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Incendie Lubrizol : Comment un accident industriel est devenu une crise d’Etat




Jeudi 26 Novembre 2020


Comment l’incendie du site de produits chimiques de Lubrizol à Rouen, classé Seveso, s’est-il transformé en affaire gouvernementale impliquant l’Elysée ?



Dans la nuit du 25 au 26 septembre 2019, aux alentours de 3h du matin, selon les rapports de l’enquête, un incendie éclate pour des raisons encore inconnues dans le site de stockage de produits chimiques de l’entreprise Lubrizol et des entrepôts de Normandie Logistique situé à proximité, près de Rouen, en Normandie. Des témoins oculaires observent très vite le panache de fumée et les pompiers interviennent. Selon les informations disponibles, les cellules de crise des villes de Rouen et Petit Quevilly ainsi que d’autres communes alentours sont mises en place dans la journée. L’accident, d’une gravité extrême, est pourtant géré rapidement et à 21h, les pompiers annoncent avoir éteint le foyer principal. Pourquoi donc ce feu a-t-il occupé l’actualité durant de nombreux mois au point de déclencher une enquête parlementaire ?

Il faut s’attacher à plusieurs éléments qui peuvent expliquer l’emballement médiatique pour cette affaire et pourquoi de nombreuses accusations ont été portés contre l’Elysée et Matignon.

Tout d’abord, l’incendie est spectaculaire est aurait pu être bien plus grave. Aucun mort ne sera à déplorer directement lié à l’incendie mais une épaisse colonne de fumée de 20km émanera de l’incendie durant toute la nuit et durant une bonne partie de la journée. L’accident aurait pu être bien plus grave mais il reste impressionnant et de nombreux habitants de la métropole de Rouen y ont assisté par leur fenêtre, filmant et retransmettant sur les réseaux sociaux. Le caractère très personnel que prend cet accident, beaucoup s’imaginent sur place et cela fait écho à de nombreux autres accidents industriels que les français ont pu voir ou suivre au cours des trente dernières années.  Ce premier paramètre est crucial pour comprendre pourquoi la France va s’attacher à cet accident et demandera de comprendre. En parallèle de cela, les médias vont faire tourner les images en boucle sur toutes les chaînes d’information en continu alimentant ainsi l’inquiétude des français. Il y a eu un effet de spirale où les images diffusées interpellaient les français qui demandaient plus d’informations auxquels les médias se sont empressés de vouloir répondre. Les réseaux sociaux ont également servi de catalyseur en faisant tourner les images, vidéos et réactions des habitants de Rouen alimentant la boucle d’information. Enfin, cet accident est arrivé dans un creux médiatique où il n’y avait pas d’événements nationaux ou mondiaux majeurs qui auraient pu prendre du temps à l’antenne. Tout était en place pour que l’incendie Lubrizol occupe la première place de l’actualité.

Il faut se rappeler aussi du contexte politique qui entourait l’accident, notamment autour de la personne du Président et du gouvernement. L’été 2019 avait très difficile pour l’Elysée à cause du scandale Benalla qui avait entaché la confiance des français et avait remis en question la politique de transparence affiché du gouvernement. Bien qu’il n’y ait aucun lien entre les deux affaires, l’ombre du scandale Benalla plane encore sur le gouvernement le 26 septembre lors du déclenchement de l’incendie. Rappelons que cela fait suite aux manifestations des gilets jaunes apparus en 2018 et qui s’est poursuivi en 2019. Cela explique en partie le manque de confiance dont a pu souffrir le gouvernement qui sortait alors de deux crises de réputation très difficile.

On a donc un incendie spectaculaire auquel les français se sont identifiés et intéressé dans un climat de manque de confiance en le gouvernement et de vide médiatique. La crise était prête à exploser.

5 ministres se sont succédés à Rouen dans les 5 jours suivant l’incendie avec pour objectif de tenter de rassurer le public sur la non-dangerosité des fumées issues de l’incendie. Mais les apparentes contradictions entre les différents discours ont inquiété les habitants de Rouen d’autant plus que la liste des produits brûlés a été diffusé assez tard. En tentant de montrer un gouvernement actif et investi dans l’affaire, Matignon a en réalité donné l’impression de vouloir cacher des informations au public. De plus, l’entreprise Lubrizol a été très peu loquace sur le sujet ce qui n’a fait qu’accroître le sentiment que l’Etat cachait quelque chose. Edouard Philippe a d’ailleurs annoncé regretter que Lubrizol ait été « trop absente dans sa communication » le 5 octobre. Ce silence de Lubrizol a fait que le gouvernement a dû porter seul la tâche de rassurer les riverains sur la non-dangerosité des produits stockés dans l’usine et dans les entrepôts voisins. Même dans sa communication initiale, l’entreprise est restée assez évasive sur les produits et n’a pas cité de sources quand elle a affirmé qu’il n’y avait aucun risque pour les habitants de la métropole ce qui n’a fait qu’accroître les rumeurs sur internet.

Enfin, aux accusations de manque de transparence sur la dangerosité des produits brûlés s’est ajouté des accusations de manque de transparence avec les autorités locales. Le maire de Petit-Quevilly a notamment regretté n’avoir été informé que très tard de l’incendie et de n’avoir pu rassurer les habitants qu’à 7h du matin alors que le feu faisait rage depuis au moins 4h. Encore une fois, la volonté du gouvernement de garder la main sur l’affaire s’est retourné contre eux.

Ainsi, dans un contexte difficile pour le gouvernement, l’incendie Lubrizol s’est transformé en crise gouvernementale dû à une surexposition médiatique et un manque de confiance en Emmanuel Macron et Edouard Philippe. Cela a fait que les rumeurs les plus folles ont pu circuler sur l’incendie et la toxicité des fumées, propagé par les réseaux sociaux. Ces rumeurs et inquiétudes sont d’ailleurs telles qu’une enquête parlementaire a été lancé en novembre 2019 avec pour objectif de mettre la lumière sur l’affaire.

Corentin Barral



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