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Chambre 2806 : DSK en est-il jamais sorti ?




Jeudi 8 Avril 2021


14 mai 2011. Le président du Fonds Monétaire International alors en fonction, M. Dominique Strauss-Kahn, est arrêté à l’aéroport JFK de New York dans un avion en partance pour Paris. Il est accusé d’agression sexuelle sur une femme de chambre de l’hôtel Sofitel de Manhattan, où il a séjourné quelques jours. Cette arrestation marque le début d’une affaire sordide qui signe la fin de la carrière de l’homme politique français.



L’atteinte à une icône française
 
Dominique Strauss-Kahn est en 2011 une figure incontournable de la scène politique française et internationale. Il est considéré comme un économiste brillant et un homme moderne, qui s’intéresse notamment aux nouvelles technologies, ce qui le distingue de ses pairs de la classe politique française. C’est un homme qui sait maitriser son image, et notamment grâce aux conseils de ses différentes épouses et de son équipe de communicants. Sa deuxième épouse, Brigitte Guillemette, spécialiste en communication, lui fait complètement changer de style vestimentaire pour qu’il apparaisse comme un homme politique accessible et séduisant. Il ne faut pas oublier sa troisième épouse, la célèbre journaliste française Anne Sinclair, qui lui a été d’une aide précieuse, notamment lors du scandale du Sofitel. Ainsi, en préparation des présidentielles de 2012, DSK était au faîte de sa gloire et 65% des Français souhaitaient le voir accéder à la plus haute fonction de l’Etat. Il jouit d’ailleurs d’une grande influence à l’échelle internationale puisque, selon son assistante générale au FMI, il était considéré comme le « tsar financier du monde ».

L’annonce, le 16 mai 2011, de l’incarcération de DSK, visé par sept chefs d’accusation, a provoqué un séisme mondial et un emballement médiatique sans précédent. Lorsqu’il sort du commissariat pour être transféré dans une prison fédérale, 200 journalistes l’attendent pour immortaliser la chute d’une icône de la politique française. Cette image restera gravée dans les mémoires.
 
Une gestion médiatique passive qui détruit la carrière de l’homme politique français
 
La gestion de la communication dans le clan DSK est extrêmement difficile : il s’agit d’un sujet très sensible, d’autant plus que cette affaire est représentative des problèmes d’inégalités endémiques aux Etats-Unis et dans le monde. Un homme blanc riche et puissant s’attaquant à une femme immigrée noire et pauvre du Bronx.  

La première étape de la gestion et communication de la crise du Sofitel est le déni : DSK n’a jamais reconnu un seul fait qui lui avait été reproché, hormis le fait d’avoir eu une relation hors mariage qu’il qualifie de « faute morale ». Dans sa lettre de démission de son poste de directeur général du FMI, Dominique Strauss-Kahn nie fermement les faits dont on l’accuse et affirme sa volonté de protéger l’institution avant tout. Lors de sa première allocution publique au 20h de TFI, en septembre 2011 après sa relaxation, il regrette une « relation inappropriée » et une « faute vis-à-vis de sa femme, de ses enfants, de ses amis mais surtout vis-à-vis des Français », mais en aucun cas il n’exprime de l’empathie pour la victime et il n’évoque à aucun moment Nafissatou Diallo. Il dénonce une histoire « inventée de toutes pièces ».

La seconde étape de la communication de DSK est la mise en avant de son couple et de sa famille. Anne Sinclair a été un soutien indéfectible tout au long du procès et ce soutien est d’autant plus important que l’entièreté du scandale et du procès s’est déroulée aux Etats-Unis où le mariage est une institution chère aux cœurs des américains. En effet, ceux-ci se souviennent encore de l’affaire Monica Lewinsky où l’ancien président des Etats-Unis avait pu compter sur le soutien de son épouse Hillary Clinton. C’est donc Anne Sinclair qui prend la première la parole en publiant un communiqué public où elle affirme : « Je ne crois pas une seule seconde aux accusations qui sont portées contre mon mari. Je ne doute pas que son innocence soit établie ». D’ailleurs, dans chaque déclaration qu’il fera, que ce soit dans sa lettre de démission ou lors de son interview au journal de 20h, DSK pense toujours avant tout à sa femme.

Les soutiens politiques de DSK en France, et notamment dans son parti politique le Parti Socialiste, sont très importants pour sauver l’image de DSK en France. En effet, tous ses amis qui s’expriment publiquement utilisent les mêmes éléments de langage, ils répètent tous : « tout cela ne lui ressemble pas ». Cela participe à semer le doute dans l’esprit des Français sur la culpabilité de DSK et la véracité des faits qui lui sont reprochés.

Enfin, DSK peut compter sur sa popularité. En effet, le minutage de l’accusation apparaît à certains comme très opportun pour les opposants politiques de l’accusé. Nous sommes à moins d’un an de la présidentielle française et les Français peinent à croire que leur homme politique préféré ait pu commettre de telles atrocités. Des théories de complot circulent alors, alimentées par des faits troublants, tels que la danse de la victoire d’agents de sécurité de l’hôtel quelques minutes après le coup de fil passé à la police. Ces théories du complot vont dans le sens de DSK qui ne serait alors plus le coupable mais la victime d’une vaste machination destinée à le détruire. A ces théories du complot s’ajoute la vague de décrédibilisation dont est l’objet la plaignante Nafissatou Diallo. Sa crédibilité est remise en question à cause des mensonges qu’elle aurait prononcé à propos de son passé notamment. DSK cherche aussi à développer sa popularité aux Etats-Unis : il fait venir des rabbins dans son appartement où il est assigné à résidence pour provoquer un élan d’empathie chez la communauté juive de New-York, communauté influente.

Cependant, la gestion de crise n’est pas une franche réussite, puisque DSK s’affronte à de nouvelles accusations et à quelques faux pas. D’abord, une journaliste française, Tristane Banon, l’accuse quelques semaines après son arrestation de tentative d’agression sexuelle. Ensuite, une vieille affaire ressort : il avait été visé par une enquête au FMI à propos d’une relation qu’il aurait eu avec une de ses subordonnées. A l’époque, l’équipe de communicants de DSK avait réussi à faire passer cela comme une histoire d’un soir et à lui donner une image de Don Juan, figure appréciée en France, et non pas celle d’un homme violent. Enfin, les journaux publient des images de son appartement de luxe que sa femme a loué à sa sortie de prison : la compassion du public n’est pas acquise à DSK.

Donc malgré les tentatives de DSK pour conserver son image et malgré le fait qu’il ait été blanchi dans cette affaire, sa carrière est entachée à jamais par l’histoire du Sofitel, scandale sexuel qui préside au scandale Weinstein qui va lancer le mouvement Me Too. Dans un ultime essai pour sauver sa réputation, lors de l’interview au JT de TF1 menée par Claire Chazal, grande amie d’Anne Sinclair, une interview millimétrée donc, DSK se pose en victime d’une machine judiciaire américaine qui l’a broyé et humilié. Il répète « j’ai eu peur, j’ai eu très peur ». En vain. L’affaire du Carlton de Lille et le vaste réseau de proxénétisme dans lequel serait impliqué DSK achèvera de détruire la carrière politique du brillant économiste.
 
Une communication de crise à très long terme avec le relancement actuel des débats
 
Il faut cependant souligner que DSK est resté très silencieux durant la crise du Sofitel. Il s’est très rarement exprimé en public, laissant ses avocats ou sa femme le faire pour lui. Les événements récents vont peut-être changer cela. En effet, un documentaire est sorti fin 2020 sur Netflix s’intitulant « Chambre 2806 » qui retrace l’affaire grâce à des images inédites et de nombreux témoignages. En réponse à ce documentaire, DSK a annoncé début 2021 la sortie à l’automne 2021 d’un autre documentaire où, cette fois-ci, il apparaîtra et donnera pour la première fois un témoignage entier sur sa vie et sur le scandale de la chambre 2806.

Elsa Lamontagne



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