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Rayonnement culturel de la France et « soft power » : doit-on changer de paradigme ?




Vendredi 8 Mars 2013


Longtemps la France a rayonné à travers le monde par sa langue, sa diplomatie, ses arts et sa culture, renforçant son influence par l’image et l’autorité qu’elle renvoyait aux autres nations. Ce « soft power » qui ne portait alors pas encore ce nom s’est essoufflé avec le temps, bousculé par une mondialisation qui a redistribué les cartes entre grandes puissances. Raison de plus pour ne pas négliger notre « diplomatie culturelle », mais à condition de ne plus l’envisager sous son seul aspect étatique.



© olly - Fotolia.com
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Les « diplomaties culturelles » sont mises en place par les Etats pour assurer leur image et promouvoir leurs « valeurs » à travers le monde. En France, cette stratégie d’influence culturelle repose sur une politique universitaire et scientifique et sur les instituts français et les Alliances françaises à l’étranger. Si cette diplomatie culturelle a permis pendant longtemps de maintenir  une relative influence sur le monde, aujourd’hui, à la suite de coupes budgétaires incessantes, l’Etat français n'a assurément plus les moyens de ses ambitions. La seule Agence pour l'enseignement français à l'étranger représente 56,9 % des crédits alloués par l'Etat à la diplomatie culturelle et d'influence (1). Avec une enveloppe budgétaire annuelle d’environ 250 à 300 millions d’euros pour les actions culturelles, il paraît évident que la diplomatie culturelle française ne peut plus briller durablement à l’étranger par les seuls moyens publics.
 
Faute de financement, la France doit-elle renoncer pour autant à ses ambitions de rayonnement culturel ou est-il temps d’établir de nouveaux réseaux d’influence et de diplomatie culturelle, au-delà du Quai d’Orsay et du ministère de la Culture ? C’est à une véritable révolution culturelle que l’Etat doit accepter de se résoudre. La France reste en effet  un des rares pays au monde à avoir - depuis André Malraux - un ministère de la Culture, et à considérer les affaires culturelles comme une mission quasi régalienne. Le risque étant, comme les dernières décennies l’ont démontré, de transformer les artistes en fonctionnaires et de scléroser la création par un art sous perfusion étatique, au détriment des artistes eux-mêmes.
 
Or le succès d’un artiste ou d’un auteur ne saurait dépendre de la seule politique culturelle de l’Etat mais doit pouvoir, s’il veut se confirmer durablement et mondialement,  s’appuyer sur des mécènes, des maisons d’éditions, des producteurs, des galeristes ou des salles de vente ayant une portée internationale et capables de le soutenir à l’étranger. Pour mener une telle politique, la France dispose d’ailleurs de solides atouts… dans le secteur privé. Nos compatriotes ignorent par exemple que le deuxième éditeur mondial est le Français Hachette, dirigé par Arnaud Nourry qui en a fait le premier éditeur de Grande-Bretagne et d’Australie, le deuxième d’Espagne et le cinquième des Etats-Unis. Un succès dont l’ensemble du monde francophone de l’édition – écrivains compris – bénéficie très concrètement. Ainsi, lors du bras de fer qui a opposé les éditeurs français à Google après que la société américaine ait décidé de numériser les ouvrages francophones stockés dans les bibliothèques américaines, seule la détermination d’Hachette et sa connaissance du marché américain ont permis d’aboutir à un accord permettant de préserver les intérêts des écrivains et des éditeurs français. Preuve que le secteur privé peut contribuer au rayonnement culturel, Arnaud Nourry a démontré en cette occasion à quel point il était stratégique de préserver l’écosystème de l’édition française et ses auteurs contemporains : « le patrimoine de demain, c’est la création d’aujourd’hui. » (2).
 
Dès lors, ne serait-il pas grand temps en France de s’affranchir d’une politique culturelle par trop  inféodée aux organismes étatiques ? Cela permettrait peut-être de mobiliser les énergies et les vecteurs de rayonnement culturels là où ils se trouvent naturellement : auprès des artistes, des professionnels de l’art, des organismes professionnels, des instituts et des fondations privés. Autant de relais vivants et dynamiques prêts à défendre la « marque France » et l’exception culturelle française à l’international. C’est justement la démarche que poursuit depuis près de 60 ans le Comité Colbert (3), qui fédère 75 maisons de luxe et 13 instituts culturels : œuvrer au rayonnement international de l’art de vivre français, partie intégrante de la culture française. En mettant en avant le savoir-faire et l’esprit français des grandes maisons qui la composent, cet organisme indépendant participe au rayonnement culturel, et de facto économique de la France de par le monde bien plus efficacement que des instituts qui n’ont que leur légitimité étatique à faire valoir, faute de réels moyens. Enracinés dans un patrimoine, le luxe français porte en lui des valeurs d’esthétisme, d’art de vivre et d’excellence qui transcendent les clivages entre public, privé, lui conférant une légitimité et une force de frappe qui rallie tous les suffrages.
 
C’est ainsi que le Comité Colbert (4) a initié une collaboration active entre les marques de luxe et les services douaniers, une coopération public-privé exemplaire et efficace pour combattre la contrefaçon endémique qui mine des pans entiers de l'économie française en produisant à bas coût des copies qui détériorent gravement dans le monde l’image de ces entreprises d'excellence.
 
Hélas, le Comité Colbert demeure encore une exception dans le paysage économique et culturel français et tout reste encore à faire pour que l’ensemble des acteurs qui participent à la création artistique et au rayonnement culturel français, trouvent leur juste place pour influencer et peser durablement au-delà de nos frontières.  A part le cas exceptionnel du Musée du Louvre, mondialement connu et  capable de capitaliser sur sa « marque » jusqu’au fin fond des sables d’Abu Dabi (5), on constate que la culture française doit rivaliser d’imagination pour peser durablement à l’échelle mondiale. La voie d’avenir serait de s’engager davantage sur des initiatives conjuguant les synergies entre public et privé, organismes étatiques et entreprises marchandes, comme la diplomatie culturelle américaine a d’ailleurs su le faire depuis des décennies, assurant son image en s’appuyant sur des fondations privées puissantes et généreuses.
 
Pour rayonner à l’étranger, l’art et la création doivent préalablement réussir à s’exprimer et s’épanouir sur leur marché domestique. Or, si la France possède un patrimoine culturel incomparable, elle est loin d’offrir aux artistes les conditions optimales pour créer et atteindre la notoriété mondiale qu’ils méritent. Lors de la dernière convention nationale organisé le Syndicat national des maisons de ventes volontaires (Symev), George-Philippe Vallois, président du Comité professionnel des galeries d'art relevait combien les acteurs nord-américains du marché de l’art « excellent à réa­liser des actions associant musées, auctioneers et galeristes pour promouvoir de nouveaux artistes » (6). Exemple : à New York, il n’est pas rare de voir un musée, une galerie et une maison de vente agir ensemble pour promouvoir le travail d’un créateur et faire découvrir ses œuvres en organisant de concert une rétrospective publique, une exposition privée ainsi qu’une vente aux enchères. Ce type de  démarche dynamique de décloisonnement entre public et privé,  par les synergies qu’elle développe, porte immédiatement ses fruits et contribue au rayonnement culturel de l’ensemble des acteurs.
 
Nous en sommes hélas encore loin. L’abandon du projet de fondation d’art contemporain que l’industriel et grand collectionneur François Pinault souhaitait créer dans les anciennes usines Renault de l’île Seguin pour abriter ses collections a démontré les oppositions administratives et politiques que l’initiative privée en matière culturelle pouvait encore provoquer en France. En chassant ainsi son plus zélé et généreux mécène en matière d’art contemporain (7), la France a terni son image dans le monde de l’art et découragé sans doute d’autres initiatives ambitieuses. Le projet de la fondation Pinault était pourtant l'occasion de rééquilibrer le poids mutuel du secteur public et du secteur privé dans le domaine des arts.
 
De même comment ne pas se désoler des levées de bouclier que provoquent systématiquement les projets visant à permettre aux universités françaises de se rapprocher – et de bénéficier des financements – du monde de l’entreprise ? Une attitude d’autant plus suicidaire que, dans la bataille que se livrent à l’échelle mondiale les grandes écoles et les universités, seules celles qui auront noué des partenariats stratégiques avec des entreprises et des centres de recherches auront demain les moyens financiers et humains leur permettant de prétendre occuper la tête du classement de Shanghai (8). La première université française n'arrive qu'en 37e position de ce classement dont les campus anglo-américains trustent les 19 premières places. Il serait temps d'en tirer les conclusions qui s'imposent…
 
Aujourd’hui l'Etat doit comprendre qu’il ne pourra plus assurer le rayonnement culturel français aux quatre coins du monde sans s’engager résolument dans une démarche innovante de complémentarité associant les institutions publiques avec l’ensemble des professionnels et des artistes qui font vivre quotidiennement cette culture à travers leur métiers et leur passion.
 
C.D.


Notes :
 
(1) Projet de loi de finances pour 2013 : Action extérieure de l'État : diplomatie culturelle et d'influence, consultable sur http://www.senat.fr/rap/a12-150-2/a12-150-2.html
 
(2) Voir les auditions de la Commission des affaires culturelles et de l’éducation du 25/11/09 : http://www.assemblee-nationale.fr/13/cr-cedu/09-10/c0910016.asp
 
(3) Rapport d'activité Comité Colbert
 
(4) La lutte contre la contrefaçon du Comité Colbert / campagne 2012
 
(5) « Abu Dhabi : des chantiers qui mêlent culture et business », Journal du Net, 19/12/12
 
(6) La Revue du Symev, n°5 - Spécial “Convention 2012” - novembre-décembre 2012, téléchargeable sur www.symev.org.
 
(7) « Fondation Pinault, l'art français pénalisé », Libération, 13/05/05
 
(8) Voir www.shanghairanking.com/ARWU2012.html

La Rédaction




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