Projet d’acier décarboné : le revirement d’ArcelorMittal en Allemagne



Vendredi 20 Juin 2025


Le secteur de l’acier se voulait pionnier de la décarbonation industrielle. Une décision récente d’ArcelorMittal vient ébranler cette ambition. Pourquoi ce retrait choc ? Et quelles en seront les répercussions économiques, climatiques et sociales ?



Acier décarboné : Une ambition industrielle enterrée par la réalité économique

Le jeudi 19 juin 2025, le groupe sidérurgique ArcelorMittal a annoncé l’annulation d’un ambitieux projet de décarbonation destiné à transformer ses usines d’acier à Brême et Eisenhüttenstadt, en Allemagne. Le projet, initialement chiffré à deux milliards cinq cents millions d’euros selon Le Figaro, incluait un soutien public conséquent de un milliard trois cents millions d’euros. L’entreprise justifie cette décision par l’« insuffisance de rentabilité » de la transition, dans un contexte de pression économique croissante.

Le projet avorté devait permettre à ArcelorMittal d’implanter des technologies bas carbone dans ses installations allemandes : fours électriques et unités de réduction directe du minerai de fer à l’hydrogène vert ou au gaz naturel, destinées à remplacer les hauts fourneaux classiques, fortement émetteurs de dioxyde de carbone. Cette transition aurait constitué un jalon essentiel pour répondre aux objectifs climatiques de l’Union européenne à l’horizon 2030.

Mais les obstacles se sont accumulés. D’abord, le marché européen de l’acier est en crise. La demande s’effondre, freinée par un ralentissement de la construction et de l’industrie, tandis que les importations en provenance de Chine et d’Inde, à prix cassés, se multiplient. Ensuite, les coûts énergétiques allemands figurent parmi les plus élevés d’Europe, grevant lourdement les perspectives de retour sur investissement.

Déficit de compétitivité et crise énergétique : un mur pour la sidérurgie

Le renoncement d’ArcelorMittal ne se limite pas à un choix tactique isolé : il reflète un déséquilibre structurel qui fragilise l’ensemble de la filière sidérurgique européenne. En plus des importations à bas coût, les entreprises subissent la volatilité des prix de l’électricité. En Allemagne, la transition énergétique vers les énergies renouvelables, bien qu’indispensable, n’a pas encore permis une stabilisation tarifaire.
La réduction directe du fer à partir d’hydrogène vert – perçue comme une technologie clé pour décarboner l’acier – demeure peu disponible à l’échelle industrielle et financièrement inaccessible. Le soutien public n’a pas suffi à combler ce gouffre entre ambitions et faisabilité, relaye La Provence

Une crise plus large que le seul cas ArcelorMittal


Cette annulation s’inscrit dans une série de signaux d’alarme. En France, ArcelorMittal a déjà annoncé la suppression de 630 postes à Dunkerque. En Allemagne, son concurrent Thyssenkrupp prévoit onze mille licenciements. Le secteur est à la peine, sur fond d’objectifs climatiques de plus en plus difficiles à atteindre.
La décarbonation de l’acier est pourtant un enjeu central pour atteindre les cibles environnementales du Pacte vert européen. En renonçant à transformer ses deux sites allemands, ArcelorMittal affaiblit les chances d’atteindre une réduction significative des émissions de CO₂ dans l’industrie lourde d’ici 2030. Le groupe admet désormais qu’un tel objectif est « de plus en plus improbable ».
Malgré cette décision, ArcelorMittal affirme ne pas renoncer à son engagement climatique global. Le groupe entend continuer à investir dans des solutions de substitution dès que les conditions techniques et économiques seront réunies. Mais entre temps, l’hydrogène reste rare, cher, et dépendant d’une infrastructure encore balbutiante.

Un dilemme européen : rentabilité ou transition ?

Derrière cette décision, une réalité s’impose : la transition énergétique, aussi urgente soit-elle, ne peut pas reposer uniquement sur des volontés politiques. Sans transformation structurelle des conditions de marché – prix de l’énergie, régulation des importations, subventions à l’innovation – les grands industriels peinent à suivre. Et renoncent.
Le gouvernement allemand, qui vient de placer les tarifs énergétiques au cœur de sa stratégie de relance industrielle, saura-t-il corriger cette trajectoire ? Les mois à venir seront décisifs pour juger si l’Union européenne peut allier compétitivité industrielle et neutralité carbone. Pour l’instant, la sidérurgie recule. Et avec elle, une part de l’ambition climatique du continent.

Aurélien Lacroix