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ENTRETIEN AVEC ERIC DENECE : L’ARABIE SAOUDITE EST-ELLE LE PRINCIPAL SOUTIEN DES MOUVEMENTS ISLAMISTES VIOLENTS ?




Mardi 17 Octobre 2017


Un ouvrage très iconoclaste et courageux, rejetant le politiquement correct, intitulé La Menace mondiale de l’idéologie wahhabite : aux origines du terrorisme qui frappe la France, vient de sortir chez VA édition. Nous avons rencontré Eric Denécé, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R), coordinateur de cet ouvrage collectif réunissant les meilleurs spécialistes français du sujet.



Q : Vous jetez un véritable pavé dans la mare en affirmant que l’Arabie saoudite a toujours été l’un des principaux soutiens de l’islamisme violent dans le monde depuis quatre décennies. Quels éléments vous permettent d’être aussi catégoriques ?

Le soutien de l'Arabie saoudite à l'extrémisme islamique a débuté au début des années 1960, afin de contrer le nasserisme, car l'idéologie politique socialiste de Nasser menaçait l'Arabie saoudite. Le phénomène n’est donc pas nouveau. Ce premier soutien aux activistes islamistes conduisit à la guerre du Yémen (1962-1970), dans laquelle Riyad et Le Caire s’affrontèrent d’abord par alliés interposés, avant que l’armée égyptienne ne s’engage dans ce conflit, puis soit contrainte de se retirer. Suite à ce succès, les Al-Saoud en conclurent que les groupes islamistes armés pouvaient leur être d’une utilité plus large.
            Au cours des années 70 et 80, le soutien des dirigeants saoudiens aux groupes extrémistes armés eut lieu en coopération avec les Etats-Unis, dans le cadre de la Guerre froide – pour lutter contre les mouvements arabes marxistes ou les régimes nationalistes – et du conflit afghan (1979-1989), lequel permettra à Osama Ben Laden de réunir les hommes et les moyens qui donneront naissance à Al-Qaeda. Parallèlement, Riyad eut recours aux activistes radicaux sunnites – en premier lieu, les Frères musulmans - pour étendre son influence et lutter contre les mouvements chiites soutenus par l'Iran, dans la compétition géopolitique entre les deux pays[[1]]url:#_ftn1 .
            Ainsi, lorsqu’interviennent les attentats de 2001, il y a quatre décennies que l’Arabie saoudite encourage et finance les mouvements islamiques armés les plus violents. Par l’exportation mondiale de l’idéologie wahhabite et son soutien pécunier à ces groupes armés fondamentalistes, elle a créé les conditions favorables ayant permis l’éclosion du djihadisme du XXIe siècle – d’abord Al-Qaeda, puis Daech. La responsabilité de Riyad est donc écrasante, même si elle n’est pas la seule.
 
[[1]]url:#_ftnref1 Le royaume interrompra toutefois son soutien aux Frères musulmans lors de la guerre Irak-Iran (1980-1988), la confrérie terroriste ayant pris le parti de Téhéran.

Q : Pourtant, les Saoudiens ont rejeté Ben Laden et sont eux-mêmes ciblés par l’organisation Etat islamique…

La réalité est plus complexe. Au fil du temps, le monstre que Riyad a très largement contribué à créer lui a échappé et s’est retourné contre son géniteur. A partir du début des années 1990, l’Arabie saoudite a été directement menacée par les islamistes pour avoir fait appel aux Américains lors de la première guerre du Golfe. Ce fut l’une des raisons de la création d’Al-Qaeda par Ben Laden qui se jura d’abattre la famille des Al-Saoud, et de la vague d’attentats perpétrée par l’organisation djihadiste sur le territoire saoudien à partir de mai 2003.
            Face à ce retournement de situation, les Saoudiens ont alors considéré que le terrorisme djihadiste était devenu l'une des deux principales menaces auxquelles était confronté le royaume, l'autre étant l'Iran. Ainsi, alors que Riyad avait été souvent peu coopératif en matière de contre-terrorisme, le régime saoudien est devenu un partenaire important dans la lutte contre l’organisation de Ben Laden et plusieurs succès importants contre Al-Qaeda sont dus à sa coopération.
            Mais en dépit des actions intentées contre elle par la nébuleuse terroriste, l’Arabie saoudite a continué d’apporter un soutien direct, à partir de 2011, en Syrie, aux djihadistes combattants le régime de Bachar El-Assad qu’elle s’était juré de renverser. Parmi ceux-ci, le principal récipiendaire de la générosité de saoudienne a été le Front Al-Nosrah, la branche locale d’Al-Qaeda, coupable de multiples atrocités à l’occasion de ce conflit.

Q : Il n’y a donc pas un revirement fondamental de la part de Riyad ?

Non, en aucun cas. Si l'Arabie saoudite a fini par s’investir dans la lutte contre le terrorisme djihadiste, ses efforts ne concernent toutefois que les menaces pesant sur la sécurité du royaume, en aucun cas la lutte contre les racines idéologiques du phénomène ou contre le développement de l’organisation Etat islamique (.
            Certes, le financement direct que Riyad accordait au terrorisme islamiste semble bien s’être interrompu, mais l’Arabie saoudite laisse toutefois certains de ses ressortissants fortunés, de ses ONG et de ses banques financer Daech. Une grande partie du soutien saoudien au terrorisme est le fait d’acteurs non étatiques, ce qui n’exonère pas le régime de toute responsabilité. En effet, la famille royale - avec ses dizaines de milliers de princes - n'est pas le gouvernement ; cependant ses finances et celles du gouvernement sont entrelacées. Si un prince soutient un groupe, cela signifie qu’il a reçu une approbation officieuse.
            Si le royaume ne participe que très marginalement à la lutte contre l’organisation Etat islamique, c’est parce que ses thèses trouvent un écho favorable au sein d'une partie de sa population. Rappelons que Daech poursuit les mêmes objectifs et partage la même doctrine qu’Al-Qaeda. L’organisation puise ses références dans les écrits d’Abdel Wahhab et des Frères musulmans et adhère donc à la même idéologie extrémiste que l’Arabie saoudite. Est-il encore une fois utile de rappeler que 15 des 19 terroristes du 11 septembre 2001 étaient Saoudiens et que le nombre de ressortissants du royaume parmi les combattants étrangers de Daech est particulièrement élevé ? La société saoudienne ne comprendrait donc pas que ses dirigeants affrontent les djihadistes. 

La rédaction



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