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Serge Orru : « le travail associatif continue de se professionnaliser »




Mardi 20 Novembre 2012


Ancien professionnel du tourisme, fondateur du Festival du Vent de Calvi, organisateur du Festival de l’OH dans le Val-de-Marne et ancien directeur du WWF France, Serge Orru connaît bien les ressorts du travail associatif en France. Quelques jours après la clôture du 7e forum national des associations et des fondations, il nous livre son analyse quant à la nature des liens entre la sphère économique et un univers associatif aujourd'hui en quête de soutien.



CdB: Vous siégez depuis plus d'un an au sein du Haut Conseil à la vie associative. Expliquez-nous la mission de cette institution.

Serge Orru: J’ai travaillé depuis l’âge de 20 ans dans le milieu associatif où j’ai notamment beaucoup œuvré dans le tourisme social. Mon implication de longue date dans le travail associatif m’a valu d’être sollicité pour siéger au Conseil de la vie associative. Il s’agit d’une instance d’expertise et de dialogue avec un monde que je connais bien. Nous y produisons des avis sur des sujets à caractère législatif, ou encore financier qui concernent les associations. Le Haut Conseil est par ailleurs l’auteur d’un bilan bisannuel sur l’état de la vie associative en France. On peut considérer que cette institution est l’indicateur de référence de la vie associative en France. Elle contribue à améliorer la compréhension qu’en ont les pouvoirs publics.

Le 7e forum national des associations et des fondations, qui s'est tenu le 25 octobre à Paris, a révélé une conjoncture difficile pour les associations. À quel point la crise s'est-elle répandue jusqu'au secteur non marchand?

Serge Orru : « le travail associatif continue de se professionnaliser »
À la suite de cet évènement, il apparaît que les associations souffrent toujours du manque de moyens financiers. En dépit de ces difficultés, elles restent remarquablement actives. On compte 1,6 million de salariés associatifs en France. Cela représente 8 % de l’emploi national, soit largement de quoi justifier les 34 milliards d’euros de financements publics qui sont alloués au secteur chaque année sans compter l’immense travail non rémunéré des bénévoles.
 
La France compte en effet 1 million d’associations, qui vivent grâce à 13 millions de bénévoles. Près de 4 Associations sur 5 fonctionnent grâce au bénévolat. La réunion des professionnels du milieu associatif a été l’occasion de s’apercevoir que le secteur associatif n’était pas aussi affaibli par la crise qu’on pourrait le croire. L’engagement des bénévoles demeure extrêmement fort et leur mobilisation ne faiblit pas.

Malgré cela, le travail associatif continue de se professionnaliser. La notion de transparence continue notamment de s’affirmer comme une exigence de plus en plus forte sur les associations. Et c’est tant mieux, car le secteur en est ressorti grandi sur les vingt dernières années. Il a gagné en légitimité et c’est ce qui lui a permis de prendre en importance jusqu’à devenir un pilier de notre société.

Quelles sont les urgences environnementales ou sociales du moment?

Il ne s’agit pas de privilégier un secteur en particulier. Le culturel ,l’humanitaire, l’environnemental, le social sont interconnectés. La question serait plutôt de savoir comment tout un chacun parvient aujourd’hui à s’intéresser à ces questions malgré l’individualisme qui marque notre époque. L’urgence véritable pour les travailleurs associatifs est d’amener les gens à un niveau de conscience suffisant pour envisager ces différentes problématiques dans leur ensemble. Ce n’est que comme cela que ces questions majeures trouveront des solutions. Cela me semble également très important, car cette conscience participe aujourd’hui à recréer du lien social et un sentiment de communauté humaine. C’est mon sentiment lorsque je vois des personnes donner des heures de leur vie à des causes par lesquelles ils se sentent concernés, bien qu’elles ne les affectent pas directement. Mais leur conscience est la corde de leur arc de vie, car l’indifférence aux autres est le fléau de nos sociétés dites modernes.

Le monde de l'entreprise a-t-il vocation à intervenir davantage dans le financement de la vie associative selon vous? Et si oui, à quel motif?

L’évolution des standards éthiques et l’élévation intellectuelle des entrepreneurs participent en effet de cette dynamique. Il est légitime que les entreprises puissent avoir l’opportunité de s’engager, si elles le souhaitent, aux côtés des associations. Il est aujourd’hui naturel et souhaitable que les entreprises cherchent à être fières de leur participation dans la société. Elles donnent également à leurs salariés la possibilité d’en être fiers. Mais si ce n’est qu’un alibi, cela apparaît très vite et le boomerang peut faire mal…
 
C’est pourtant là un terrain propice aux partenariats et ils sont bénéfiques dans les deux sens. L’apport des entreprises permet de donner des moyens à des actions associatives même si certaines refusent tout lien avec le monde de l’entreprise, et c’est leur choix. Néanmoins, ces partenariats sont l’occasion de faire changer les entreprises, de réduire leur impact sur l’environnement, d’améliorer progressivement leurs pratiques, d’ouvrir d’autres horizons. C’est un travail de long terme qui ne se réalise pas du jour au lendemain. Mais il est sûr qu’il ne peut avoir lieu si l’on ne dépasse pas les clichés clivants des  « mauvaises entreprises » et des « gentilles associations ». Le monde de l’entreprise est respectable. La réalité est que la majorité des gens travaillent sérieusement, tant du côté de l’entreprise que de celui des associations. Chacun possède des pratiques et des écrans de contrôles fort différents. Il est bon de se mélanger intellectuellement et ainsi de mieux connaître l’autre.

Votre mandat à la tête du WWF France vient de s'achever, au terme de six années de développement sans précédent pour l'organisation. Une ONG ou une association se gèrent-elles comme une entreprise, à notre époque?

Un salarié du monde associatif a les mêmes droits et devoirs qu’un salarié du secteur privé. Partant de ce constat et du fait que ce sont bien les femmes et les hommes qui font les organisations, il est certain que les formes de gestion tendent à converger aujourd’hui. Une association ou une ONG est néanmoins tenue par des obligations qui lui sont propres. En tant que prescripteurs dans le débat social, ces organisations se doivent d’avoir de véritables politiques sociales. Les ressources humaines, l’éthique, le droit des travailleurs et les indicateurs de résultats doivent être respectés.

Le concept de RSE semble avoir gagné ses premiers galons, pour finalement être employé à tort et à travers... Quel est son périmètre légitime selon vous?

Comprise comme la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, la RSE est une grande richesse pour l’entreprise, ses salariés et son image. C’est pour ça que les dirigeants la considèrent avec intérêt. Il est regrettable toutefois que ce concept ait pu servir de support au greenwashing de certaines entreprises. Mais l’écoblanchiment tendra à disparaître. Et il ne faut pas faire de quartier à cette pratique mensongère. Je demeure convaincu que les entreprises dans l’ensemble ont compris l’intérêt qu’elles avaient à s’inscrire dans une démarche de RSE rigoureuse malgré les impairs qui sont parfois signalés, avec justesse, par les observateurs. La RSE en est encore à ses prémices. Il faut donc la considérer avec beaucoup d’intérêt. Mais les entreprises doivent corrigent leurs erreurs, sans quoi elles connaitront des difficultés.
 
Plus largement enfin, la RSE revient à s’interroger sur la façon de produire de la richesse sans détruire l’environnement immédiat et lointain et en respectant l’humain. Produire à partir d’une matière première dont l’exploitation porte préjudice aux habitants de sa zone d’extraction est problématique. La RSE nous rappelle que nous sommes tous connectés par les problématiques de risques industriels, de pollution, de droits sociaux et humains. Elle participe de l’éducation de l’opinion publique et c’est aussi en cela qu’il s’agit d’une règle de vie importante.

Venons-en à la question de la coopération. Quels sont les champs d'action volontiers partagés par les associations et les entreprises?

La coopération entre le monde associatif et entrepreneurial est à comprendre sous l’angle de la complémentarité. L’entreprise a des outils spécifiques de gestion et de détection qui lui permettent d’appréhender son propre environnement. Elle peut également contribuer en moyens humains et professionnels. Les outils et objectifs de l’association sont complètement différents. Les associations ont par exemple des savoir-faire qui leur sont propres pour traiter des problématiques se rapportant à la précarité, à la culture, à l’environnement, ou aux droits humains. Ces coopérations sont l’expression même de la diversité sans cesse invoquée aujourd’hui. Elles se développent lentement et, malgré les incompréhensions, produisent de la richesse et du mieux-vivre.

Souvent, les ONG sont perçues dans le monde de l'entreprise comme les gendarmes de l'écologie, voire comme des groupes de pression. Partagez-vous cette approche?

La relation conflictuelle n’est plus la seule modalité d’échange entre entreprises et associations. C’est une très bonne chose, car la seule contestation et la dénonciation ne suffisent pas à créer du progrès. En dépit du développement sensible des relations de collaborations, je pense qu’il est nécessaire que le milieu associatif continue d’avoir un regard critique fort sur le monde des affaires. Ce faisant, il participe de la vitalité de la société civile et des contrepouvoirs nécessaires à l’équilibre social.

Quel regard objectif portez-vous sur les fondations d'entreprise ? Ne sont-elles pas, d'une certaine manière, un moyen de s'affranchir du monde associatif pour mener certaines actions caritatives?

Dans le paysage associatif, on pourrait voir en les fondations d’entreprises des organisations hybrides, à cheval entre deux mondes. Comme n’importe quelles autres associations, leurs performances s’apprécient d’ailleurs au regard de leurs résultats et de leurs accomplissements, et enfin de leur transparence.

Les élus jouent-ils un rôle de lobbying associatif auprès des grandes entreprises ? Plus largement, sont-ils vraiment impliqués dans la défense de la cause associative?

Les élus et particulièrement les élus locaux connaissent pour la plupart très bien le monde associatif. Leur implication aux côtés des associations est réelle et fréquente. On entend parfois qu’elle est insuffisante, mais c’est là une critique facile : le besoin est tel qu’il faut être capable de remettre en perspective les contributions des pouvoirs publics dans leur contexte. Elles sont significatives, tant financièrement que politiquement. On ne fait rien ou très peu sans l’aval d’un maire, d’un élu du canton ou d’un conseiller régional. Mais il est une obligation éthique pour tout élu de donner à chaque acteur associatif les moyens qu’il mérite. Satisfaire tout le monde revient alors à déterminer un équilibre délicat. Mais si le concours des élus est nécessaire, la diversification des partenariats n’en reste pas moins un facteur important de la solidité des associations. Les pouvoirs publics ne sont pas leurs seuls interlocuteurs, car la manne publique a tendance à se tarir ces temps derniers.

En France, les chefs d'entreprise sont désormais critiqués avec une certaine virulence. À force de vindicte, risque-t-on de provoquer la fin du mécénat, ou de voir se déliter leur conscience environnementale?

Le rôle des entreprises est un rôle de conseil, de soutien financier, de mise en réseau. Il ne se cantonne pas au mécénat. Je ne pense toutefois pas que les entrepreneurs soient hésitants à s’impliquer auprès des associations. Aujourd’hui, les exigences d’éthique gagnent en visibilité. Pour les entreprises, le risque de ne pas s’engager tend à devenir plus important que celui porté par l’immobilisme. Et d’ailleurs, la pression sociétale qui pèse à cet égard sur les chefs d’entreprises ne fait que le confirmer. La confrontation des visions de ces deux mondes est essentielle à l’amélioration de notre société.

Je terminerais en citant Riccardo Petrella  que j’apprécie beaucoup : « Les héros d’aujourd’hui et de demain ne sont plus les plus compétitifs, ni ceux qui parviendront, malgré tout à survivre à la place des autres et à conquérir davantage de pouvoir financier, commercial, technologique, militaire sur les autres, mais ceux qui font avancer le bien commun, les droits de tous et de chacun, à la vie, à la citoyenneté ».

La Rédaction




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