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En entrant en Bourse, le private equity risque-t-il de perdre son âme ?




Jeudi 21 Octobre 2021


La frontière jadis hermétique entre private equity et Bourse devient de plus en plus poreuse, tant aux États-Unis qu’en Europe. Alors que plusieurs acteurs historiques du private equity (Blackstone, Antin Infrastructure, Pertshill…) ont fait leur entrée en Bourse ou prévoient de le faire, il faut rappeler que le private equity a une âme. Le modèle canal historique du capital-investissement (dans laquelle s’insère par exemple une société comme HLD) demeure toutefois dominant.



Pendant longtemps, les relations entre la Bourse et le private equity sont restées distantes, épisodiques, anecdotiques. Le private equity s’est construit pour une part en opposition aux feux de la Bourse, avec la volonté de tenir ses investissements à l’abri des aléas des marchés, avec l’ambition de créer plus de valeur en préservant ses investissements de la transparence et de la volatilité propres aux marchés actions. Occasionnellement, la Bourse pouvait être une opportunité de prendre à bon compte le contrôle d’une entreprise décotée, de céder, également à bon compte, une participation, mais la frontière entre le coté et le non-coté restait bien délimitée, difficilement franchissable et rarement franchie.

Des acteurs historiques majeurs du private equity font leur entrée en bourse

Depuis quelque mois en Europe, depuis un peu plus longtemps aux États-Unis, cette frontière, jusqu’à présent hermétique, s’ouvre progressivement et ceux qui la franchissent s’en félicitent. Dernier à avoir franchi le pas, Antin Infrastructure, qui avait pourtant bénéficié d’une valorisation d’ouverture représentant près de 69 fois son résultat 2021, a vu son cours progresser de près de 20%.  De même Bridgepoint, coté sur le London Stock Exchange depuis fin juillet est aujourd’hui valorisé 95 fois son résultat 2021. Aux États-Unis, KKR et Blackstone profitent de niveaux de valorisation encore plus élevés, et on annonce l’entrée en Bourse de Petershill, bras armé de Goldman Sachs dans le private equity, pour un montant de 187 milliards de dollars.

Ce que la Bourse valorise ainsi, ce ne sont pas les profits escomptés des investissements réalisés mais la croissance anticipée des commissions versées en rémunération capitaux mobilisés. Dans une industrie de gestion pour compte de tiers où beaucoup de coûts sont fixes, l’abondance des liquidités permet d’anticiper une croissance forte des commissions et une croissance encore plus forte des profits. La rentabilité des investissements opérés n’est plus qu’un paramètre accessoire. Ce qui importe, c’est l’évolution des commissions et surtout leur croissance continue et accélérée, indépendamment des TRI réalisés. La valorisation de l’instrument financier, en l’occurrence l’action de la société nouvellement cotée, s’affranchit de l’évolution de son sous-jacent, la valorisation des investissements réalisés. Dans cette configuration, les financiers expérimentés, notamment ceux qui ont connu et subi la crise des subprimes, y reconnaitront le signe d’une vulnérabilité potentielle, le risque d’éclatement d’une bulle.

Indépendamment des risques de resserrement d’un contexte monétaire marqué par l’abondance des liquidités et la faiblesse des taux, et des risques concomitants de contraction, le risque principal de cette euphorie boursière, est l’oubli des fondamentaux du private equity, de ses facteurs-clés qui lui ont permis, dans le champ du non-coté de concurrencer efficacement et souvent de surperformer les indices boursiers.

L’industrie du private equity a inventé la professionnalisation du métier d’actionnaire avec la conviction qu’un TRI, qu’un montant de capitaux gérés et de commissions encaissés, et plus encore qu’un cours de bourse ne sont pas des objectifs en soi mais le résultat d’un travail d’accompagnement et de développement dans la durée, avec beaucoup de performances standards et quelques performances exceptionnelles qui, exploitées sur une durée longue, permettent de réaliser la surperformance.

D’autres modèles fondés sur les performances des entreprises en portefeuille : l’exemple d’HLD

La valorisation fracassante de quelques sociétés de private equity faisant appel public à l’épargne ne doit pas faire oublier que d’autres business modèles existent, plus pérennes et plus vertueux. Plus pérennes car non soumis aux aléas d’une cotation quotidienne en Bourse. Plus vertueux car fondé sur les performances des entreprises en portefeuille et non sur les performances de l’entreprise qui les détient.

Leurs réussites est le fruit d’un travail continu et approfondi rendu possible par la confiance faite aux dirigeants des entreprises dans lesquelles il a été investi, et par le temps qui leur a été accordé. Elle nécessite une patience dont sont souvent dépourvus les investisseurs en Bourse. Elle implique le recrutement en externe de professionnels de grande expérience, le développement en interne de talents motivés en priorité par la réussite des entreprises et accessoirement par la rémunération qui en découle.

Un tel modèle est plus difficile à mettre en œuvre, plus long à se développer, mais il est aussi plus résilient et plus durable. C’est le modèle canal historique du capital-investissement, encore largement dominant et toujours vaillant comme le prouve certaines success stories récentes telle celle d’HLD, créé en 2010 par Jean-Bernard Lafonta, entrepreneur et figure marquante du private equity.

Alors qu’il était fondé sur une relation personnalisée avec quelques investisseurs sélectionnés, une relation bâtie sur l’expertise, la confiance et la durée, le private equity s’ouvre progressivement aux particuliers et à la Bourse, avec le risque de se limiter à une relation anonyme fondée sur la seule performance. Le private equity se démocratise mais L’entrée de la foule anonyme au capital des firmes de private-equity est-elle compatible avec la pérennité du modèle ? La démonstration reste à faire, en particulier sur le long terme.

Il serait dommage que l’effet de loupe créé par des valorisations stratosphériques occulte la réussite moins visible à court terme d’autres modèles plus proches des fondamentaux du private equity. Il serait encore plus dommage que le passage par la Bourse et l’effet de dilution qui en résultera nécessairement occulte le respect des règles parfois élitistes du private equity. Le private equity a une âme. Il serait dommage qu’il la perde.

La Rédaction



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