Carnets du Business


           

La crise Lafarge-Daesh




Mardi 7 Mai 2019


En juin 2018, le cimentier français Lafarge est mis en examen, accusé d’avoir financé l’État islamique en Syrie. La Société est placée sous contrôle judiciaire et sa caution est fixée à 30 millions d’euros. Elle est mise en examen pour « crimes contre l’humanité » et sa filiale Lafarge Cement Syria, est également poursuivie pour « financement d’une entreprise terroriste » et « mise en danger de la vie » des anciens salariés de l’usine de Jalabiya, dans le nord de la Syrie.



L’accusation du groupe
 
Huit anciens dirigeants et cadres du géant Lafarge-Holcim ont été mis en examen pour financement du terrorisme et mise en danger de la vie d’autrui. C’est au tour de la société d’être mise en examen comme personne morale. En juin 2017, le Parquet de Paris avait ouvert une information judiciaire, sur la demande de l’ONG Sherpa. La justice a enquêté sur les conditions dans lesquelles la société Lafarge, devenue Lafarge-Holcim après l’achat par le Suisse Holcim en 2015, a pu continuer son activité en Syrie sur la période 2011-2015, le pays étant alors en pleine guerre civile, et cela en plus sur le site de Jalabiya dans le nord de la Syrie, en pleine zone contrôlée par Daech.
 
Lafarge-Holcim est soupçonné d’avoir versé, au total via sa filiale Lafarge Cement Syria, près de 13 millions d’euros à divers groupes armés entre 2011 et 2015. D’après l’enquête, ces sommes correspondaient au versement d’une taxe pour la libre circulation des salariés et des marchandises, et à des achats de matières premières, dont du pétrole à des fournisseurs proches de l’EI, sept fournisseurs étant à Raqqah, capitale de l’EI. À ces canaux de financement, s’ajoutent désormais des soupçons sur la possible vente de ciment à l’État islamique, mis en lumière dans de récentes investigations. Environ 10 millions de dollars constituaient des paiements de sécurité.

Il s’ajoute aussi plus tard une deuxième facette à cette crise. Lafarge est accusée de ne pas collaborer avec la justice en dissimulant des informations et documents indispensables à la poursuite de l’enquête. Une perquisition au siège du groupe à Paris avait été menée les 14 et 15 novembre et « les ordinateurs ont été passés à l’eau de javel pour empêcher la justice de travailler », selon Maire Dosé (ONG Sherpa). Les juges d’instruction dressent le même constat et affirment que l’intégralité de la comptabilité susceptible d’impliquer la société n’a pas été transmise. Il semble que Lafarge essaierait d’effacer ses traces.
 
La communication de Lafarge dans cette crise
 
L’accusation étant gravissime et dévastatrice pour la marque, mais la communication de Lafarge laisse à désirer. Les accusations sont embarrassantes pour le groupe, car l’EI en France, cela signifie Charlie Hebdo, le Bataclan c’est à dire beaucoup de sang et de souffrance.
La communication de Lafarge est problématique pour plusieurs raisons. Tout d’abord, la réponse est inappropriée à la menace : suite aux révélations du Monde en 2016 et le début de la polémique, une seule action de communication est l’envoie d’un mail à l’agence de presse britannique Reuters.
Ensuite, le porte-parole du groupe Lafarge-Holcim explique que « lorsque le conflit s’est rapproché de la zone de l’usine, la priorité absolue de Lafarge a toujours été d’assurer la sécurité et la sûreté de son personnel, tandis que la fermeture de l’usine était étudiée ». Lafarge fait aussi valoir qu’entre 2010 et 2014, la cimenterie de Jalabiya « approvisionnait environ un tiers du marché local, répondant à un besoin de première nécessité de la population et aux besoins de développement économique de la Syrie ». Cette communication ne répond pas aux accusations de paiements versés à Daech, mais surtout au fait que la direction (à Paris) était bien au courant. La dernière phrase montre bien que Lafarge tenait coûte que coûte à maintenir la production en période de guerre malgré l’énorme danger. Comment penser au développement économique lorsque nous sommes en guerre ?
En contournant le problème, Lafarge aggrave la crise, car les non-dits deviennent des clous dans son cercueil : Lafarge a-t-elle quelque chose à cacher ?
Dernière erreur : l’ex-PDG Éric Olsen affirme qu’il est prêt à construire une partie du mur de Trump.
 
Que faire ?
 
Lafarge-Holcim peut sortir de cette crise, mais une bonne communication de crise doit faire partie d’une plus grande opération qu’est la gestion de crise. Dans ce cas, il y a un manque de réactivité et de transparence ce qui n’aide pas. Lafarge doit soigner sa communication auprès de ses parties prenantes, surtout ses entreprises clientes, car elle est dans un schéma B2B.
 
Lafarge doit d’abord insister sur la présomption d’innocence auprès du grand public, insister que jamais Lafarge n’a souhaité financer un groupe terroriste. Il faut adopter une stratégie de responsabilité pour restaurer son image, c’est-à-dire qu’il faut assumer ses mauvais choix (garder l’usine ouverte en zone de conflit), mais aussi relativiser l’accusation de « crimes contre l’humanité », accusation injuste ici, car Lafarge n’a jamais participé aux massacres, comme personne physique ou morale. Il s’agirait d’insister sur le fait qu’une mauvaise décision stratégique ne signifie en aucun cas un soutien à Daech.

Marcel Demonchy



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