Carnets du Business


           

Le scandale du camion « en mouvement » mais non motorisé : une crise fatale pour Nikola ?




Jeudi 15 Avril 2021


​Alors que le constructeur de camions à hydrogène Nikola battait des records à Wall Street – sa capitalisation boursière atteignait près de 13 milliards de dollars en juillet 2020, un mois après son introduction en Bourse –, le fonds d’investissement Hindenburg Research a brusquement mis fin à cette folle ascension en publiant un rapport accablant qui accuse le constructeur de « fraude complexe ». Le fonds a notamment révélé qu’une vidéo publiée par Nikola en 2017 présentant un prototype de leur camion propulsé par une pile à hydrogène avait été truquée : le camion n’était pas motorisé et avait simplement été tracté en haut d’une colline.



La révélation de « l’océan de mensonges » de Nikola 
 
Trevor Milton, le PDG et fondateur de Nikola, rêvait de faire de son entreprise le « Tesla des poids-lourds ». Dans cette optique, il avait multiplié les promesses auprès des investisseurs, à grands renforts de « coups de com » pour inscrire son entreprise dans la bulle boursière qui s’était créée autour des véhicules propulsés par des énergies innovantes (notamment par l’hydrogène). Introduit en Bourse en juin 2020, Nikola valait, en juillet 2020, près de 13 milliards de dollars (soit 11 milliards d’euros), c'est-à-dire deux fois plus que Renault, pour un constructeur qui n’avait finalement jamais produit ni vendu le moindre véhicule, hormis deux prototypes de camion à hydrogène.
 
Mais alors que le 8 septembre 2020, après l’annonce d’un investissement de deux milliards de dollars de General Motors – qui a fait bondir l’action de 41% –, plus rien ne semblait pouvoir inquiéter le constructeur, le fonds activiste Hindenburg Research a brisé le rêve vendu par Trevor Milton en publiant un rapport qualifiant Nikola de « fraude complexe » reposant sur les nombreux mensonges de son fondateur qui aurait « induit ses partenaires en erreur […] en prétendant faussement disposer d’importantes technologies ». Le fonds accuse en effet le PDG de l’entreprise de fraude massive : d’une part, il aurait fait croire qu’il avait mis au point des composants qu’il achetait en fait à des fournisseurs. D’autre part, Nikola est accusé d’avoir truqué une vidéo montrant un camion baptisé Nikola One – présenté comme un prototype fonctionnel de poids lourd propulsé par une pile à hydrogène se rechargeant en une quinzaine de minutes et garantissant une autonomie de plus de 1000 kilomètres –, qui semblait avancer tout seul sur une route plane, alors qu’il  avait en fait « été tracté au sommet d’une colline sur une route isolée et simplement filmé en train de descendre la pente ».
 
Le rapport révèle enfin que Trevor Milton, le fondateur de Nikola, était parvenu à asseoir la crédibilité de son entreprise sur une sorte de « pyramide de Ponzi de partenariats » : en parvenant à signer un premier partenariat avec GM, il a réussi à attirer de nouveaux investisseurs qui ont considéré que GM était une caution suffisante et n’ont donc pas cherché à vérifier les véritables fondamentaux du constructeur.
 
Ces soupçons de fraude ont fait plonger le cours des actions de l’entreprise, qui ont perdu 36 % de leur valeur en trois jours. Une enquête a également été lancée par la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme de la Bourse américain.
 
Une gestion de crise maladroite : Nikola avait-il le choix ?
 
Face à ce rapport accablant, Nikola a d’abord opté pour une première stratégie de communication : le déni. En effet, le constructeur a immédiatement réfuté les accusations avant de diffuser un démenti plus détaillé quelques jours plus tard. Le constructeur a même contre-attaqué en accusant le fonds activiste de vouloir manipuler son action : le fonds, qui pratique la vente à découvert sur l’action Nikola, aurait tenté de déstabiliser l’entreprise pour provoquer un effondrement des cours et engranger une plus-value importante. Le directeur financier du constructeur, Kim Brady, avait ainsi estimé que le rapport était « offensant » pour les partenaires (GM et Bosch) qui avaient détaché de nombreux experts pour s’assurer de la solidité de l’entreprise : « Il est ridicule de penser que ces groupes n'ont pas examiné l'entreprise de près, de bien plus près que ce qu'un acteur extérieur voulant miser sur la baisse du titre en Bourse n'ait pu le faire » avait-t-il commenté.
 
Trevor Milton a également refusé de démissionner, arguant dans un communiqué personnel que « l’accent devrait être mis sur la société et sa mission, pas sur [lui] et qu’[il] avait l’intention de [se] défendre contre les fausses allégations formulées contre [lui] par des détracteurs extérieurs ». Cette stratégie semble avoir été plutôt efficace puisque l’action a repris 11% dans la journée de la publication du communiqué.
 
Toutefois, Nikola considère rapidement une nouvelle stratégie, plus crédible, consistant à reconnaître une partie des allégations du fonds. Cette deuxième réponse est néanmoins empreinte de mauvaise foi. En effet, alors que le fonds Hindenburg estime que le prototype de camion à hydrogène montré dans la vidéo de 2017 avait été tracté au sommet de la colline et avait simplement utilisé la gravité pour dévaler la pente, Nikola reconnaît que le camion n’est pas motorisé mais rétorque « n’avoir jamais dit que le camion fonctionnait avec son propre système de propulsion dans la vidéo » mais avoir simplement indiqué que le véhicule était « en mouvement » !
 
Le PDG et fondateur de Nikola a ensuite annoncé sa démission et a finalement été remplacé à la tête du conseil d’administration par Stephen Girsky, membre du board de Nikola et ancien vice-président de General Motors (GM).
 
Les leçons de la crise : quel avenir pour Nikola ?
 
Ainsi voit-on que c’est la transparence qui a permis à Nikola de regagner la confiance des marchés financiers (l’action vaut désormais 17 dollars, contre 35 dollars avant la publication du rapport d’Hindenburg mais son cours a nettement augmenté après le mea culpa du constructeur et elle ne s’est pas effondrée, comme ce fut le cas pour Wirecard par exemple). Nikola a par exemple cessé de faire croire qu’il était capable de développer en interne toutes les technologies dont il avait besoin : le constructeur a assumé sa nécessité de nouer des partenariats, comme celui signé avec Iveco pour assembler le premier prototype de son camion électrique Tre.
 
Mais de plates excuses de la part du constructeur peuvent-elles suffire pour surmonter cette crise qui met en évidence les défaillances structurelles de l’entreprise ? En effet, si la réponse apportée par le constructeur aux accusations de fraude du fonds Hindenburg a été finalement bien reçue par les investisseurs - après un premier mouvement de panique boursière toutefois -, l’enjeu pour Nikola est maintenant de proposer aux investisseurs des avancées concrètes plutôt que de multiplier les opérations de communication.
 
La crise à laquelle est confronté Nikola rappelle le scandale Theranos, une start-up qui prétendait révolutionner les analyses sanguines mais qui n’a finalement jamais réussi à présenter le moindre produit fonctionnel. Une enquête pour « fraude massive » avait été ouverte par la SEC et la société a été dissoute en septembre 2018. Si les dirigeants de Nikola semblent avoir mieux géré la crise que le PDG de Theranos, elle doit maintenant agir comme un accélérateur pour la construction d’une première usine en Arizona, pour la transformation des prototypes (pick-ups et camions) en modèles de série et enfin pour l’installation de bornes de recharge d’hydrogène.

Baptiste J.



Recherche

Rejoignez-nous
Twitter
Rss
Facebook










2ème édition, revue et augmentée