Carnets du Business


           

​Leclerc : le steak haché et à sang




Vendredi 26 Avril 2019


Automne 2005. De graves cas d’intoxications alimentaires agitent la direction de Leclerc. Des steaks de bœuf produits par leur marque Repère en sont la cause. Retour sur une affaire de scandale alimentaire, où maîtrise de la communication et efficacité de la gestion de crise l’emportèrent.



Alerte rouge sur la viande
 
Nous sommes le jeudi 27 octobre 2005. L’alerte est lancée et la crise démarre pour le groupe d’hypermarchés Leclerc. Contactée par la Direction générale de l’alimentation (DGA), l’entreprise est informée du lancement d’une enquête sur des cas d’intoxications alimentaires. Plus de précisions sont apportées le lendemain. Deux lots de steaks hachés surgelés de la marque Chantegrill, marque « Repère » du groupe, vendus dans les hypermarchés Leclerc sont mis en cause. La raison ? L’hospitalisation de plusieurs enfants ayant consommé la viande en question. L’alerte a été signalée le mardi précédent par deux pédiatres des centres hospitaliers de Pau et de Bordeaux après le traitement de cinq cas de syndrome hémolytique urémique, infection causée par une toxine virulente et qui frappe principalement les enfants de moins de quatre ans. Premier bilan publié par le ministère de la Santé et de l’Agriculture du gouvernement Villepin : dix-huit cas d’intoxication alimentaire en Aquitaine sont recensés le lundi 31 octobre au soir. Parmi eux, dix-sept enfants gravement malades souffrent de gastro-entérite aiguë, dont un bébé âgé de quinze mois, hospitalisé en réanimation. En tout, sept cas de diarrhées sanglantes onze syndromes hémolytique et urémique (SHU) sont identifiés.
 
La cause de ces intoxications est rapidement établie par l’Institut national de Veille Sanitaire (InVS) et s’appelle l’Escherichia coli, bactérie présente dans le tube digestif des bovins. Trois lots de la marque Chantegril, fabriqués le 22 août 2005 dans une usine en Maine-et-Loire par le fournisseur Soviba, sont ciblés comme étant infectés. Cela représente trente tonnes de viandes, environ 300 000 steaks. Les causes exactes de la contamination n’ont jamais été précisément sues et communiquées. Ce qui est certain, en revanche, c’est que le germe que l’on a retrouvé dans les viscères des bovins n’aurait pas dû contaminer la viande vendue qui se compose exclusivement de muscle. Les hypothèses les plus probables évoquent la présence d’un animal porteur sain de la maladie, dont les viscères seraient entrés en contact avec la viande utilisée pour les steaks à la suite de l’abattage. Une erreur de manipulation serait donc responsable de l’intoxication des jeunes consommateurs. La batterie mise en cause intoxique chaque année entre soixante-dix et cent enfants, avec un pourcentage de décès vacillant entre un et deux pour cent et est la principale cause d’insuffisance rénale aiguë chez les enfants âgés de moins de trois ans.
Finalement, les produits surgelés qui risquaient de transmettre la bactérie ont été retirés de la distribution et l’ensemble des malades se remettront de l’intoxication.
 
La réaction de Leclerc : responsabilité, empathie et bouc émissaire
 
Quasiment dès le début de la crise, le vendredi 28 octobre, une cellule de crise est mise en place par la direction du groupe d’hypermarchés après avoir été informée par la DGA que des lots de steaks hachés commercialisés dans certains hypermarchés seraient à l’origine d’intoxications alimentaires. Y sont présents le responsable qualité, l’acheteur produit, le chef de marché, le docteur vétérinaire conseil, la spécialiste logistique industrielle, le service communication interne et externe. L’entreprise s’efforce alors de remonter la chaîne de production afin de déterminer l’origine du problème. Les exigences de traçabilité permettent à Leclerc d’identifier comme responsable son fournisseur Soviba dont l’abattoir serait le lieu où la transmission anormale de la bactérie se serait faite.
 
La décision est rapidement prise de retirer l’ensemble des produits soupçonnés d’être intoxiqués. Le samedi 29 octobre, après validation des autorités sanitaires du communiqué le spécifiant, les produits sont retirés des étalages. Le rappel des lots déjà vendus pose problème au groupe, d’autant plus que les produits concernés sont surgelés sont donc consommés à moyen terme, avec une date de péremption établie à l’été 2006. L’entreprise décide alors d’employer de nouveaux moyens de communication et de contacter par téléphone ses clients, par le biais de la carte de fidélité Leclerc, dont disposent 70 % des clients des hypermarchés du groupe. Cette carte permet d’identifier les clients qui ont acheté les steaks contaminés via leurs tickets de caisse et ainsi l’ensemble des clients ont pu être joints dans un délai record. Un numéro vert fut également mis en place pour les habitants des dix-neuf départements où les hypermarchés ont proposé des steaks issus des lots contaminés. Les médias traditionnels (télé, radio, journaux) relativement réactifs ont également été mobilisés pour relayer le communiqué de rappel afin de prévenir les consommateurs non fidélisés.
 
Dans un deuxième temps, Leclerc ne décide de communiquer uniquement via un blog où toutes les informations relatives à la crise sont recensées, insistant sur la transparence de leur démarche. Leclerc assume clairement ses responsabilités et témoigne de son empathie envers les jeunes victimes. Enfin, la décision est prise de se séparer du fabricant Soviba pour la marque repère Chantegrill. Un sacrifice pour la marque, nécessaire pour l’image du groupe.
           
Analyse d’une crise qui a changé le traitement des crises alimentaires
 
Il faut saluer la réactivité et la proactivité de Leclerc qui a devancé les demandes de la DGA en mettant immédiatement en place une stratégie de l’isolement en effectuant le retrait et le rappel des trois lots potentiellement dangereux. Cela a pu se faire grâce à l’excellente traçabilité des aliments vendus à la clientèle, permettant ainsi en moins de deux jours de retrouver les produits et de pointer un responsable : son fournisseur Soviba pour sa marque repère Chantegrill.
 
La séparation opérée avec ce dernier témoigne d’une volonté de désigner un bouc émissaire, ce qui aurait pu être très mal vu de la part des clients de l’enseigne. Cependant, l’empathie dont font preuve les communiqués et la responsabilité assumée par Leclerc a permis un étouffement de la crise. Notons que Leclerc a clairement pu profiter du fait que le fournisseur produisait pour sa marque repère, marque qui pourrait – et a pu – facilement être remplacée. Une autre marque aurait été pointée du doigt que les événements auraient pu se dérouler de façon bien plus problématique pour le groupe.
 
La communication a été efficace et rapide : l’utilisation de la carte de fidélité comme moyen de retrouver les acheteurs fut inédite dans la gestion des crises alimentaires et se révéla payante. La transparence des discours et l’utilisation massive de tous les moyens de communication témoignent d’un changement dans la gestion de ces crises alimentaires.


Des axes d’amélioration auraient cependant pu être exploités, notamment la restriction des communiqués aux départements du sud de la France concernés. En effet, cela aurait mis l’accent sur l’aspect local de la crise qui fut finalement assez ciblée.
Depuis 2005, plusieurs retraits et rappels alimentaires sont effectués quotidiennement en France, tous distributeurs confondus. Les leçons de cette crise semblent avoir eu un écho national, tant le silence des crises alimentaires est presque saisissant.
 

Marie-Camille Hepp



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