Alexandra Demeure est juriste spécialisée en droit communautaire. Elle est diplômée de la… En savoir plus sur cet auteur

Recruter un travailleur étranger : procédure et obstacles



Mardi 29 Novembre 2011


Le nombre de Français, actifs et inactifs, quittant la France chaque année est en constante augmentation (+2,3% en 2010 (1)), et ces flux d’émigration s’entrecroisent avec les flux d’immigration de populations étrangères vers la France. Parmi elles, des étudiants, des conjoints de Français, mais aussi des travailleurs. Or, par la loi du 24 juillet 2006(2), le législateur français a opéré de profondes modifications du droit de l’immigration professionnelle, dans un souci de rééquilibrage et de meilleure adaptation des flux migratoires aux besoins socio-économiques de la France. Implications pour les recruteurs.



Dans un monde en perpétuel mouvement, la mobilité internationale des salariés est devenue un véritable enjeu pour les entreprises et les scenarii sont multiples : détachement d’un salarié à l’étranger par un employeur français, détachement transnational d’un travailleur par un employeur établi hors de France, transfert du contrat de travail, mais aussi (et c’est sur ce cas de figure que nous nous concentrerons) recrutement d’un travailleur étranger par un employeur français. Quels sont les étrangers qui peuvent travailler librement en France, et quels sont ceux qui ont besoin d’une autorisation de travail (I) ? Quelles en sont les modalités d’obtention et quels peuvent en être les obstacles (II) ?


I/ La nécessité de principe d’une autorisation de travail pour les étrangers d’une nationalité hors Espace Economique Européen ou Suisse

Employer un européen

La liberté de circulation des travailleurs est l’un des piliers de l’Union européenne depuis ses origines(3). Dès lors, le principe est que tous les nationaux des 27 Etats Membres de l’Union européenne peuvent s’installer et travailler librement dans un Etat Membre autre que leur Etat d’origine. Il est donc possible de conclure un contrat de travail avec un national de l’Union européenne sans aucune forme d’autorisation préalable. A ces 27 Etats Membres, s’ajoutent dans ce principe la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein (c’est l’Espace Economique Européen – EEE) et la Suisse. Enfin, sont ici assimilés à l’Union européenne Andorre, Monaco et Saint Marin.

Pour autant, des mesures restrictives ont été maintenues de manière transitoire à l’égard de la Roumanie et de la Bulgarie. Jusqu’au 1er janvier 2014 au plus tard, les citoyens bulgares et roumains, qui souhaitent occuper un emploi salarié en France, doivent obtenir une autorisation de travailler et détenir un titre de séjour. Une préférence communautaire leur est cependant accordée par rapport aux travailleurs non-européens.

Employer un non-européen

Tout autre national (hors EEE et Suisse) qui souhaite venir travailler en France est soumis à l’obligation d’obtention préalable d’une autorisation de travail. Celle-ci est normalement valable pour un emploi précis chez un employeur particulier. En revanche, certains visas de long séjour valant titre de séjour (VLS-TS) et certains titres de séjour valent par eux-mêmes autorisation de travail une fois obtenus, pendant leur durée de validité (en principe comprise entre 3 mois et 1 an). Dès lors, l’étranger peut exercer l’activité salariée de son choix sur l’ensemble du territoire métropolitain et pour n’importe quel employeur. C’est le cas notamment de la carte de résident, de la carte de séjour temporaire « étudiant » (dans la limite de 964 heures de travail par an) ou du VLS-TS « vie privée et familiale » délivré aux conjoints de Français.

S’il souhaite s’installer durablement en France, le travailleur étranger doit par ailleurs attester de sa bonne connaissance de la langue française (test assuré par l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration – OFII), ou s’engager à la connaître dans les 2 ans suivant son installation.



II/ La procédure d’obtention d’une autorisation de travail

Une procédure administrative à la charge de l’employeur

La demande d’autorisation de travail est une démarche qui doit être effectuée par l’employeur. Si l’étranger réside hors de France, il s’agit de la procédure d’introduction d’un salarié étranger. Si l’étranger réside en France, il s’agit de la procédure de changement de statut (pour un étranger en situation régulière) ou de l’admission exceptionnelle au séjour en qualité de salarié (pour un étranger en situation irrégulière). Dans tous les cas, elle permet – entres autres – à un employeur français de faire face à une pénurie de candidats, de recruter du personnel ayant des compétences spécifiques, ou encore d’accueillir un salarié du même groupe international.

L’employeur, qui souhaite faire une demande d’autorisation de travail, doit d’abord remplir le formulaire CERFA correspondant à la nature de l’activité salariée concernée, à sa durée et au type de contrat proposé(4). Il existe ainsi des formulaires adaptés à une grande variété de situations, telles que le mannequinat, l’emploi d’un jeune professionnel, le travail saisonnier, le contrat à durée déterminée de plus de 12 mois ou à durée indéterminée.

L’employeur doit ensuite attacher à sa demande les pièces administratives listées par l’arrêté du 10 octobre 2007(5). Ces documents concernent à la fois l’employeur, qui devra fournir par exemple un extrait K bis à jour ou la copie du dernier bordereau de versement des cotisations et contributions sociales, et le travailleur étranger, qui lui devra apporter la preuve de ses qualifications. La demande devra être déposée à l'unité territoriale du département concerné de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) compétente, et la décision sera prise par le préfet dans les 2 mois. L’absence de décision dans les 2 mois suivant le dépôt du dossier vaut rejet implicite de la demande, mais il est à noter que la DIRECCTE a l’obligation d’indiquer à l’employeur et au travailleur les raisons du refus ainsi que les voies et délais de recours.

Sept critères déterminants dans l’examen de la demande

Les critères pris en compte dans l’examen d’une demande d’autorisation de travail sont au nombre de sept, selon l’article R5221-20 du Code du Travail :
- la situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique, compte tenu des spécificités du poste de travail et des recherches déjà effectuées par l'employeur pour recruter un demandeur d'emploi déjà présent sur le marché du travail ;
- l’adéquation entre les compétences du salarié et les caractéristiques de l’emploi ;
- le respect par l'employeur de la législation relative au travail et à la protection sociale ;
- le respect, le cas échéant, des conditions réglementaires d'exercice de l'activité considérée ;
- les conditions d'emploi et de rémunération offertes à l'étranger, qui sont comparables à celles des salariés occupant un emploi de même nature dans l'entreprise ou, à défaut, dans la même branche professionnelle ;
- le salaire proposé à l'étranger qui, même en cas d'emploi à temps partiel, est au moins équivalent au SMIC ;
- et enfin, les dispositions prises, éventuellement, par l'employeur pour permettre à l'étranger qui entre en France de se loger dans des conditions normales.

La non-opposabilité de la situation de l’emploi à certaines demandes

La première de ces conditions (la situation de l’emploi) ne peut pas être opposée à une demande d’autorisation de travail lorsque celle-ci concerne un métier caractérisé par des difficultés de recrutement. Depuis l’arrêté du 11 août 2011(6), la liste de ces métiers, qui était auparavant fixée par région, est désormais établie pour l'ensemble du territoire national et seuls 14 métiers sont désormais dits « en tension ». Il en est notamment ainsi de la conception et du dessin de produits mécaniques, du marchandisage, ou encore du téléconseil et de la télévente.

Les travailleurs algériens et tunisiens ne sont pas concernés par cette liste et, à l’inverse, les ressortissants bulgares et roumains se voient appliquer le bénéfice d’une liste élargie de 150 métiers(7). De même, la France a conclu différents accords bilatéraux de gestion concertée des flux migratoires, notamment avec le Congo, le Bénin, le Sénégal et l’Ile Maurice, et une liste de métiers propres à ces accords s’ajoutent à la liste précitée des métiers « en tension ».

Enfin, la situation de l’emploi n’est pas opposable à certaines catégories de travailleurs, tels les jeunes en « vacances-travail » (working holiday visa) ou encore les salariés « en mission ».

L’absence de candidat national ou européen éligible

L’employeur qui souhaite faire rentrer un travailleur étranger sur le territoire national doit en outre apporter la preuve qu’il a déjà essayé de recruter sur le marché du travail un demandeur d’emploi, afin de ne pas se voir refuser sa demande. Il doit effectuer des recherches « auprès des organismes de placement concourant au service public du placement », selon d’article R5221-20 précité. En d’autres termes une attestation de Pôle Emploi doit être jointe au dossier.

Il est à noter que le législateur français n’a pas été des plus exigeants avec les employeurs français, s’agissant des recherches préalables à la demande d’autorisation de travail. D’autres juridictions européennes, telles que la République d’Irlande, exigent que l’offre d’emploi soit publiée pendant 8 semaines sur le réseau national (FAS, l’équivalent de Pôle Emploi) et européen (EURES), mais également que le poste soit publié pendant 6 jours dans la presse écrite locale et nationale. Par ailleurs, une demande de permis de travail ne peut en principe être effectuée en République d’Irlande que pour les postes dont la rémunération annuelle excède 30 000€ tandis que, dans un souci d’ouverture, notre législateur offre la possibilité de déposer une demande dès lors que le salaire offert est au moins égal au SMIC.

Une fois l’autorisation de travail accordée, le travailleur étranger doit effectuer une visite médicale, avant ou après son arrivée sur le territoire français, et lui ainsi que son employeur français doivent s’acquitter d’une taxe auprès des services de l’OFII. Ce n’est que sous condition d’accomplissement de l’ensemble de ces démarches que la nouvelle recrue pourra, en toute légalité, apporter son savoir-faire et ses compétences à l’entreprise française qui l’emploie.


(1) Au 31 décembre 2010, 1 504 001 personnes étaient inscrites au registre mondial des Français établis hors de France. Source : www.diplomatie.gouv.fr.

(2) Loi n° 2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, disponible sur www.legifrance.gouv.fr.

(3) Article 39 du Traité instituant la Communauté européenne, dit Traité de Rome, 1957.

(4) Disponibles en ligne sur le site du Secrétariat Général à l’Immigration, l’Intégration, l’Asile et le Développement Solidaire, rattaché au Ministère de l’Intérieur, de l’Outre-Mer, des Collectivités Territoriales et de l’Immigration : www.immigration.gouv.fr.

(5) Arrêté du 10 octobre 2007 fixant la liste des pièces à fournir à l'appui d'une demande d'autorisation de travail

(6) Arrêté du 11 août 2011 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse

(7) Arrêté du 18 janvier 2008 relatif à la délivrance, sans opposition de la situation de l'emploi, des autorisations de travail aux étrangers non ressortissants d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse

Plus d’informations :
www.immigration-professionnelle.gouv.fr
www.service-public.fr
www.ofii.fr


Alexandra Demeure