Des revenus record et un carnet de commandes sous tension
Les 100 plus grands fabricants d’armes ont cumulé 679 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2024, selon le SIPRI (Stockholm International Peace Research Institute), soit une progression de 5,9 % sur un an. C’est le niveau le plus élevé jamais observé dans l’industrie de l'armement. Cette performance s’inscrit dans une dynamique plus large : les dépenses militaires mondiales ont franchi les 2 720 milliards de dollars (+9,4 %), selon Reuters.
Les fabricants n’avaient pas anticipé une telle accélération. Résultat : les chaînes de production sont saturées, les délais s’allongent, et les carnets de commandes atteignent des volumes critiques. Lockheed Martin, Rheinmetall, Nexter, Saab, CSG… tous font face à une demande supérieure à leurs capacités actuelles.
La guerre en Ukraine et les tensions au Proche‑Orient ont agi comme déclencheurs, mais le phénomène s’est rapidement élargi : les pays clients ne sont plus seulement les États engagés dans des conflits, mais également ceux qui anticipent des menaces futures et souhaitent renforcer leurs stocks.
Une mutation industrielle tirée par l’innovation et la relocalisation
Pour répondre à l’afflux de contrats, les groupes d’armement repensent leur organisation industrielle. Czechoslovak Group (CSG), spécialisé dans les munitions, a connu une explosion de la demande. En 2024, l’entreprise a quadruplé ses volumes de production, selon The Statesman, en ouvrant de nouvelles usines dans plusieurs pays d’Europe centrale.
En parallèle, les grands acteurs investissent massivement dans l’automatisation, l’intelligence artificielle et la résilience logistique. L’objectif est double : réduire la dépendance aux composants critiques importés (notamment en électronique et optique), et garantir des cadences continues malgré les tensions sur les matières premières.
Le virage vers la relocalisation industrielle devient stratégique. La France, l’Allemagne et l’Italie ont lancé en 2024 des plans de soutien à la base industrielle et technologique de défense (BITD), facilitant les financements, les permis d’exportation, et la certification rapide des nouvelles lignes de production.
Une rentabilité solide malgré les risques géopolitiques
La profitabilité des fabricants d’armes s’est consolidée en 2024. Les marges opérationnelles moyennes dépassent 10 % pour les grandes entreprises cotées, avec des pics à 15 % dans les secteurs des missiles, des systèmes C4ISR et de la cybersécurité militaire.
Les contrats signés sont généralement pluriannuels, indexés sur l’inflation et sécurisés par les États. Cela garantit une visibilité financière rare dans le secteur industriel. De plus, les aides publiques massives dans plusieurs pays (États-Unis, France, Pologne, Corée du Sud) assurent un soutien stable, même en cas de retournement temporaire de la demande.
Cependant, les risques ne sont pas absents. La dépendance à quelques grands clients — souvent étatiques — expose à des aléas politiques ou diplomatiques. L’extraterritorialité des lois américaines, par exemple, peut contraindre des exportations vers certains pays. La pression sur la traçabilité des ventes (notamment en Afrique et au Moyen‑Orient) s’intensifie également, avec des conséquences réputationnelles pour les groupes concernés.
Des perspectives durables et une consolidation sectorielle à venir
L’environnement reste favorable aux fabricants d’armes à moyen terme. L’extension des conflits, la modernisation des forces armées et la volonté politique de souveraineté industrielle garantissent un socle de demande solide.
De nombreux analystes anticipent par ailleurs une consolidation du secteur. Les grands groupes cherchent à intégrer des fournisseurs critiques, ou à acquérir des PME innovantes dans les domaines de la robotique, des systèmes autonomes ou de l’énergie dirigée. L’objectif : sécuriser la chaîne de valeur, renforcer les synergies, et se différencier technologiquement.
Dans ce contexte, l’industrie de l’armement se rapproche des logiques business du secteur aérospatial : investissements R&D massifs, cycles longs, gestion de projet complexe, et dépendance à la commande publique. Un modèle économique hybride, à la croisée du stratégique et du capitalisme industriel.