’investissements lourds, note un rapport du Sénat français  : « La Géorgie devrait pouvoir valoriser son potentiel dans le domaine chimique, les matières plastiques et dans le secteur agro-alimentaire. »

En Arménie aussi, le potentiel de progression est important, tant l’appareil industriel et les infrastructures sont vétustes. L’Arménie souffre aussi de sa centralisation, toute l’économie étant concentrée autour de la capitale Erevan : les infrastructures routières ne permettent pas encore l’essor de l’industrie touristique dans le reste d’un pays sur lequel plane toujours la menace sismique, comme l’a montré le terrible tremblement de terre de 1988. Très liée économiquement à l’Allemagne et à la Russie, l’Arménie souffre également d’une dette publique qui ralentit les investissements dans les infrastructures. Ainsi, selon une note de conjoncture publiée par le ministère français de l’économie, la dette extérieure du pays, certes en diminution, demeure très élevée : 82,9% du PIB attendu pour 2019 contre 84,6% en 2018 et 88,7% en 2017.  
Une situation qui pourrait changer grâce à la diaspora. Toujours selon la même note, « les transferts de fonds et de salaires de travailleurs arméniens à l’étranger représentent une contribution significative au financement de l’économie (…), 9% du PIB en moyenne sur la première moitié de l’année 2019 ». En 2019, notamment pour optimiser de tels flux, la Chambre de commerce et d’industrie d’Arménie en France a nommé l’ancien Premier ministre Dominique de Villepin à la tête du Fonds pour les intérêts nationaux arméniens (ANIF), en charge de monter des cofinancements avec « des investisseurs internationaux et des grands partenaires industriels dans des projets de grande envergure, au sein de secteurs cruciaux de l’économie et des infrastructures arméniennes. » Affaire à suivre donc.
 

Ressources naturelles et énergie : des potentiels à exploiter

Dans la région du Caucase, l’Arménie fait figure de parent pauvre dans le domaine des ressources naturelles, ne pouvant pas compter sur une manne liée aux hydrocarbures pour financer de grands projets. Elle dispose principalement de mines de cuivre, et dans une moindre mesure de zinc, de bauxite, d’or et de molybdène. Dans le secteur énergétique là aussi, de grands progrès sont encore à faire, comme le souligne l’AFD, qui favorise les investissements à l’échelon local  : « L’absence de normes d’isolation, l’intensité de l’hiver dans un climat continental et la grande pauvreté rendent les conditions de logement très dures en Arménie. Par ailleurs, la mauvaise utilisation de l’énergie coûte chaque année près de 4,9% de PIB au pays. » L’AFD souligne également le potentiel dans les énergies renouvelables à l’heure où le pays a surtout fait le choix de l’énergie nucléaire, avec le financement d’une seconde centrale par la Banque eurasienne de développement.

En Azerbaïdjan, la dynamique est résolument différente : le pays – dont le PIB est de 41,79 milliards d’euros contre seulement 11,91 milliards pour l’Arménie – est riche grâce à ses ressources pétrolières en mer Caspienne. Si le gouvernement de Bakou se sait dépendant des exportations de pétrole, il sait aussi qu’il a une carte maîtresse entre les mains avec les 20e ressources mondiales et un potentiel offshore inexploré, sans parler du gaz. Mais aujourd’hui, il cherche aussi à diversifier son économie. « Après une récession officielle en Azerbaïdjan entre 2015 et 2017, causée par la chute du cours du Brent, le gouvernement a décidé de mettre en œuvre une politique de diversification de son économie, poursuit Serge Krebs. Cela passe par une relance de l’agriculture avec quelques grands projets nouveaux (ndlr : coton, tabac, fruits et légumes…). Ou bien par le développement de la pétrochimie. Ou encore par la volonté de favoriser le tourisme du côté de Bakou  cette politique rencontre un succès certain. » Autant de secteurs pour lesquels de nombreuses entreprises françaises ont clairement un savoir-faire et des atouts à faire valoir.

La Géorgie quant à elle semble à mi-chemin entre ces deux voisins. Elle peut compter sur des ressources minières spécifiques comme le manganèse (215 millions de tonnes de réserves), le charbon (400 millions de tonnes), la baryte (15 millions de tonnes), mais aussi du cuivre et du zinc. Côté hydrocarbures, elle est assise sur quelques réserves qu’il reste à exploiter, avec onze gisements de pétrole identifiés (28 millions de tonnes). Sa situation géographique la place également sur les tracés de plusieurs pipelines, entre l’Azerbaïdjan, la Turquie, et ce jusqu’aux portes de l’Union européenne – avec laquelle elle a signé en 2014 un accord d’association – ce qui permet au gouvernement de Tbilissi de profiter d’opportunités d’affaires importantes sur les marchés du gaz et du pétrole. Enfin dernier point, et non des moindres : la Géorgie dispose également d’une grande richesse, l’eau. Le pays a donc fait le choix de développer en priorité sa production hydroélectrique.
 

Nouvelles technologies : l’avenir en marche

Si les trois pays du Caucase présentent donc des profils différents, ils ont aussi de grands points communs, comme la volonté d’ouvrir leurs économies aux nouvelles technologies. Dans son processus de diversification, l’Azerbaïdjan a mis un coup d’accélérateur dans ce domaine, les hautes technologies ne représentant, en 2017, que 1,6% de son PIB. Parmi les nombreux parcs industriels mis en place ces dernières années dans le pays, deux d’entre eux sont consacrés aux hautes technologies, ceux de Pirallahi et de Mingäçevir, placés sous la tutelle du ministère des Communications et des Hautes technologies. Chaque année, de grands rendez-vous internationaux sont également organisés dans la capitale azérie, comme la WCO IT Conference dont la dernière édition a eu lieu en juin 2019. Une occasion pour Bakou d’attirer près de 1000 délégués venus de 90 pays afin de promouvoir ce secteur. Dans son discours d’ouverture, le Premier ministre azerbaïdjanais Novruz Mammadov a rappelé son credo : « Les hautes technologies sont un des principaux moteurs pour le développement économique du pays. » De nombreux projets pilotes ont ainsi été dévoilés, dans les domaines de l’intelligence artificielle, de la reconnaissance faciale, de la robotique et des drones, mais aussi tournés vers l’écologie avec des solutions industrielles visant à réduire l’impact des transports et des émissions de gaz à effets de serre. Résultat de cette dynamique, en 2019, le secteur non pétrolier a connu une augmentation de 14%, de même que les exportations non pétrolières..

Plus à l’ouest, la Géorgie a elle aussi fait le choix de développer les nouvelles technologies avec l’implantation de la Silicon Valley Tbilisi, en plein cœur de la capitale, qui réunit des entreprises géorgiennes et internationales. Fort d’une armée de développeurs, d’ingénieurs et d’entrepreneurs, le pays a décidé ces dernières années de privilégier ce domaine d’activité, du plus jeune âge jusqu’aux études universitaires, avec des écoles dédiées, des formations universitaires de pointe et des incubateurs. Mikheil Batiashvili, alors ministre de l’Éducation et coresponsable du projet, s’est réjoui d’avoir ainsi arrêté la fuite des cerveaux : « Les Géorgiens ne sont plus forcés d’aller se former à l’étranger. Notre Silicon Valley leur donne une chance d’acquérir les savoir-faire les plus récents, et de travailler pour les plus grandes entreprises, sans quitter Tbilissi. »

À 200km plus au sud, à Erevan, on rêve aussi de Californie. Pour attirer les investisseurs étrangers, les autorités arméniennes ont mis en place des zones franches – y compris dans le domaine des hautes technologies et des télécommunications – et fondé le Centre de technologies créatives Tumo. Ici, les jeunes Arméniens de 12 à 18 ans peuvent profiter de formations gratuites pointues. Une réussite puisque Tumo a ouvert deux nouveaux centres, à Paris et à Beyrouth. Installé sur 25000m2, Tumo Erevan se veut un hub en recherche, en ingénierie et en design. Selon Alexis Ohanian, co-fondateur de Reddit, cette politique en faveur des hautes technologies « n’a pas de précédent en Arménie, en particulier pour les jeunes – les plus motivés et les plus optimistes – qui ont réellement la possibilité de déterminer eux-mêmes la direction du développement de leur pays ».

Le développement économique est donc au cœur de toutes les politiques. Pour mettre toutes les chances de son côté, l’Azerbaïdjan a par exemple mis en place d’importants avantages fiscaux, pour une durée de sept ans, à l’attention des investisseurs, locaux comme étrangers. Rendez-vous donc dans cinq ou dix ans à Bakou, Tbilissi ou Erevan pour juger de l’évolution des économies de ces trois pays, si proches et si différents en même temps.