Meta échappe au démantèlement : la justice américaine rejette l’accusation de monopole



Mercredi 19 Novembre 2025


Le verdict du 18 novembre 2025, qui écarte les accusations de monopole visant Meta, marque un tournant réglementaire majeur aux USA. En rejetant la demande de la FTC d’imposer la cession d’Instagram et WhatsApp, la justice redéfinit le périmètre d’intervention de l’État dans la concurrence numérique et fragilise l’ambition d’un modèle antitrust plus offensif.



Une défaite stratégique pour la FTC qui réinterroge la régulation de la concurrence aux États-Unis

Le 18 novembre 2025, un juge fédéral a estimé que Meta ne détenait pas de monopole illégal, invalidant les arguments avancés depuis 2020 par la FTC, qui dénonçait une domination anticoncurrentielle dans les réseaux sociaux. Le jugement bouleverse la stratégie réglementaire américaine.

Pour la FTC, ce procès représentait l’un de ses dossiers phares en matière de concurrence numérique. Depuis décembre 2020, l’agence plaidait que Meta verrouillait le marché du « personal social networking » à travers l’intégration d’Instagram (acquis environ 1 milliard de dollars, soit près de 750 millions d’euros) et de WhatsApp (racheté 19 milliards de dollars, environ 14,2 milliards d’euros). L’action initiale était soutenue par 46 États américains traduisant un climat politique hostile aux grandes plateformes.

Pourtant, malgré cette coalition, la justice a estimé que l’agence n’avait pas démontré une situation de monopole actuelle. « Qu’il s’agisse d’un monopole passé, l’agence doit montrer qu’il perdure aujourd’hui ; le verdict conclut qu’elle ne l’a pas fait », a rappelé le juge James E. Boasberg selon l’Associated Press. Ce raisonnement, essentiel, consacre une exigence probatoire élevée : la FTC doit prouver une domination présente, non une trajectoire historique.

L’agence s’appuyait sur l’idée d’une stratégie « buy or bury », synthétisée par Business Insider, et citait un email interne de Mark Zuckerberg déclarant qu’« il vaut mieux acheter que concurrencer ». Cependant, le tribunal a jugé le marché trop dynamique pour valider cette analyse. La croissance rapide de TikTok, combinée à la force structurelle de YouTube, a été considérée comme un facteur décisif. Cette concurrence active invalide, selon la justice, l’hypothèse d’un marché étroit contrôlé par Meta.

En rendant Meta non monopolistique, la justice redéfinit le marché des réseaux sociaux

La décision repose sur une requalification majeure du marché pertinent. Contrairement à la FTC, qui défendait une segmentation stricte autour des services relationnels entre amis et famille, le tribunal a considéré que les usages sociaux s’étaient hybridés. Le juge Boasberg a rappelé que les applications de Meta « étaient raisonnablement interchangeables avec TikTok et YouTube », d’après The Verge. Autrement dit, le marché pertinent n’est plus celui des réseaux sociaux personnels, mais un espace plus large où se chevauchent divertissement, interaction sociale et contenus vidéo.

Dans ce contexte, même les difficultés rencontrées par Meta face à TikTok ont pesé dans l’analyse judiciaire. Mark Zuckerberg a admis que la croissance de Meta avait subi un « ralentissement dramatique » sous la pression du concurrent chinois, selon le New York Post. Le juge en a déduit que Meta n’impose plus un contrôle exclusif mais fait face à un environnement concurrentiel intense, ce qui complique toute prétention de monopole.

Cette redéfinition du marché rend logique, aux yeux du tribunal, le refus du démantèlement. La justice écarte ainsi la demande de séparation structurelle d’Instagram et de WhatsApp, pourtant au cœur de l’ambition réglementaire portée par Lina Khan à la tête de la FTC. Pour la régulation américaine, le revers est sévère : après l’échec du blocage de l’acquisition de Within, le signal envoyé aux acteurs de la tech est que les interventions tardives sur des opérations achevées depuis plus de dix ans sont difficilement défendables devant les tribunaux.

Un verdict aux fortes implications réglementaires

Le verdict pose un constat clair : la boîte à outils réglementaire américaine peine à encadrer les stratégies de consolidation des géants technologiques lorsque les acquisitions ont déjà transformé le marché. La FTC l’a reconnu, exprimant sa « profonde déception » et affirmant qu’elle « examinait toutes ses options », ainsi que le rapporte l’Associated Press. Toutefois, les possibilités d’appel apparaissent étroites, tant le raisonnement du tribunal est ancré dans une analyse économique du marché actuel.

Pour Meta, au contraire, la décision représente un terrain réglementaire stabilisé. L’entreprise a déclaré que le jugement confirmait qu’elle « fait face à une concurrence intense », toujours selon l’Associated Press. Le débat se déplace désormais sur le terrain politique. Plusieurs voix, citées par The Guardian et NPR/KGOU, estiment que la décision montre les limites d’un droit antitrust conçu pour des industries linéaires, peu adapté aux plateformes numériques où les effets de réseau brouillent les frontières entre marchés. Pour ces acteurs, l’échec de la FTC confirme la nécessité d’une réforme législative qui permette d’agir en amont des fusions, plutôt que de tenter des démantèlements a posteriori.


 

François Lapierre