Le feuilleton Baby Loup



Mardi 21 Mai 2019


Symbole des discriminations au travail vécues par les musulmanes pour les uns, étendard de la laïcité à la française pour d’autres, plus de dix ans après le début de l’affaire, la crèche Baby Loup continue de cristalliser des antagonismes politiques traditionnels.



Retour sur les faits

Le feuilleton judiciaire de la crèche Baby Loup est terminé depuis plus de cinq ans, après six ans de bataille juridique à propos du licenciement d’une employée portant le voile. Tout commence le 9 décembre 2008 : Fatima Afif, de retour de congé parental, retourne travailler dans les locaux de la crèche Baby Loup à Chanteloup-les-Vignes (Yvellines). Malgré le nouveau règlement intérieur prohibant le foulard islamique en tant que signe religieux, l’employée de l’association se présente à la crèche vêtue d’un « voile islamique intégral » selon Natalia Baleato, la directrice de l’organisation. Elle refuse alors de se changer : la procédure de licenciement pour faute grave et insubordination est lancée.

Considérant qu’elle a été victime d’une discrimination religieuse, Fatima Afif saisit le conseil des prud’hommes de Mantes-la-Jolie le 9 février 2009 dans l’espoir d’obtenir la nullité du licenciement ainsi que des dommages et intérêts.

S’ouvre alors une longue série de décisions contradictoires, du conseil des prud’hommes à la Cour de cassation, en passant par le comité des droits de l’homme de l’ONU.

Tout d’abord, le conseil des prud’hommes se prononce en 2010 en faveur de la directrice de l’association. Malgré la confirmation de cette décision en appel en 2011, elle est cassée par la Chambre sociale de la Cour de cassation en 2013. Finalement après six ans de jugements successifs, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation rejette le pourvoi demandé par madame Afif.

La réaction politique

Mais la crèche Baby Loup est devenue un symbole pour les défenseurs d’une certaine conception de la laïcité ; l’affaire est vite devenue un sujet politique.

Dès 2010, Jeanette Bougrab, Présidente de la Halde (Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité), prend la défense de l’association qui avait pour objectif de proposer un service de crèche ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept pour dynamiser le quartier en offrant une liberté aux femmes du secteur. Son soutien n’a pas faibli et elle défend toujours une vision stricte de la laïcité – rigoriste, selon ses détracteurs – au nom de la lutte contre le communautarisme et du respect des droits des femmes.

Dans la même tradition idéologique, Manuel Valls et Éric Ciotti se prononcent le 26 mars 2016 en faveur d’une loi pour clarifier la situation et permettre d’étendre la neutralité religieuse des fonctionnaires à certaines entreprises privées.

Face à eux, des associations contre les discriminations comme le CCIF (collectif contre l’islamophobie en France) ont soutenu Madame Afif. Ils furent rejoints en août 2018 par le Comité de l’ONU qui conclut que l’obligation imposée à Fatima Afif de retirer son foulard constitue « une restriction portant atteinte à la liberté de religion » qui agit « en violation » du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ratifié par la France.

L’association Baby Loup face à la crise

Petite crèche de quartier, Baby Loup est médiatiquement marquée par cette affaire. Comment cette petite structure peut-elle refonder son identité aujourd’hui ?

Il semblerait que la communication menée par l’association a été efficace. Consciente que l’affaire la dépassait et concernait l’ensemble des Français sur une question très sensible, la directrice de la crèche a opté pour une stratégie de déplacement du problème. Madame Baleato ne s’est effectivement que peu exprimée au sujet de cette affaire directement. Au contraire, elle a laissé ses avocats se charger de la défense purement judiciaire de la crèche. Il n’y avait certainement que des coups à prendre pour la petite structure locale. Cela a permis de ne pas trop froisser ses clients et les citoyens tout en maintenant sa position.

Cependant, le système médiatique a été très bien employé pour communiquer depuis le début de l’affaire. Ainsi Natalia Baleato a profité des personnalités politiques prestigieuses qui prenaient sa défense. Baby Loup a donc joui d’une très bonne image de la part des tenants d’une lecture stricte de la laïcité, séduits par les discours d’Élisabeth Badinter, Jeannette Bougrab, Manuel Valls et Alain Finkielkraut, et d’une image acceptable pour les autres, puisque l’association était soutenue par 87 % des Français.

La récupération politique a fortement agacé les adversaires de l’association. « La présence de la presse n’est pas le fait de ma cliente », a déclaré sèchement Maître Majda Régui, avocate de Madame Afif « et c’est bien le signe que l’employeur a instrumentalisé le dossier ». « Il est inadmissible d’avoir politisé un dossier qui relève d’une affaire privée » selon Maître Régui, dépassée par l’ampleur de la polémique. Contrairement à l’association Baby Loup, Madame Afif n’a pas su profiter de cette tribune médiatique.

La crèche a-t-elle préféré communiquer sur son modèle de développement de territoires défavorisés : un sujet bien plus consensuel que la question précise de l’autorisation du port du foulard au travail. La directrice Natalia Baleato a ainsi donné des interviews à propos du rôle de la crèche au modèle unique en France d’ouverture en continu. Même lorsqu’elle est interrogée à propos de l’affaire de licenciement au micro de France Info, elle préfère en parler le moins possible et mettre en avant le rôle d’utilité publique de la crèche et son implantation locale dans le quartier de la Noé à Chanteloup-les-Vignes.

Finalement, Baby Loup a réussi à affirmer deux composantes de son identité tout en maintenant une bonne image. Elle a largement communiqué sur son rôle pour les femmes dans les quartiers défavorisés et multiculturels, laissant la défense d’un vivre-ensemble basé sur une certaine lecture de la laïcité aux pouvoirs politique et judiciaire. C’est une stratégie fine et intelligente qui a permis à Baby Loup de défendre son image, son modèle, ses idées et sa notoriété.

Si la crèche a dû déménager à cause de « pressions » subies en 2013, elle a pu s’implanter à Conflans-Sainte-Honorine en 2014 et bénéficie du soutien des pouvoirs publics. Rencontrant des difficultés financières, la députée de la deuxième circonscription des Yvelines, Valérie Pécresse, aujourd’hui Présidente du conseil régional d’Île-de-France a subventionné la crèche en 2014. La crèche a donc aujourd’hui passé cette crise en sortant par le haut : un bel exemple de rebond positif après une crise qui aurait pu lui être fatale.

Victor Asso Roudieres