Carnets du Business


           
Bernard Marois
Bernard MAROIS Professeur Emérite à HEC Paris Président d’Honneur du Club Finance HEC En savoir plus sur cet auteur

Crise financière et risque systémique, par Bernard Marois




Lundi 8 Mars 2010


Bernard Marois, expert en finance pour Les Carnets du Business

Christine LAGARDE vient de confier une mission de réflexion sur le « risque systémique propre au secteur financier », à Jean -François LEPETIT, éminent banquier et ancien Président de la COB (prédécesseur de l’AMF). Ce sujet est évidemment essentiel pour envisager des mesures de protection susceptibles d’empêcher ou de limiter les prochaines crises. Cependant, la tendance actuelle consiste aussi à privilégier la condamnation des acteurs, boucs émissaires faciles, ou des méthodes (telles que les nouvelles techniques financières), plutôt que les modalités de fonctionnement du système.



En effet, il est facile de faire le procès des « traders », des « hedge funds », des agences de notation et des banques en général, en oubliant les fondements sur lesquels ces institutions fonctionnent. Ainsi, les « traders » ne font qu’obéir aux incitations qui leurs sont proposées, à savoir, bénéficier de bonus sur des opérations qui en moyenne rapportent plus de 40% de rentabilité à leurs employeurs. Les « hedge funds » spéculent peut-être, mais leur rôle consiste aussi à faire disparaître les dysfonctionnements des marchés en procédant par arbitrage. Les agences de notation opèrent à partir des données chiffrées qui leur sont communiquées (ce n’est pas leur rôle de les « auditer ») ; en outre, il y a toujours mécaniquement un retard par rapport aux événements en cours. Les banques ont, malgré tout ce qui leur est reproché, contribué à financer l’économie, contrairement à ce qui s’était passé en 1929. Si les encours de prêts ont baissé (par exemple, -13% pour les crédits à la consommation) ce n’est pas un effondrement.

Ceci étant, il est légitime de vouloir modifier certaines règles du jeu, si celles-ci paraissent inadéquates. C’est déjà le cas avec les bonus (imposition plus lourde, étalement sur le long terme, prise en compte des pertes, etc). De même, une législation raisonnable va s’imposer en matière de « hedge funds » (transparence accrue, limitation de l’effet de levier et des ventes à découvert). Les agences de notation vont être mieux surveillées. Quant aux banques, le principe d’accroître le coût en capitaux propres des opérations à risque est tout à fait sain et va s’appliquer rapidement.

De même, en ce qui concerne les techniques financières, il est absurde de condamner la « titrisation », qui permet entre autres de mutualiser les risques, ou les « produits dérivés », qui permettent de couvrir ces mêmes risques, sous prétexte que les subprimes ont amorcé, via les CDO, la crise financière actuelle.

En fait, ce qu’on a oublié de souligner comme étant la « faute originelle » de ces crédits immobiliers, c’est d’avoir accepté de les octroyer selon un principe économique fallacieux (avec la bénédiction des Pouvoirs Publics américains), à savoir : garantir un financement sur un bien(une maison) dont la valeur est censée s’apprécier d’une façon permanente, et non pas sur la capacité de remboursement de l’emprunteur, comme l’enseigne la théorie économique.

C’est la première faille de nature conceptuelle. La deuxième erreur est également d’ordre théorique : l’essentiel de la théorie financière moderne s’appuie sur « la loi normale » (courbe de Gauss), qui a tendance à minimiser la fréquence et les conséquences d’évènements extrêmes (comme ceux que nous vivons actuellement). De même, les académiques ne s’intéressent qu’aux « processus » financiers et non pas aux « acteurs » de la finance, assimilant les sciences de gestion à des sciences « dures » (physique, chimie), ce qu’elles ne seront jamais. Cela est dû à la dominance indiscutée des mathématiciens dans la plupart des institutions financières. On commence seulement à s’intéresser à la finance « comportementale » et aux théories fractales (Mandelbrot), mais c’est un peu tard ! Si on avait pris en compte la finance « comportementale » on aurait mieux mesuré les risques réels pris par les acteurs financiers.


cc - Wikiwonka42
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Troisième reproche aux analyses à la mode : le manque de prise en compte des « régulateurs » dans les origines de la crise. Que ce soit les régulateurs internes (contrôleurs de gestion, audit) ou les régulateurs externes (organismes de supervision, responsables politiques), beaucoup ont été défaillants. Il ne suffit pas d’avoir des règlementations, encore faut-il qu’elles soient effectivement appliquées. Quelques illustrations : les 17 signaux d’alerte envoyés antérieurement et non pris en compte lors de l’affaire Kerviel ; les enquêtes sur Madoff plus ou moins étouffées, parce qu’il s’agit d’un ex-Président du NASDAQ, donc « au-dessus de tout reproche ».

Plus globalement, les accusateurs actuels oublient de mettre en lumière « les phénomènes de collusion » qui ont accentué certainement la crise (c’est politiquement « incorrect » de le dire). Ainsi, c’est un ancien banquier, Henry Paulson, qui devient Directeur du Trésor américain en 2008 : il s’empresse de « couler » Lehman Brothers, un ancien concurrent ! Certains conseillers actuels d’Obama, tel Lawrence Summer déjà en activité sous Clinton, sont ceux qui ont démantelé le Glass Steagall Act (règlementation qui séparait les activités de marché et les activités de banque de détail aux Etats-Unis) à la fin des années 90, ouvrant large les vannes de la spéculation. Quant à Goldman Sachs (d’où proviennent nombre de hauts fonctionnaires américains actuels), son rôle dans la crise de la dette grecque résume bien la coresponsabilité entre le public et le privé : ainsi Petros Christodoulou, Directeur de l’Agence de la Dette Grecque est un ancien cadre de cette banque!

Pour conclure, il ne s’agit pas de donner « l’absolution » aux professionnels de la finance, mais de comprendre que les causes de la crise sont beaucoup plus profondes. Elles résultent, en partie, de l’existence de fondements économiques erronés ainsi que nous l’avons indiqué précédemment, et en partie de la mise en œuvre déficiente des règlementations déjà existantes. Rien ne sert de les renforcer, si par ailleurs, on ne fait rien pour les appliquer efficacement.




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