Publicité sur Internet : vers une interdiction des bloqueurs comme AdBlock en Europe ?



Mardi 19 Aout 2025


Le procès allemand autour des bloqueurs de publicité n’est plus seulement une affaire juridique : il cristallise les enjeux d’un secteur marketing dépendant du digital et interroge l’avenir des modèles publicitaires en Europe.



Bloqueurs de publicité : une décision favorable à Axel Springer

Le 31 juillet 2025, la Cour fédérale allemande (BGH) a ravivé un vieux conflit : celui opposant Axel Springer à l’éditeur d’Adblock Plus, Eyeo. En estimant que le code généré par un navigateur pouvait relever du droit d’auteur, le tribunal ouvre un front inédit. Au-delà du droit, c’est l’économie de la publicité en ligne qui se trouve fragilisée un peu partout dans le monde à cause de ces outils.

La publicité reste, en 2025, la principale source de revenus pour la majorité des éditeurs numériques. Selon les données de l’IAB Europe, près de 80 % des revenus médias digitaux sur le continent reposent sur les recettes publicitaires. Or, l’essor des bloqueurs a grignoté ce socle : en Allemagne, leur taux de pénétration atteint régulièrement plus de 20 % des internautes, un chiffre supérieur à la moyenne européenne selon Golem.de.

Pour un groupe comme Axel Springer, la perte est tangible. Ses dirigeants estiment à plusieurs dizaines de millions d’euros le manque à gagner annuel imputable aux bloqueurs. C’est pourquoi la maison-mère de Bild et Die Welt se bat depuis 2015 pour qualifier juridiquement l’action d’Adblock Plus comme une atteinte à ses droits exclusifs. Jusqu’ici débouté, Springer voit avec la décision du BGH une fenêtre de tir inédite.

Des arguments juridiques qui redessinent la frontière entre technologie et marketing

Le cœur du débat repose sur une question technique mais cruciale : la modification du DOM et du CSS par un bloqueur équivaut-elle à altérer une œuvre protégée ? Pour la BGH, il est « plausible » que ces structures dynamiques soient couvertes par le droit d’auteur (§69a et 69c de l’UrhG). Si cette interprétation est confirmée en appel, elle placerait les bloqueurs dans l’illégalité en Allemagne.

Une telle lecture bouleverserait le cadre dans lequel évoluent les régies publicitaires et les annonceurs. Car elle reviendrait à criminaliser des pratiques massivement adoptées par les consommateurs. Comme le souligne l’analyse de Inside Tech Law, « la décision de la BGH pourrait influencer durablement le débat sur la protection des structures générées par navigateur et, par ricochet, sur la valeur de l’inventaire publicitaire digital ».

Quelles perspectives pour les marques et le marché européen ?

Pour les annonceurs, une interdiction des bloqueurs représenterait une victoire à court terme : davantage d’impressions, un reach plus fiable, et donc une meilleure rentabilité des campagnes. Mais l’équation est plus complexe. Les utilisateurs allemands qui ont adopté les bloqueurs pour des raisons de confort, de confidentialité ou de sécurité pourraient se détourner massivement des plateformes publicitaires intrusives. À long terme, c’est la confiance dans l’écosystème publicitaire qui se joue.

L’enjeu dépasse par ailleurs l’Allemagne. Si la jurisprudence venait à s’étendre, notamment par le biais de la Cour de justice de l’Union européenne, les marques opérant dans plusieurs pays devraient adapter leur stratégie. L’Europe, où la publicité numérique représentait plus de 86 milliards d’euros en 2024 (IAB Europe), pourrait voir son marché réorganisé autour d’un nouvel équilibre entre droit d’auteur, innovation technologique et protection des consommateurs.

Le verdict définitif attendu d’ici un à deux ans ne tranchera pas seulement un litige entre Axel Springer et Eyeo : il pourrait redéfinir la manière dont la publicité digitale s’exerce sur le Vieux Continent. Pour les décideurs marketing, il s’agit dès aujourd’hui d’anticiper les scénarios possibles, entre retour en force des formats imposés et accélération des stratégies orientées vers l’expérience utilisateur et la publicité responsable.

Aurélien Lacroix