Le hijab de sport de Decathlon: une gestion de crise controversée



Mardi 9 Aout 2022


Le blog Al Kanz, spécialisé dans l’économie de l’islam, publie, le 21 février 2019, un article afin de féliciter Decathlon sur le choix d’introduire un ‘’hijab de running’’ sur son site français. Cependant, quelques jours après sa publication, ce nouveau produit devient un sujet polémique qui se propage rapidement sur les réseaux sociaux et dans la sphère politique. Face à cette pression, l’enseigne retire l’article du marché français.



Disponible d’abord en ligne et prévu dans les magasins à partir de la mi-mars 2019, le hijab de running de Decathlon aurait pu se faire une place dans un marché en croissance, celui de la mode musulmane ou ‘’mode modeste’’, selon l'appellation des experts. D'autres enseignes, telles que Nike en 2015, puis H&M et Uniqlo avaient déjà commencé à commercialiser ce produit, mais en France la vente n'a duré que quelques jours.
 
L’hijab sportif de Decathlon avait connu un très grand succès sur le marché marocain générant très vite une rupture de stock. Pour l’enseigne, il semblait donc un bon moyen d’augmenter les profits tout en saisissant les opportunités du marché représenté par les millions de femmes musulmanes résidants en France. Des femmes de tous âges qui aiment faire du sport, tout en respectant leur choix religieux, cherchant des voiles qui adhèrent bien à la tête et qui ne risquent pas de se déplacer au moindre mouvement.
 
Une fois la nouvelle annoncée par le blog Al Kanz, les réactions ne se sont pas faites attendre. Twitter est devenu l’arène principale de ce débat où certains soutiennent et d’autres dénoncent l’action de Decathlon. Cependant, au fur et à mesure et via un nombre de plus en plus important de commentaires négatifs, le discours tend à s’uniformiser. En particulier, les représentants politiques s’emparent eux aussi du sujet pour aborder des thématiques telles que la laïcité, le terrorisme ou encore les droits des femmes et demandent ainsi de boycotter la marque. Les exemples sont multiples et convergent tous vers une seule idée, celle que le hijab n’est pas interdit par l'État mais qu’il serait préférable qu’une marque française ne se rende pas “complice” de la soumission des femmes. Cette ‘’hyper politisation’’ des événements multiplie les facteurs crisogènes au sein de l’entreprise.
 

Quelle est la stratégie de Decathlon pour gérer la crise?
 
Face à la polémique, la direction de la communication de Décathlon hésite un peu sur la ligne de conduite à tenir. En effet, dans un premier temps, Xavier Rivoire, le directeur de la communication, tente de minimiser la crise en plaidant une erreur technique fruit d’une mauvaise manipulation. Selon certains, cette contradiction traduit un manque d’organisation dans la communication de Decathlon. Cependant, l’intensité de la crise est telle que le revirement de position passe inaperçu.
 
La polémique continue et Décathlon décide alors d'assumer pleinement son choix en le présentant comme un engagement sociétal à travers une story telling fondée sur l’accessibilité du sport pour tous. Pour la marque, il s’agit simplement de répondre au besoin de certaines femmes qui n’ont pas un hijab approprié. Par ailleurs, le community manager de Decathlon, Yann Amiry, et son équipe optent pour une ‘’stratégie de victimisation’’ en publiant les messages haineux reçus et en essayant de répondre à tous, ce qui renverse en partie la situation. Cette posture attire la sympathie des internautes qui remercient le Community Manager et le félicitent d’avoir su maintenir le calme malgré la violence de certains propos .

Toutefois, la pression ne diminue pas. Devant les menaces verbales et physiques reçues par ses salariés dans les magasins, Décathlon suspend le hijab sportif et finit par battre en retraire médiatiquement. Sur les ondes de RTL, le directeur de la communication fait l'annonce de la suspension du produit face à une vague d'insultes et de menaces sans précédent.


Echec ou réussite ?

Il y a des divergences d'opinions par rapport à la stratégie opérée par Décathlon. D'un côté, certains apprécient le fait que l'enseigne ait pris la responsabilité de l'apaisement à travers une décision rapide, en donnant l'image d'un employeur responsable qui valorise d'abord l'intérêt général par rapport à ses intérêts économiques. D'autre part, certains s'opposent à la stratégie de Décathlon car cette décision mettrait selon eux en évidence le fait que l'entreprise ait été dépassée par la situation. Le recul aurait, de ce fait, démenti son argumentaire fondé sur l'accessibilité du sport à tous. Pour autant, la sortie de crise de la marque n'est pas un échec total. Agilité et sens de responsabilité ont été au final les meilleurs atouts de communication de Décathlon.

Simona Alushani