Territoire et développement durable: la méthodologie selon François Besancenot



Lundi 14 Décembre 2009


Le concept de développement durable est désormais dans la bouche de tous les médias. Sans nécessairement évoquer le “green-washing”, très en vogue actuellement, bon nombre de journaux, de publicitaires, de commerciaux ou de politiques ont l’impression de l’utiliser à bon escient sans pour autant être capable d’en donner une définition claire. Si plus de quinze ans nous séparent du premier Sommet de la Terre réuni à Rio en 1992, où a été alors officialisé la notion de durabilité, peu de personnages publics se montrent aujourd’hui pédagogues. François Besancenot démontre à partir d’un cas concret, un bassin minier situé au Nord de Mulhouse en Alsace, qu’une démarche peut être facilement comprise et adoptée par tous types de collectivités territoriales.



CdB : Vous venez de publier aux éditions L’Harmattan “Territoire et développement durable: diagnostic”, pourriez-vous nous décrire en quelques mots ce qu’est pour vous le développement durable ?

F.B. : Le développement durable est un mode d’organisation de la société mettant l’homme au centre de toutes les préoccupations. Il lui permet de répondre progressivement à l’ensemble de ses besoins vitaux. Cette vision peut sembler cavalière si l’on ne considère pas le confort de l’homme directement dépendant de l’air qu’il respire, de l’eau qu’il consomme, des solidarités auxquelles il aspire, de la biodiversité nécessaire à l’équilibre naturel et donc à ses propres ressources énergétiques, sanitaires et alimentaires. Dès l’instant que le développement est considéré de cette façon, les trois piliers du développement durable, que sont l’équité sociale, la qualité environnementale et le dynamisme économique, fonctionneront harmonieusement.


CdB : La notion demeure néanmoins très abstraite. Comment la mettre en oeuvre dans un territoire ?


F.B. : Il est vrai que tant qu’on spécule sur la notion de développement durable, tout va bien. Mais lorsqu’on cherche à le mettre en oeuvre à l’échelle d’un territoire ou d’une organisation comme une entreprise, tout se complique. Mes recherches dans le Bassin potassique alsacien (plus de 60 000 habitants, compris en partie dans la Communauté d’Agglomération de Mulhouse Sud-Alsace) ont dévoilé que pour qu’un développement soit durable, le politique doit non seulement planifier mais aussi faire des ajustements réguliers du projet via des indicateurs pertinents. Le Bassin potassique alsacien s’est développé économiquement et socialement pendant près d’un siècle (1904-2002) grâce à l’industrie minière. Passer d’un développement précaire (propre à une économie fondée sur l’extraction d’une ressource épuisable) à un développement durable suppose le choix d’une échelle de territoire pertinente. Il s’agit ensuite de faire le diagnostic détaillé de la région concernée. On mesure alors les forces et faiblesses du territoire, on les confronte aux grands principes immuables du développement durable (préserver les ressources, défendre la cohésion sociale, mettre en valeur le patrimoine, créer une activité économique pérenne, etc.) puis on formule les problématiques qui permettront d’évaluer la politique menée. Cette démarche s’appelle “diagnostic territorial de développement durable”. Elle est pour ainsi dire “la colonne vertébrale” de l’Agenda 21 local, qui concerne aujourd’hui 560 niveaux de collectivités locales et territoriales françaises, de la commune à la région.


CdB : Vous avez travaillé avec les Mines de Potasse d’Alsace et les communes du bassin potassique. Quelles propositions avez-vous faites à l’issue de ce diagnostic de développement durable ?

F.B. : Mon travail a débouché non pas sur des projets d’aménagement mais sur une méthode, c’est à dire un cadre de travail permettant à toute collectivité territoriale d’organiser son Agenda 21 local. Ensuite, libre aux élus et à la population locale de choisir le contenu thématique. A partir de la méthodologie que je mets à leur disposition, les citoyens doivent hiérarchiser puis détailler les enjeux.

L’étude du Bassin potassique à travers ses spécificités identitaires (un grand nombre d’habitants imprégnés par l’histoire de la mine), paysagères (cités minières, terrils de sel, hangars, forêts éparses, voies ferrées), économiques (passage d’une mono-activité minière au déploiement d’activités nouvelles) m’a permis de valider certaines hypothèses.

En effet, pour choisir un territoire pertinent, il faut que la population soit mue par un projet de territoire commun, que le mode de gouvernance qui organise l’Agenda 21 local soit à la fois dirigé (il faut planifier à long terme en petit comité) et consulté (il faut que les concitoyens donnent ensuite leur avis).


CdB : Des collectivités territoriales ou même des entreprises ont-elles déjà utilisé vos travaux ?

F.B. : Au départ, c’est un parc d’activité à vocation environnementale “SECOIA” (Sphère Eco-Industrie d’Alsace) qui est à l’origine du projet. Ses responsables avaient commandé un diagnostic complet du carreau de mine Joseph-Else situé sur la commune de Wittelsheim (sud du Bassin potassique) pour l’aménagement d’un parc d’activité à haute qualité environnementale, élément clé de la ré-industrialisation du bassin. C’est notre laboratoire basé à Paris (Ecole Normale Supérieure en collaboration avec l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de Paris) qui a été chargé de cette étude.

D’autres sites de reconversion du bassin ont ensuite été étudiés. Un financement a pu être trouvé auprès de l’ADEME pour élaborer une méthode de diagnostic territorial de développement durable pour tout le bassin. Nous avons beaucoup travaillé avec les Mines de Potasse d’Alsace, l’ex-Communauté de communes du Bassin potassique ainsi que les associations et les habitants du bassin. Aujourd’hui, ce sont des collectivités comme la Communauté de Mulhouse Sud-Alsace (16 communes, 170 000 habitants), dont le Président Jo Spiegel a préfacé l’ouvrage, qui s’est intéressée à ma démarche. Des organisations comme le Forum pour la gestion des villes et des collectivités territoriales sont intéressés par des formations. Cet ouvrage vient d’être publié, aussi nous attendons avec impatience les réactions des collectivités qui l’auront consulté.



CdB : D’autres démarches de ce type ont du être expérimentées ailleurs, en France et à l’étranger. Qu’en pensez-vous ?


F.B. : Cette démarche n’est certainement pas la seule proposée à ce jour aux collectivités territoriales. Elle présente cependant l’avantage de sélectionner parmi les méthodologies du moment (Charte pour l’environnement, Charte de territoire, Charte de pays, Agence Régionale pour l’Environnement en Midi-Pyrénées, Centre d’études sur les Réseaux, les Transports, l’Urbanisme et les constructions publiques, Charte de développement durable dans le Pays du Bugey, etc.) les éléments de diagnostic les plus pertinents. De nombreux exemples méritent d’être cités en Europe. Des villes comme Berlin en Allemagne, Nacka en Suède, Lille ou Echirolles en France ont développé des plans de développement durable exemplaires. L’originalité de notre diagnostic, outre son protocole innovant, tient dans la manière de choisir un territoire pertinent de projet. Pour ce qui est du Bassin potassique, elle ne se fonde pas uniquement sur des aspects physiques (entre les Vosges à l’ouest et le Rhin à l’est, Mulhouse au sud et Colmar au nord) administratifs (limites communales, départementales, etc.) ou géopolitiques (espace transfrontalier entre France, Allemagne et Suisse), mais sur une identité commune (liée à l’histoire de la mine).

Aujourd’hui, un grand nombre de métropoles européennes (grandes villes et/ou communauté d’agglomération) crée entre elles des réseaux pour partager leurs efforts à entreprendre et mettre en place de méthodes. Comme le précise le Comité 21, “l’échange entre les territoires reste aujourd’hui une des conditions de renforcement des pouvoirs des collectivités à apporter des réponses à la hauteur de enjeux et à représenter les attentes auprès de la Commission européenne.” Ces mises en relation sont aujourd’hui favorisées par “Agoragendas21” qui permet à de nombreux responsables en charge de l’Agenda 21 de communiquer entre eux via Internet. Nous souhaitons ainsi par ce biais faire adhérer un grand nombre d’acteurs de ce réseau à notre démarche.


François BESANCENOT, Territoire et développement durable: diagnostic, chez L'Harmattan


La Rédaction
Dans cet article : françois besancenot