Carnets du Business


           

Comment le groupe Edouard Leclerc a su gérer, en 2005, la crise des steaks hachés surgelés




Vendredi 28 Juin 2019


Fin octobre 2005, le groupe E. Leclerc fait face à une crise sanitaire et alimentaire dramatique, en effet une quinzaine d’enfants de 2 à 9 ans sont victimes d’intoxications alimentaires graves, suite à la consommation de steaks hachés surgelés de la marque « Chantegril », une marque du distributeur français. En cause : la bactérie Escherichia coli, qui peut s’avérer mortelle. Force est de constater que le distributeur a su traverser cette crise et se maintenir comme l’un des plus grands groupes de distribution français.



Une quinzaine d’enfants hospitalisés suite à la consommation de steaks hachés contaminés
 
C’est dans le Sud-Ouest de la France que commence la crise, principalement dans les départements des Landes et des Pyrénées Atlantiques, au cours de la semaine du 24 octobre au 30 octobre 2005. La bactérie responsable de l’intoxication des enfants, Escherichia coli, s’attaque aux globules rouges et provoque de graves insuffisances rénales chez les jeunes enfants, nécessitant alors des soins lourds, comme des soins en dialyse et des transfusions sanguines. Le danger est réel, la bactérie peut entraîner le décès des enfants, même si dans ce cas la vie des enfants n’est pas en danger.

L’alerte est donnée le mardi 25 octobre 2005 par les centres hospitaliers de Pau et Bordeaux, qui font face à des cas d’enfants contaminés. L’affaire est aussitôt saisie par la Direction générale de l’alimentation (DGA) qui, dès le jeudi 27 octobre, ouvre une enquête pour intoxication alimentaire. L’agence contacte plusieurs distributeurs alimentaires français, dont le groupe Leclerc. Le vendredi soir après deux jours d’enquête, l’information tombe :  sont responsables de cette intoxication des lots de steaks hachés surgelés de la marque Chantegril. Les steaks hachés en question ont été produits entre juillet et août 2005 dans l’usine du sous-traitant Soviba, dans le Maine-et-Loire. Le groupe E. Leclerc se saisit alors de la crise, et une cellule d’urgence est mise en place dès le vendredi soir.
 
Une gestion de la crise rapide et efficace due à un système de rappel bien en place
 
Cette cellule d’urgence est composée du responsable qualité, de l’acheteur produit et du chef de marché complété par le docteur vétérinaire conseil, la spécialiste logistique industrielle, le service de communication interne et externe. La première mesure a été de tout mettre en place pour protéger les consommateurs et ainsi éviter que la situation ne dégénère. Il s’agit en effet de retrouver les lots responsables de l’intoxication alimentaire, ainsi que de rappeler tous les autres lots suspects. La gestion logistique de la crise par l’entreprise agroalimentaire est remarquable, notamment grâce à un processus de rappel efficient. De fait, l’entreprise avait consacré de nombreux moyens au suivi de produits, permettant d’avoir une traçabilité des produits redoutable d’efficacité, en allant encore plus loin que ce qui était alors requis par les directives européennes. Ainsi, en trois jours, les trois lots responsables de l’intoxication sont ciblés, et les stocks encore en vente sont rappelés. Néanmoins les steaks hachés étant surgelés, ce sont des biens de consommation à moyen terme, et certains stocks encore en grande majorité présents chez les consommateurs. Il reste donc environ 300 000 boîtes à retrouver.
 
La communication de crise : le choix de la transparence…
 
            Le dimanche matin à 8h un premier communiqué est publié par le service de communication. Le choix de la communication de masse et de la transparence totale est fait. Pendant les trois premiers jours Michel-Édouard Leclerc, Directeur général du groupe, va intervenir via les médias de masse : télévision, radio, journaux, pour communiquer sur la crise, et contacte à plusieurs reprises l’Agence France Presse (AFP) pour fournir des communiqués de presse. Les informations relatives aux steaks hachés contaminés sont largement reprises et diffusées pendant trois jours, en parallèle du rappel des stocks. L’entreprise assume ses responsabilités et joue la carte de la transparence vis-à-vis de la situation, un numéro vert est également mis en place. Mais surtout l’entreprise pense à ses consommateurs et veut prévenir des risques afin d’éviter d’autres cas d’intoxication alimentaire, qui ne feraient qu’entacher un peu plus l’image de la marque. Ainsi afin de rappeler les stocks présents chez les consommateurs, Leclerc va contacter ses clients de manière totalement inédite.

             Le distributeur français va ainsi utiliser le fichier des clients ayant souscrit à une carte de fidélité, qui représente 85% de sa clientèle dans les départements touchés par la crise, pour retrouver les stocks. Cela est possible, car l’entreprise avait fait le choix de mettre en place une application dans le logiciel d’encaissement permettant de rapprocher le numéro de carte de fidélité d'un code-barres produit. Au bout de trois jours, 13 000 clients ont été contactés par l’entreprise. Les clients n’ayant pas souscrit à un programme de fidélité sont, eux, contactés via leur banque grâce aux informations de paiement. Les clients ainsi contactés peuvent ramener leurs stocks pour être remboursés et sont invités à consulter un médecin par précaution. E. Leclerc met donc en place tous les moyens pour prévenir ses consommateurs et endiguer la crise.
 
…et puis silence radio.
 
            Après cette phase de communication massive, l’entreprise fait le choix de ne plus livrer d’informations supplémentaires, les conditions nécessaires pour arrêter la crise ayant été mises en place ; tout en évitant l’exposition de la marque, et les discours inutiles. Michel-Édouard Leclerc fait un choix original et novateur en termes de gestion de crise : communiquer sur l’affaire via son blog personnel. En effet, son blog était déjà en place depuis un certain temps, et jouissant d’une bonne réputation il a permis de communiquer de manière décalée, plus personnelle et moins formelle, tout en se détachant de l’image de la marque. Il a ainsi continué d’informer ses consommateurs via son blog, jusqu’à plusieurs mois après, sur l’évolution de l’enquête.
 
Finalement, le constat est assez simple, la gestion de la crise par le groupe E. Leclerc a été remarquablement efficace. On louera sa capacité à ne pas subir l’information et à prendre les devants. En effet, l’action menée pour rappeler l’ensemble des stocks suspects, qu’ils soient encore en rayon ou stockés chez les consommateurs, rend le discours légitime et donne à l’entreprise, l’image d’une marque qui se soucie de ses consommateurs. De plus choisir la transparence via une communication de masse a permis à Leclerc d’anticiper de potentielles situations délicates en jouant cartes sur table, en assumant les erreurs commises et en montrant que l’objectif prioritaire de l’entreprise était de protéger ses clients. La communication a été si rondement menée, qu’il n’y a pas eu un mot de trop, l’entreprise justifiant même son silence, une fois l’ensemble des informations transmises, comme du « respect » pour les victimes durant la durée de la crise. Une conclusion brillante à cette crise, en plaçant toujours le consommateur au centre des préoccupations, afin de donner à la marque une image bienveillante.
 
 
 


TM



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