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Robert Herrmann "Indispensable, la route doit renouveler ses usages"




Jeudi 21 Octobre 2021


Président de l’Eurométropole de Strasbourg de 2014 à 2020, Robert Herrmann a été un acteur actif de la politique des transports et de l’évolution de la mobilité de ses concitoyens à l’échelle locale. Désormais retiré de la vie politique, il garde un œil aguerri sur les transformations qui touchent les Strasbourgeois et tire quelques leçons plus générales à l’heure où la France se cherche un nouveau modèle de transports plus performant et durable.



Robert HERRMANN vous avez présidé la métropole de Strasbourg. Quel regard portez-vous sur les enjeux et les résultats de la politique des transports en France ?
 
Je regrette que l’État n’ait pas, hier comme aujourd’hui, consacré suffisamment de moyens pour permettre aux villes de développer plus fortement les transports collectifs. Les transports collectifs sont la clé pour une mobilité plus responsable et accessible à tous.
On peut aussi souligner que le report modal de la route vers le rail est globalement un échec, car malgré les sommes investies, sa part dans les déplacements en France est restée stable au cours des deux dernières décennies. Je dirais donc que la politique des transports s’est finalement montrée peu efficace malgré des objectifs fixés.
 
 
La place de la route reste primordiale dans les problématiques de mobilité. Quel est votre rapport à la route ?
 
Effectivement, près de 90 % des déplacements se font par la route. Cela se comprend, car pour aller d’un point A à un point B, par exemple du domicile à son lieu de travail, il est souvent plus facile et rapide d’utiliser la voiture dès lors que l’on sort des centres-villes.
Toutefois, la route pourrait et doit renouveler ses usages avec le covoiturage, une pratique qui se développe, mais qui reste encore trop timide. Combien de véhicules avec une seule personne dedans ne croise-t-on pas chaque jour ? La route peut aussi être le support de transports collectifs pour des destinations plus éloignées. Les initiatives se multiplient à l’image des lignes réservées aux bus express sur autoroutes, mais ce n’est malheureusement pas encore la norme. Les pouvoirs publics ont un rôle prépondérant à jouer pour faire de la route un mode de transport plus collectif et respectueux de l’environnement.
 
 
La nouvelle autoroute de contournement de Strasbourg a longtemps fait polémique; vous avez fait partie de ceux qui soutenaient ce projet, quelles étaient les raisons de votre choix ?
 
Strasbourg est étymologiquement le carrefour des routes. Elle est située idéalement sur le plan européen, à 500 km de Paris, 400 km de Munich, 600 km de Prague, positionnée sur un axe nord/sud qui la met directement en relation avec les ports d’Anvers, Amsterdam, Hambourg, en connexion fluvial et maritime avec son port qui est le 2ème port fluvial de France. Strasbourg est aussi une ville de patrimoine et donc touristique, une ville industrielle mais aussi universitaire et enfin une ville frontalière avec le land allemand du Bade-Wurtemberg. Cette configuration a justifié dans les années 1965 la réalisation de l’autoroute A35.
Construite à l’époque pour porter 60.OOO véhicules jours ; elle en porte aujourd’hui 160.OOO dans sa partie centrale, dont nombre de poids lourds en transit. Cette évolution s’explique en partie par l’accroissement de l’activité économique à l’échelle européenne et l’usage massif de camions et camionnettes pour assurer les livraisons et les transferts de marchandises.
 
Les infrastructures réalisées dans les années 1960 ont-elles été bien pensées ?
 
La politique de transports menée au cours de ces années a permis un véritable essor de la mobilité et a facilité les flux économiques. A Strasbourg, il faut comprendre qu’un autre phénomène est venu renforcer le début de saturation de cet axe routier.
 
Depuis 1989, les municipalités de Strasbourg et son agglomération ont opté de manière judicieuse pour un accroissement des mobilités collectives à travers un réseau de transport en commun en site propre. Mais cela a eu de manière induite pour effet de repousser des flux automobiles vers l’autoroute la « transformant » pour partie en voirie inter quartiers.
 
Dans le même temps Strasbourg et son agglomération se sont développées et densifiées. Ces deux phénomènes ont contribué à saturer un peu plus l’autoroute.
 
La conséquence, au moins pour partie, est que Strasbourg, ville située au coeur de la cuvette du bassin du Rhin Supérieur est critiquée à juste titre pour ses niveaux de pollution. Elle a été sommée de réagir à travers l’État français pour mettre en place des remèdes à cette situation qui met en danger sanitaire des populations locales. Dès lors le contournement de Strasbourg, permettant au grand transit d’éviter la ville apparaissait comme une solution au moins partielle qui permettrait dans l’avenir d’éviter le niveau de saturation actuel et de redonner à l’autoroute une nouvelle fonction sur le plan local ; celle de servir les politiques de transports en commun, décision inenvisageable sans la suppression du transit poids lourds en particulier et donc in fine de réduire le niveau des pollutions.
 
Au niveau local, les restrictions à la circulation automobile se multiplient, notamment avec les zones à faibles émissions (Z.E.F) ; pensez-vous que l’on prenne les choses par le bon bout ?
 
Si je suis favorable à la mise en place de Z.F.E. Cela s’accompagne de quelques précisions.
Si les politiques publiques se satisfont de traiter de la Z.F.E. et n’intègrent pas la lutte contre toutes les pollutions (domestiques, agricoles, industrielles) par exemple à travers des plans climat, il est fort à parier que la stigmatisation des automobiles aura de fortes répercussions sociales avec le risque de pénaliser les moins aisés de notre société, ou encore d’amener des entreprises qui seraient en capacité de le faire, à déménager, ne serait-ce qu’en bordure des Z.F.E pour échapper en partie aux contraintes, avec sa kyrielle de conséquences.
 
L’élaboration de plan climat à l’échelle locale, départementale, régionale, nationale est donc nécessaire comme est nécessaire la recherche de cohérence entre eux.
Cela nécessite aussi l’expression d’une vision sur les mobilités dans l’avenir. Un projet des mobilités qui traite des déplacements des individus et des marchandises, qui indique les innovations à venir à travers de nouvelles modalités comme le transport à la demande, des tarifs en fonction des capacités contributives, une politique de transport en commun attractive, permettant de lutter contre le fléau de l’autosolisme, des politiques d’aménagement installant à distance des grands centres urbains, des site adaptés de co-voiturage ou de relais avec des bus ou des trains, la mise en place ou le renforcement de l’usage du vélo électrique ou non, autant de moyens de limiter les pollutions sans sacrifier à la perte d’attractivité.
 
Sur le plan de sa dimension géographique, la Z.F.E. doit appréhender à minima le territoire des agglomérations si ce n’est celui des bassins de vie. Je rajouterai que comme nous sommes en zone frontalière, une harmonisation à l’échelle européenne des critères de sélection des véhicules doit impérativement être mise en place.
 
 
A Strasbourg, les choix semblent se résumer à « moins de circulation pour les voitures, plus de tram » la ville et la métropole peuvent-elles avoir les mêmes objectifs ?
 
C’est impératif. Il ne peut y avoir de politiques différentes en matière de transports et de mobilités si ce n’est à la marge. Les territoires sont interconnectés et ne peuvent se passer d’une cohérence. Je considère qu’il faut chercher toutes les alliances possibles avec les départements, la région, l’État et la zone frontalière pour ne pas mettre en difficulté l’économie locale mais aussi garder à travers la clarté des règles édictées, une facilité de déplacement pour nos concitoyens. Cela n’interdit en rien une politique adaptée à l’agglomération.

Je l’ai dit la seule lutte contre l’automobile est une facilité coupable dans la lutte contre les pollutions. D’autant que les transports en commun n’absorbent que 15 % environ des déplacements individuels et que les nouvelles technologies marquent une évolution vers des véhicules moins polluants.
 
 
Connaissez-vous des exemples inspirant à l’étranger, où et en quoi consistent ils ?
 
J’ai toujours été impressionné par le système des IBA (International Bau Stellung) en Allemagne et en Suisse qui permet de définir un projet sur une échelle relativement grande, d’en appréhender ses conséquences et cela sur l’ensemble des fonctions urbaines, d’analyser les usages, et, en définitive de fabriquer un territoire inclusif intégrant de manière harmonieuse les contraintes environnementales. Je constate à cet effet que la voiture, pour revenir à la question précédente n’est pas exclue mais installée à la place qui est la sienne, laissant beaucoup d’espaces de respiration dans la ville dès lors que sont pris en compte les usages, la facilitation d’accès aux transports en commun ou le confort de ceux qui utilisent la marche à pied dans la ville…Hambourg, Bâle mais aussi des villes de l’Europe du Nord, sont des exemples inspirants.
 
 
Selon vous que faudrait-il faire pour contribuer à décarboner les transports du quotidien ?
Quelle peut être la contribution de la route à la mise en œuvre de cet objectif ?
 
Sur cette question je vous renvoie aux récents travaux menés par LA FABRIQUE DE LA CITE et LA FONDATION PALLADIO qui ont réuni la première Université de la ville de demain les 8 et 9 juillet 2021. Au cours de ces journées plus de 150 décideurs publics et privés, chercheurs, scientifiques se sont réunis pour s’engager en faveur de la construction d’une ville bas carbone. Ces travaux montrent la complexité du sujet certes, mais ils ouvrent des pistes intéressantes et donnent la perspective que ce changement de paradigme est possible et sa mise en œuvre réalisable.

La Rédaction




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