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Une gestion de crise déplorable : le naufrage de l’Erika




Jeudi 14 Janvier 2021


Il y a deux décennies de cela, le pétrolier Total a dû faire face aux conséquences du naufrage de l’Erika, déversant des tonnes de fioul lourd dans l’Atlantique et sur les côtes bretonnes. Retour sur les déboires de la gestion de cette catastrophe écologique qui a touchée toute la façade Atlantique.



Une gestion de crise déplorable : le naufrage de l’Erika
Un drame écologique aux conséquences graves pour l’environnement
 
En décembre 1999, depuis le début du mois, la météo est mauvaise en France. La mer est déchainée avec des creux de plus de six mètres. Malgré cela, l’Erika, un bateau construit au Japon il y a 25 ans, quitte Dunkerque le 7 décembre pour rejoindre la Sicile.

Dès le 11 décembre, des fissures apparaissent sur la coque du bateau ayant déjà changé 8 fois de propriétaires et 3 fois de pavillons depuis qu’il navigue. Le pétrolier n’est plus gouvernable le 12 décembre au matin. Le bateau se casse en deux. La partie arrière est remorquée alors que l’autre coule dans la nuit du 13 au 14 décembre à plus de 50 km des côtes.

Le plan Polmar mer est alors déclenché par la préfecture maritime alors que plus de 10 000 tonnes de pétrole visqueux se sont déjà déversé dans la mer. Le pompage ne permet pas d’empêcher les premières nappes de pétrole d’arriver sur les côtes bretonnes juste avant Noël.

À la fin du pompage, plus de 11 000 tonnes de fioul sont récupérés mais 20 000 tonnes se sont échappées. La catastrophe écologique cause la mort de 200 000 oiseaux et le naufrage du bateau, rouillé de l’intérieur, souille 400 km de littoral. Un audit estime alors le préjudice a plus d’1 milliard d’euros.

À l’issue d’une longue procédure judiciaire, Total est condamné tout comme l’armateur, la société exploitante et celle qui avait délivrée un certificat de navigabilité à l’Erika.

Une multiplication d’erreurs aboutissant à un échec total de la gestion de crise

Lors du naufrage de l’Erika, la communication de Total est quasi-inexistante. Quand il communique, le groupe se déresponsabilise : « Total n’est juridiquement pas responsable ».

Deux semaines après le drame, le PDG du groupe, Thierry Desmarets, sort enfin de son silence mais prononce des paroles accablantes : « Je suis prêt à donner une journée de mon salaire à titre d’indemnité » ; « Nous ne pouvions le prévoir, c’est le hasard ». Le PDG, gérant la crise en analyste pragmatique, est décrié pour son manque d’humanité et d’empathie.

Les erreurs de communication, témoignant d’une absence complète de préparation à la gestion de crise, ont pour conséquences une forte mobilisation contre le groupe sur le web et via des campagnes de boycott et de dénonciation. Un sentiment de mépris à l’égard de la société s’installe à tel point que travailler chez Total est devenu une « honte ».

Ce climat de tension vient soutenir l’innovation juridique qui avait été faite lors du premier procès, le 16 janvier 2008, en reconnaissant la responsabilité pénale de Total, alors que le droit maritime vise plutôt le capitaine – finalement relaxé – ou l’armateur.
Au final, la cours d’appel confirmera la reconnaissance de ce « préjudice écologique » subi et plus de 80 parties civiles seront indemnisées.
 
Les leçons de la crise
 
De nombreux enseignements sont à tirer de cette gestion de crise catastrophique.
La première concerne la compassion. À l’inverse de Shell qui assuma immédiatement la responsabilité de l’affaire « Ievoli Sun », au travers d’un discours empathique, une des raisons de la condamnation de Total a été son défaut de compassion. Même s’il reste nécessaire d’éviter les conclusions hâtives, l’empathie et la compassion sont les premières émotions à faire passer lors d’un drame d’une telle ampleur.

Ensuite, le flottement et l’absence de réaction directe de Total témoigne d’une sidération de l’entreprise, qui n’a pas su détecter l’entrée en crise. En effet, 1999 est une année de réussite pour le groupe qui devient la première entreprise française et voit son président recevoir le prix du manager de l’année. Ainsi, le risque majeur n’est pas perçu lorsque le naufrage survient.

Pourtant, tous les ingrédients d’une crise majeure étaient réunis : Total était un parfait bouc émissaire. Même si le navire battait pavillon maltais pour un armateur italien, le groupe Total était le destinataire de la cargaison. Total est une entreprise importante, emblématique, rapidement reconnue : le bouc-émissaire par excellence.

Les déclarations à la presse du groupe ainsi que de son président sont maladroites. Les media n’hésitent pas à déformer ces paroles et à mettre en exergue des citations provocatrices donnant à Total, le rôle du pollueur désintéressé des problématiques environnementales.

Enfin, Total n’a également pas anticipé l’ampleur de cette crise ainsi que sa durée. La phase aiguë de crise est souvent courte mais ses effets peuvent être durables. Ainsi, les opérations de pompages, les rebondissements juridiques, la mémoire du Web et chaque nouveau naufrage rappelleront l’affaire de l’Erika comme étant la crise écologique de Total. La crise peut être longue dans ses conséquences. Ainsi, s’il y a une recommandation à donner, elle concernerait la nécessité, en période de crise, d’imaginer le pire et donc de s’y préparer.
 
L’après Erika

 
Après une catastrophe comme celle-ci, Total n’a pas immédiatement acquit les bons réflexes de communication de crise. En témoigne notamment, la gestion de la crise de l’usine AZF, explosion mortelle près de Toulouse, qui surviendra deux ans après le naufrage. Total emprunta la même posture communicante sans la moindre trace de résipiscence ou d’effort explicatif.

Il faudra attendre l’accident de sa plateforme en mer du Nord en 2012, pour voir le groupe communiquer avec dextérité et ouverture. Cette stratégie a permis à Total d’amortir l’onde de choc médiatique et économique évitant ainsi de tomber dans l’ombre, désormais intemporelle, du naufrage de l’Erika ou de l’explosion de l’usine AZF.

MR



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