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Facebook et le scandale Cambridge Analytica




Mardi 2 Juillet 2019


Le scandale Cambridge Analytica a fait traverser à Facebook une crise sans précèdent. Après la révélation de l’utilisation irrégulière des données de plus de 70 millions d’utilisateurs par une entreprise privée, Facebook a été confrontée à une perte de confiance massive et à une chute forte de son cours de bourse. Cependant, malgré une communication de crise hasardeuse, l’entreprise a finalement poursuivi ses activités sans trop de dommages.



Que s’est-il passé ?
 
Facebook, déjà décriée pour sa protection toute relative des données personnelles de ses utilisateurs, s’est retrouvée dans une situation difficile lors de la révélation des agissements de l’entreprise Cambridge Analytica. Le 17 mars 2018, le Guardian et le New York Times publiaient le témoignage de Christopher Wylie, un ex-employé de l’entreprise lançant l’alerte sur les pratiques de celle-ci.
Les faits remontent à 2014 : après avoir obtenu un investissement de 15 M€ de la part de Robert Mercer, un riche donateur républicain, Cambridge Analytica avait développé un ensemble d’outils à même de leur permettre d’identifier les personnalités des électeurs américains et d’influencer leur comportement. Seul problème : l’entreprise ne disposait pas des données dont elle avait besoin pour le fonctionnement de ses outils. 

Pour obtenir les données tant convoitées, elle s’est donc associée avec un chercheur de l’université de Cambridge, Aleksandr Kogan, et mis en place une application prétendument à but de recherche universitaire nommée « thisisyourdigitallife ». Celle-ci, via des outils fournis par Facebook aux développeurs d’applications, a permis à Cambridge Analytica de récolter les données (statuts, pages et publications aimées, parfois messages privés) de ses utilisateurs, mais également de tous leurs amis (une possibilité aujourd’hui supprimée par Facebook). Il a donc suffi qu’un peu plus de 270 000 personnes utilisent thisisyourdigitallife pour que ses concepteurs puissent rapidement récolter les données de plus de 70 millions de profils.

Cela a permis à l’entreprise d’exploiter les données privées d’une large partie de l’électorat américain, données mises à profit dans les efforts pour la campagne de Donald Trump en 2016.

Cette révélation est à l’origine d’un double scandale pour Facebook. Tout d’abord un scandale interne, puisqu’ont été mises au jour des pratiques douteuses de l’entreprise en matière de gestion des données personnelles de ses utilisateurs. Mais également un scandale politique, puisque lesdites données ont par la suite pu être utilisées pour influencer les élections présidentielles américaines, le tout dans un contexte de suspicion d’influence russe au cours de ces mêmes élections.
 
Facebook, une réaction tardive et confuse
 
Le 17 mars, au moment de la publication des articles du Guardian et du New York Times et de la reprise de l’information par de nombreux médias qui s’ensuivit, Facebook a commencé par adopter une stratégie de silence. Dans un second temps, voyant que le scandale prenait de l’ampleur, l’entreprise a tenté de banaliser le problème par des biais plus informels (réponses à la presse), jouant sur le fait que comparé au nombre total d’utilisateurs de Facebook (plus de 2 milliards), relativement peu de personnes avaient été touchées.

Finalement, face à la tempête médiatique, l’entreprise brisa le silence le 22 mars avec un post de Mark Zuckerberg sur sa page Facebook, relayé par Sheryl Sandberg, la directrice de l’exploitation (COO). Dans celui-ci, Zuckerberg prenait la pleine responsabilité pour le détournement des données, disait regretter de ne « pas avoir fait assez » pour l’empêcher et s’excusait pour la « brèche de confiance » de Facebook vis-à-vis de ses utilisateurs. À partir de ce moment-là, l’entreprise n’a cessé de se confondre en excuses, principalement via des interviews à la fois papier et télévisées données séparément par Zuckerberg et Sandberg.

Au-delà des excuses, suivant le schéma classique en communication de crise, l’entreprise a également promis un certain nombre de mesures. Facebook a ainsi promis d’enquêter sur les applications ayant eu accès à une quantité importante d’informations personnelles avant les changements de politique sur les données de 2015, et de mener un audit sur les applications présentant des « activités suspectes ». L’entreprise en aurait identifié quelques milliers. Facebook a également promis d’informer les personnes dont les données ont été exploitées de façon irrégulière, ce qui inclut les personnes qui ont directement été affectées par l’affaire CA. L’entreprise s’est aussi engagée à restreindre plus avant la quantité d’information à laquelle les développeurs tiers peuvent avoir accès lorsque des utilisateurs se connectent sur leurs sites via leur compte Facebook, à supprimer l’accès aux données pour les applications non utilisées depuis plus de 3 mois, ou encore à permettre un accès plus facile aux réglages de confidentialité pour les utilisateurs de la plateforme.

Cette position a été ensuite reprise à l’identique lors des journées d’audition devant le Congrès américain à partir du 10 avril, où Mark Zuckerberg a été convoqué pour s’expliquer sur les différents problèmes de confidentialité rencontrés par le réseau social.
 
 
Un usage maladroit des techniques de communication de crise
 
La principale erreur de Facebook dans le scandale Cambridge Analytica réside dans la lenteur de la réponse de l’entreprise. L’usage frauduleux des données concernait une part majeure des électeurs américains, et l’information avait été relayée par deux journaux de premier plan (le Guardian et le New York Times) : elle ne pouvait pas passer inaperçue. L’inertie dans la réponse était d’autant plus inacceptable que Facebook est un réseau social, et est donc solidement ancré dans la culture de l’instantanéité. Le modèle d’affaires de l’entreprise étant de se positionner comme une plateforme de communication, sa propre communication doit être à son image : immédiate et proactive. Les utilisateurs attendent une réponse maintenant, tout de suite au moindre problème. Ne pas avoir réagi immédiatement aux articles révélant les pratiques de Cambridge Analytica a également fait que Facebook n’a pas eu le contrôle sur sa communication. L’entreprise a réagi aux attaques plus qu’elle ne les a prévenues, dans une ambiance générale de confusion, ce qui a endommagé son image de marque.

Dans sa communication même, l’entreprise a manqué d’empathie, en particulier initialement lorsqu’elle a tenté de minimiser l’impact de l’usage irrégulier des données. Certes le problème ne touchait « que » 50 à 70 millions de personnes sur 2 milliards d’utilisateurs, mais ces 50 à 70 millions de personnes constituaient une bonne partie de l’électorat américain, pays qui compte 325 millions d’habitants : l’impact était en réalité énorme. Le critère de proximité était également très élevé, puisqu’une large majorité des américains dispose d’un compte Facebook, lequel est très présent dans leurs vies puisqu’en permanence dans leurs poches sur leurs smartphones. Faire preuve de plus d’empathie aurait donc été essentiel.

Il faut tout de même reconnaître que l’exercice était ardu. Facebook se rémunérant en vendant de la publicité ciblée aux annonceurs grâce à l’exploitation des données personnelles de ses utilisateurs, il était difficile de condamner les pratiques de Cambridge Analytica sans remettre en cause le cœur de métier de Facebook.

La communication de crise de Facebook dans cette affaire était donc risquée, et une autre erreur commise par l’entreprise est d’avoir mis à la tête de sa communication les deux personnes les plus importantes de son organigramme, son CEO et son COO. Ce faisant, le risque supplémentaire pris par l’entreprise était énorme, car en cas d’échec, elle n’aurait pas disposé de fusible. Dans cette affaire, l’identification de l’entreprise et du scandale à son fondateur, Mark Zuckerberg, était totale, et l’échec de sa communication de crise aurait pu signifier sa sortie de l’entreprise, au même titre que Travis Kalanik a été forcé de renoncer à sa position de CEO chez Uber. Il aurait mieux valu passer par un porte-parole ou un haut responsable de l’entreprise sur lequel la faute aurait pu être déportée en cas de problème majeur, cette personne agissant comme variable de sécurité.
 
Malgré la controverse, quelques mois après, business as usual chez Facebook
 
Malgré les multiples reproches qu’il est possible de faire à Facebook sur sa gestion du scandale Cambridge Analytica, force est de reconnaître quelques mois plus tard que l’entreprise en est ressortie plus ou moins indemne. Contrairement à Cambridge Analytica qui a mis la clé sous la porte, les seules conséquences pour le réseau social ont été une variation passagère de son cours de bourse, quelques clients mécontents et le remplacement de son directeur de la communication, Elliot Schrage. Par sa position centrale dans la vie de ses utilisateurs, qui se servent de la plateforme au quotidien pour s’organiser, communiquer avec leurs amis et leur famille, Facebook bénéficie d’une assise solide qui lui a permis de résister au scandale en se rendant indispensable. La communication de crise de Facebook dans l’affaire Cambridge Analytica a donc été hasardeuse, mais a suffi pour permettre à l’entreprise de maintenir sa position.
 

​Corentin Carré



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