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​La Catastrophe de Bhopal




Mardi 18 Juin 2019


En 1984 se produisait ce que l’on appellera ultérieurement la catastrophe de Bhopal. Cet accident industriel tire son nom de la ville indienne où il a eu lieu, Bhopal, capitale de l’état du Madhya Pradesh. En 1978, un géant de l’industrie chimique américain, Union Carbide Corporation (UCC), implante dans cette ville une usine de fabrication de pesticides afin d’en alimenter le marché indien, suite à la « révolution verte » des années 1960 et 1970. Alors que l’usine était relativement isolée lors de sa construction, la population y afflue, attirée par le salaire de ses ouvriers (800 salariés). Du fait d’un manque de ventes dans le pays, l’usine devient déficitaire. En 1982, les dirigeants de l’usine décident alors de réduire ses coûts de fonctionnement et diminuent pour cela les effectifs, en particulier le nombre d’ouvriers qualifiés.



Dans la nuit du 2 au 3 décembre 1984, une cuve de 40 tonnes contenant de l’isocyanate de méthyle, un produit permettant la fabrication de pesticides, voit sa pression augmenter et finit par exploser, malgré les mesures de sécurité prises par les ouvriers. Le gaz qu’elle contient se libère et c’est le début d’un véritable drame. Extrêmement toxique, ce gaz se propage rapidement et s’échappe de l’usine. La population du bidonville qui ceinture l’usine, alors endormie, est asphyxiée : plus de 3000 personnes meurent dans la nuit. Les jours qui suivent, une dizaine de milliers de personnes décèdent. Selon diverses sources, la catastrophe aurait conduit à la mort directe de 25 000 personnes. Les survivants sont restés pour la plupart invalides. Le nombre de victimes, décédées ou invalides, atteindra les 350,000 personnes. La crise se poursuit même pour les personnes vivant à Bhopal puisque les déchets que l’entreprise enfouissait lors de son activité ont fini par contaminer les nappes phréatiques.

La crise est majeure pour Union Carbide et sans précédent. Dans la semaine qui suit l’accident, l’entreprise envoie à Bhopal des médecins, dont des experts en pneumologie et ophtalmologie, ainsi que du matériel médical. Les salariés américains de l’entreprise, profondément touchés par la catastrophe, collectent et envoient 120 000 dollars aux organisations de secours de Bhopal. Dans sa gestion de crise, l’entreprise décide d’aider financièrement les parties prenantes : le 10 décembre 1984, l’entreprise fait une donation d’un million de dollars au fonds d’intervention du Premier ministre indien, ce qu’il refuse néanmoins. Prenant alors conscience de l’ampleur des dégâts, Union Carbide décide d’intensifier ses efforts. En avril 1985, elle donne 5 millions de dollars au titre d’aide humanitaire ; la même année, elle accorde un prêt de 2,2 millions de dollars à l’université de l’état d’Arizona pour mettre en œuvre un centre technique et de formation pour Bhopal ; en mai 1986, elle donne un million de dollars à l’ONG suisse Sentinelles pour organiser des programmes de formation médicale à Bhopal. L’entreprise investira également dans le renforcement de ses mesures de sécurité : 112 millions de dollars en 1985 et 150 millions de dollars en 1986.

Pour juguler la crise de réputation qui frappe l’entreprise, le nouveau président de UCC, Robert Kennedy, communique en 1991 au forum Économique de Davos l’engagement de l’entreprise pour la protection de l’environnement : « Care for the planet has become a critical business issue - central to our jobs as senior managers ». Ce sera suivi de la création d’un comité « santé, sécurité, environnement ».

Afin de gérer juridiquement la crise, Union Carbide envoie une équipe d’avocats directement sur les lieux de l’accident. Ceux-ci prennent alors contact avec des milliers de victimes et proposent de les indemniser pour limiter l’ampleur médiatique et juridique de l’accident. Cependant, l’État indien promulgue rapidement un décret sur le « Traitement et les plaintes du gaz à Bhopal », rendant « juridiquement irresponsables » les victimes. Il porte directement plainte contre UCC devant le tribunal fédéral de New York afin d’obtenir réparation. La stratégie de l’entreprise est alors de se présenter en victime, arguant en 1986 d’un « sabotage ».

Mais, prise dans une crise médiatique d’une ampleur considérable, l’entreprise doit également faire face à une crise boursière : le cours de son action chute de 52 $ à 32 $ dès le mois de décembre 1984. Fragilisée financièrement, l’entreprise est alors vulnérable aux Offres Publiques d’Achat (OPA). Elle décide de réagir en annonçant une série de mesures de réduction des coûts d’exploitation. Près de 4000 salariés sont licenciés aux États-Unis, les usines non rentables sont fermées et une partie du personnel dirigeant est changée. Pour résister aux OPA de GAF Corporation, un géant de l’immobilier américain, l’entreprise finit par annoncer un plan de restructuration en janvier 1986 : elle se recentre ainsi sur ses activités dans la chimie, ferme de nouvelles usines, réduit une nouvelle fois ses effectifs et crée un programme d’aide à l’environnement de 100 millions de dollars. L’aspect juridique de la crise traversée par Union Carbide se termine en 1989 par un accord avec l’État indien pour une indemnisation des familles des victimes de 470 millions de dollars, contre l’abandon des poursuites pénales. Cependant, face aux pressions des militants et à l’ampleur internationale du scandale, la Cour suprême américaine révise le jugement en 1991, ce qui fera encore durer la crise pour l’entreprise.

Malgré les efforts de communication et de gestion de crises fournis, la catastrophe industrielle de Bhopal a conduit à la fin de Union Carbide : sa réputation et son image n’ont pu être réhabilitées. Le chiffre d’affaires de l’entreprise a en effet été divisé par deux en dix ans et l’entreprise a finalement été rachetée par Dow Chemical en 1999. Malgré l’ampleur de la crise, il convient de souligner que l’entreprise n’a pas choisi de reconnaître sa responsabilité dans un premier temps, ce qui ne l’a pas aidé. Sa stratégie consistant à se poser en victime n’a en effet pas fonctionné malgré la condamnation des 8 dirigeants de l’usine indienne en 2010, survenue bien trop tard. Les dirigeants de l’usine auraient dû, par ailleurs, déclencher les procédures d’urgence et prévenir les autorités locales bien plus tôt dans la nuit du 2 au 3 décembre. Ceux-ci auraient en effet attendu 4 heures après le début de l’incident technique avant de le signaler. L’inconséquence des équipes ayant tenté en vain de régler le problème de pression au sein de la cuve, qui explosera plus tard, est également à relever.

D’autre part, des signaux alarmants auraient dû conduire à la fermeture de l’usine ou au renforcement de son système de sécurité et de gestion de crise : en 1982, un ouvrier était décédé du fait de la faiblesse des mesures de sécurité au sein de l’usine et cinq fuites de gaz avaient eu lieu entre 1982 et 1983. Le PDG de l’époque, Warren Anderson, avait alors décidé de maintenir l’usine ouverte. Le 21 octobre 1984, enfin, soit environ un mois et demi avant la catastrophe, les ingénieurs de l’usine avaient rencontré des problèmes avec la cuve en question. Aucune mesure n’avait alors été prise. Par ailleurs, après l’accident du 3 décembre 1984, les dirigeants de Union Carbide n’ont pas engagé de processus de décontamination du site, ce qui aurait dû être fait. Les Indiens vivant à proximité ont continué à être intoxiqués du fait de la contamination des nappes phréatiques et n’ont donc pas vu les efforts de l’entreprise pour résoudre la crise. Décontaminer l’usine et son périmètre aurait probablement permis de donner une meilleure image de l’entreprise en Inde et de réduire l’ampleur de la crise sanitaire ayant touché les habitants de Bhopal.

Eric Dumoul



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