Relations Syrie-Russie : pourquoi le pays est stratégique pour Moscou



Mardi 25 Juin 2013


Le conflit actuel en Syrie ne fait pas les affaires de tout le monde. C’est le cas de la Russie pour qui le pays représente à la fois un allié, mais aussi une implantation stratégique sur le plan militaire et culturel.



Les raisons de l’intérêt russe pour le régime syrien

Vue de la mer Méditerranée
La Syrie est un allié hautement stratégique de la Russie du fait notamment de sa position dans le pourtour méditerranéen. Dans ces conditions, la politique russe vise à négocier une fin de crise pacifique dans le pays, non pas tant pour soutenir Bachar Al-Assad que par peur du régime qui pourrait le remplacer, et qui pourrait faire évacuer la présence russe dans le pays. C’est pourquoi Moscou s’efforce (avec la Pékin) de faire respecter le droit de non-ingérence des pays de l’ONU et s’oppose catégoriquement, en mettant sur la table son droit de veto, aux sanctions et résolutions contraignantes prises dans le cadre du Conseil de Sécurité de l’ONU.

Les positions de la Russie

En premier lieu, s’il est vrai que la Russie livre des armes pour l’armée syrienne, on remarque toutefois que « Moscou défend aussi traditionnellement dans cette région les minorités chrétiennes, en même temps qu’elle valorise le laïcisme affiché du régime alaouite contre les tentations islamistes » (1). C’est parallèlement une manière de retrouver une place stratégique prépondérante dans la région du Moyen-Orient, et de se placer en défense du principe de non-ingérence. Cette idée concorde avec la volonté de retrouver la vigueur et le leadership que la Russie possédait du temps de l’U.R.S.S., notamment avec le pacte de Varsovie, où elle était la tête de file des pays émergents, se trouvant à la marge du Mouvement des Non Alignés.
 
C’est donc avec intelligence que Moscou procède d’une logique de soft power – soit d’influence non coercitive – dans la région. Mais il existe un paradoxe dans la gestion stratégique de la zone géographique puisque, comme le fait remarquer Frédéric Pichon, d’une « part, la dimension religieuse joue un grand rôle dans les représentations des dirigeants comme de l’opinion quant au conflit syrien. L’orthodoxie russe reste très attachée à une forme d’universalisme du Patriarcat de Moscou, qui fait de la Russie la protectrice traditionnelle des minorités chrétiennes dans le monde arabe »(2). Alors que dans le même temps, « la « laïcité » du régime syrien est également une des raisons du soutien de Moscou à Damas. […]. Le soutien russe au dernier régime baasiste revêt donc une dimension psychologique indéniable, dans un Moyen-Orient que les dirigeants russes perçoivent comme de plus en plus dominé par l’islam politique »(3). Il existe donc un appui idéologique, pour autant la présence russe dénote aussi d’une stratégique plus globale.

Un soutien logistique

La Syrie est un point d’appui stratégique pour la Russie. D’abord parce que la Russie a effectué des livraisons d’armes en quantité en direction de la Syrie. Entre 1982 et 1986, la « dotation de l’armée syrienne passe alors de 3 200 à 4 400 chars, et de 440 à 650 avions. Côté artillerie, elle est dotée de 4 000 pièces, et les sites de défense antiaérienne passent de 100 à 180 »(4). A cela, il faut ajouter des missiles SS-21, missiles sol-sol d’une portée de 100 kilomètres, ainsi que de nombreuses munitions. Cet arsenal constitue encore le socle de l’armée syrienne qui, bien que vieillissant, est toujours très actif et prompt à mener des opérations.
 
En outre, la Syrie présente un avantage sur le plan maritime pour la Russie. La base de Tartous située sur la méditerranée est l’unique base navale russe à l’extérieur de son territoire (hors ex-URSS). Obtenue par un accord entre l’Union soviétique et la Syrie en 1971, elle sert encore de point de ravitaillement matériel et logistique de la marine russe, notamment pour sa présence en mer Noire. Même si aujourd’hui elle reste peu utilisée, ce point d’ancrage en méditerranée présente un enjeu stratégique important.

Avenir de l’opposition et du régime de Bachar Al-Assad

La révolte syrienne s’est déclarée tardivement par rapport à d’autres régimes de la sphère arabe. Plusieurs raisons sont envisageables comme la peur d’une répression irascible du pouvoir politique central, mais aussi une « situation économique peut-être moins défavorable que dans les autres pays arabes »(5).
 
Le futur de la Syrie est intimement lié au sort que lui réserve la scène internationale. Même si une intervention de la coalition n’est pas envisageable à courte échéance (notamment à cause du terrain plus difficile qu’en Libye ou qu’au Mali), une pression de pays clefs tels que les États-Unis ou la Chine peut être déterminante sur l’issue du conflit. Mais la révolte syrienne (ou peut être plus tard ce qui sera la révolution) risque de se mesurer sur un temps long. Ainsi Farrid-Frédéric Sarkis précise que la révolte « syrienne peut mettre plusieurs années comme l’indépendance algérienne. Si elle reste seule, cela durera longtemps. Si elle est armée, cela pourra aller plus vite ». Par ailleurs, le « pouvoir refuse toutes les propositions de transition », c’est seulement si « la pression des Russes et des Chinois est assez forte [que] cela peut changer, mais c’est peu probable »(6).
 
Enfin, la chute du régime syrien risquerait de poser de nombreux problèmes, notamment parce qu’on ignore la nature du régime qui le remplacerait, mais aussi parce qu’en cas de chute du régime en place, il y a un risque que les armes présentes sur le territoire soient transférées dans d’autres pays. Et l’on peut aisément faire la comparaison avec la chute du régime libyen dont les stocks d’armes et de munitions de l’armée ont fourni les groupes terroristes voisins, notamment ceux présents au Mali.

(1) Pichon Frédéric, « La Syrie, quel enjeu pour la Russie ? », Politique étrangère, 2013/1 Printemps.
(2) Ibidem.
(3) Ibidem.
(4) Ibidem.
(5) Sarkis Farrid-Frédéric, « La révolution syrienne, deuxième génération », Multitudes, 2012/3 n° 50.
(6) Ibidem.

Florent Polo