Carnets du Business


           

Énergie nucléaire : Entretien avec Guillaume de Rubercy




Mardi 5 Juin 2012


Docteur en Droit et diplômé du Mastère HEC Paris « Droit et Management International », Guillaume de Rubercy est Avocat au Barreau de Paris. Ayant commencé sa carrière dans l’industrie nucléaire puis s’étant tourné vers le conseil aux entreprises, il a développé en sa qualité d’avocat une expertise dans le domaine de l’énergie et des ressources naturelles. Passionné par le secteur nucléaire, Guillaume de Rubercy est d’ailleurs l’auteur d’un livre paru en 2010 et intitulé Le démantèlement des installations nucléaires en Europe – Enjeux juridiques et financiers. Les Carnets du Business reviennent sur les thèmes abordés dans ce livre et dont l’écho se fait d’autant plus fort au lendemain de l’accident de la centrale de Fukushima.



Maître Guillaume de Rubercy, Avocat au Barreau de Paris, Docteur en Droit.
Maître Guillaume de Rubercy, Avocat au Barreau de Paris, Docteur en Droit.

Les Carnets du Business : Le démantèlement des installations nucléaires est-il une industrie florissante aujourd’hui ?

Guillaume de Rubercy :  Le démantèlement des installations nucléaires a toujours été le parent pauvre du secteur nucléaire en termes de promotion de ses métiers ou d’innovations. Il est néanmoins probable que les choses évoluent dans la perspective du vieillissement des installations et de l’amplification des besoins. Plusieurs responsables des ressources humaines au sein de groupes nucléaires constatent ainsi depuis quelques années que leurs groupes, auparavant positionnés sur la construction et les matériaux, sont aujourd’hui également présents sur la sûreté nucléaire et le démantèlement nucléaire.

Les CdB : L’accident de Fukushima a-t-il impulsé ou accéléré une tendance défavorable à l’énergie nucléaire ?

GdR : L’accident de Fukushima a suscité une vive émotion dans l’opinion mondiale et il évident que le développement du nucléaire connaîtra, pour un temps, un rythme inférieur à celui qui était antérieurement prévu. Néanmoins, les raisons qui incitent à recourir au nucléaire restent très fortes et tout indique que cette énergie continuera d’être un élément important du « mix » énertique global dans la perspective d’une production d’électricité qui devrait plus que doubler d’ici à 2050.
 
C’est ce que semblent montrer les programmes de construction des réacteurs un an après l’accident de Fukushima. Si nous prenons en effet comme repère les chantiers en cours, nous constatons qu’il y avait au début de l’année 2012 65 réacteurs en construction. Sur ces critères, la production d’électricité nucléaire devrait augmenter de plus de 20% dans les dix ans qui viennent.

Les CdB : Concrètement, quelles sont les étapes du démantèlement d’une centrale ?

GdR : Les différents niveaux de démantèlement retenus par les exploitants nucléaires français sont conformes à la pratique internationale proposée par l'Agence Internationale de l’Énergie Atomique – l’AIEA – en 1980(1). Ces textes engagent l'exploitant nucléaire sur l'organisation par étape des opérations mais ils n'imposent aucun délai. Les modalités de démantèlement sont laissées à l'appréciation de l'exploitant sous réserve qu'il en démontre la sûreté.
 
Concrètement, l'obligation pesant sur l'exploitant nucléaire recouvre la préparation et la mise en œuvre des opérations de démantèlement et plus précisément, l'ensemble des opérations à entreprendre en vue de la mise à l'arrêt définitif de l'installation et de son démantèlement proprement dit ; c'est-à-dire la dépose et l'évacuation de tous les matériels ou équipements (réseau d'extraction de ventilation de cuves d'effluents liquides), produits dangereux, matières polluantes susceptibles d'être véhiculées par un fluide présentant une contamination significative, ainsi que des déchets présents sur l'emplacement concerné. L’obligation concerne également la remise en état du site et ce compris la dépollution des sols et des eaux souterraines éventuellement polluées, le traitement et/ou l'entreposage des déchets liés au démantèlement, l'insertion du site dans son environnement et la surveillance postérieure du site. Toutes ces opérations techniques représentent un coût devant être financé par l’exploitant nucléaire. Cette obligation de financer mise à la charge de celui-ci n'est dans le cadre réglementaire actuel que la conséquence de son obligation de faire.
 

Les CdB : Quelles obligations légales pèsent sur les producteurs d’énergie nucléaire en matière de sûreté nucléaire ?

GdR : L’option fondamentale sur laquelle repose le système d’organisation de la sûreté nucléaire est celle de la responsabilité première de l’exploitant nucléaire, soit le titulaire de l’autorisation d’exploiter délivrée par les autorités nationales compétentes. Par ailleurs, la sûreté nucléaire telle que définie par l’Autorité de Sûreté Nucléaire – l’ASN – désigne l’ensemble des dispositions permettant d'assurer le fonctionnement normal d'une centrale nucléaire, de prévenir les accidents ou les actes de malveillance et d'en limiter les effets tant pour les travailleurs que pour le public et l'environnement.
 
Dans ce cadre, l’exploitant nucléaire doit donc prendre aux stades de la conception, de la construction, de la mise en service, de l’utilisation, de la mise à l’arrêt définitif et du démantèlement d’une installation nucléaire ou d’un dispositif de transport de matières radioactives, toute disposition visant à assurer le plus haut niveau de sûreté dans ses installations nucléaires afin de préserver la santé des travailleurs, la santé et les biens des populations et de protéger l'environnement.

Les CdB : Quelles industries de production d’énergie égalent aujourd’hui le poids financier de la production d’énergie nucléaire ?

GdR : Il ressort du Rapport de la Cour des Comptes intitulé « Les coûts de la filière électronucléaire » et rendu public le 31 janvier 2012, que le nucléaire se confirme comme un moyen de production d’électricité compétitif, moins cher en France que les autres sources d’énergie, à l’exception de l’hydraulique, et s’affirme comme un réel avantage pour l’économie de notre pays et le pouvoir d’achat des Français. On pouvait constater à la lecture de ce rapport que le coût du nucléaire reste bien inférieur au coût de production de tout autre moyen actuel ou futur, même à 49,50 euros le mégawattheure (MWh), ce qui est plus élevé que le chiffre retenu jusqu’à présent dans les études et rapports successifs sur ce sujet sensible. Quant au réacteur EPR de Flamanville, compte tenu de sa facture qui a dérapé de plusieurs milliards d’euros, le mégawattheure oscillera entre 70 et 90 euros. Un prix difficile à interpréter pour l’avenir puisque l’EPR de Flamanville est un premier de série. Par comparaison, le coût estimé de production du photovoltaïque en Europe oscille dans une fourchette de 160 à 300 euros/MWh. Un mégawattheure d’éolien coûte entre 80 et 115 euros, l’éolien en mer étant pour l’instant beaucoup plus onéreux, à partir de 200 euros/MWh. Certes, les coûts de production des énergies renouvelables sont décroissants au contraire de ceux du nucléaire. Mais un réacteur d’Électricité de France est disponible environ 80% du temps sur une année quand une éolienne terrestre produit du courant environ 25% du temps. En termes de prix et de rendement donc, le nucléaire s’est durablement imposé comme la source d’énergie prépondérante. D’autres industries, et notamment les énergies renouvelables, concurrencent ce mode de production d’énergie qui demeure néanmoins plus important, tant par ses volumes financiers que par l’énergie qu’il fournit sur les réseaux français.

Les CdB : Une partie du parc de centrales français arrive en fin de vie en 2020. Comment la France va-t-elle gérer cette problématique compte tenu d’une demande énergétique toujours croissante ?

GdR : On n’arrête pas une filière qui tient une telle place dans notre bouquet énergétique national du jour au lendemain. Les énergies renouvelables, dont le développement est forcément progressif, ne peuvent à elles seules remplacer la filière nucléaire. Il convient d’entretenir sur ce sujet une position pragmatique, combinant sécurité et économie, en vertu de laquelle la fermeture d’une centrale offrant toutes les garanties de sûreté est un non-sens économique. La France dispose d’une agence de sûreté dont la compétence est reconnue et dont l’action est transparente et indépendante : il revient à Électricité de France de suivre ses recommandations et d’adapter le parc nucléaire – par des fermetures ou des travaux de rénovation – en fonction des critères économiques. Ce schéma est le même pour les 400 centrales de la planète, ce qui fournit à la France un atout non négligeable grâce à sa filière d’entreprises spécialisées dans la maintenance des centrales et le respect des normes de sécurité.

Les CdB : Pensez-vous qu’un pays comme le Japon puisse se passer du nucléaire ?

GdR : Depuis le tsunami du 11 mars 2011 et la catastrophe nucléaire de Fukushima, les réacteurs atomiques nippons se sont arrêtés les uns après les autres afin d’être contrôlés. Aujourd’hui, les 54 chaudières qui fournissaient 28% de l’électricité à l’Archipel ont arrêté leur production électrique. Le Gouvernement japonais a prévu de présenter en juin ou juillet prochain sa stratégie énergétique pour les années à venir.
 
Si le Japon renonçait au nucléaire, les énergies renouvelables seraient très loin de pouvoir combler le déficit électrique en résultant et le pays serait contraint de produire l’essentiel de son électricité avec des combustibles fossiles achetés très cher à l’étranger. À titre d’illustration, au cours actuel du pétrole, rien que pour remplacer le courant d’origine nucléaire par des énergies fossiles, il en coûterait approximativement 3.000 milliards de yens par an, ce qui représente 28 milliards d’euros. En substance, ce changement de situation irait contre les intérêts du Japon et serait une erreur stratégique, économique et environnementale face aux trois enjeux majeurs que sont la compétitivité, l’évolution du climat et la sécurité d’approvisionnement.

Les CdB : Est-il possible de faire un parallèle avec l’Allemagne ?

Pour sa part, l’Allemagne soutient sa décision de sortir du nucléaire en 2022 en invoquant notamment, qu’une capacité de production de 10 à 13 gigawatts sera disponible d’ici deux ou trois ans grâce à l’entrée en fonction de nouvelles centrales à charbon et que des unités de cycle combiné à gaz contribueront également au remplacement de la production nucléaire.
 
Cette politique va inévitablement entraîner des importations de gaz supplémentaires et des émissions de CO2 plus importantes, risquant d’une part de nuire aux objectifs européens de réduction de 20% et d’autre part d’augmenter la dépendance énergétique de l’Union européenne à l’égard de pays producteurs et fournisseurs de gaz. En outre, certains industriels allemands commencent à évoquer la menace de délocaliser leurs activités « électro-intensives ».
 
Sur le plan juridique, notons que les groupes allemands de l’énergie, RWE et EON, contestent fermement les modalités de la sortie du nucléaire en Allemagne et ont porté plainte en février auprès de la Cour constitutionnelle contre la sortie du nucléaire décidée en juin dernier par le Gouvernement allemand. Les deux groupes invoquent que cette décision porte atteinte à leurs droits de propriétaires de réacteurs. EON a notamment expliqué que ce n’était pas tant la décision elle-même qui était visée, mais l’absence de compensation financière pour les opérateurs contraints de passer de lourdes provisions dans leurs comptes.

Pour ces raisons succinctement évoquées, il me semble que la décision précipitée de l’Allemagne de sortir du nucléaire, prise sans concertation avec ses partenaires européens, mériterait d’être rediscutée dans les années à venir.



(1)  AIEA, Factors relevant to the decommissioning of land-based nuclear reactor plants, Coll. Safety Series, n° 52. À noter qu’aujourd’hui, l'AIEA ne parle plus de niveau de démantèlement, cf. Safety Series n° WS-G-2.4 relatif aux installations du cycle du combustible, juillet 2001.






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