Carnets du Business


           
Louis Bernard
Louis Bernard est le fondateur de Layer Cake, un cabinet de formation spécialisé dans les... En savoir plus sur cet auteur

Faut-il interdire PowerPoint ?




Mardi 31 Juillet 2012


Outil indispensable ou dangereux ?



« Le jour où nous comprendrons ce schéma, nous aurons gagné la guerre ! » s’écria le général McChrystal, commandant des forces alliées en Afghanistan, devant le schéma en forme de bol de spaghettis qui lui fut servi lors d’un briefing en 2009 à Kaboul. L’affaire est relevée par le New York Times du 27 juillet 2010 dans l’article intitulé « We have met the enemy and he is Powerpoint  », (Nous avons rencontré l'ennemi, c’est PowerPoint).
Le « bol de spaghettis » en question n’est pas le plat à la mode dans les cantines de l’U.S. Army mais le surnom donné au schéma élaboré par les officiers de l’armée américaine, et qui est censé clarifier l’ensemble des composantes de l’Afghanistan et les interactions qui en découlent. Tout y passe : politique locale et système féodal, religion et croyances, ethnies et tribalité, géographie, infrastructures, institutions, population, trafic de drogue et économie…  Des dizaines de termes et des centaines de fils s’entremêlent.
 
Tout cela aboutit à un monstrueux nœud gordien qui schématise surtout… l’inextricable casse-tête afghan ! Et bien entendu, ce bol est servi à la sauce PowerPoint.
 
PowerPoint est-il coupable ? Oui, aux dires d’un certain nombre d’universitaires et de responsables militaires. Le premier d’entre eux, Edward Rolf Tufte, ancien professeur de l'Université de Yale, reproche la simplification à outrance générée par le logiciel : tout est schématisé, résumé, découpé de façon carrée et enchainé de façon logique. Bref, tout le contraire de la complexité d’une situation réelle.
Le général américain James Mattis est plus direct en affirmant que « Power Point nous rend stupides !». Il reproche à cet outil de créer « une illusion de compréhension » qui se révèle souvent fatal sur le terrain. Il a lui-même décidé de le bannir de toute présentation. Frank Frommer, journaliste français, a consacré un ouvrage à ce phénomène sous le titre éloquent de La Pensée Powerpoint : enquête sur ce logiciel qui rend stupide.
 
Le jugement du professeur Sweller, relevé par le Sydney Morning Herald, est sans appel : « L’usage de PowerPoint a été une catastrophe. Il devrait être éliminé ! (…) Parler devant un schéma, c’est efficace, parce que l’information est présentée sous une forme différente. C’est inefficace de répéter les mots qui sont écrits sur une diapositive: cela diminue votre capacité de compréhension du matériel exposé.»

La charge ne s’arrête pas là. Un parti politique suisse propose carrément d’interdire le logiciel ! Le Parti Anti-PowerPoint se présente comme « le porte-parole d’à peu près 250 millions de gens dans le monde, qui sont obligés, tous les mois, d’assister à des présentations ennuyeuses dans leur entreprise, dans leur université, ou dans d’autres institutions». Il veut organiser un référendum, méthode très utilisée en Suisse, pour bannir l’infâme ! Et l’argument économique est de poids : selon l’étude de ce parti, les pertes annuelles causées par les présentations PowerPoint atteindraient 2,1 milliards de francs pour la Suisse ; 15,8 milliards d’euros pour l’Allemagne et 110 milliards d’euros pour l’Europe.

Alors, faut-il interdire PowerPoint ? Car aujourd’hui, quelle administration, quelle entreprise, quelle université n’utilise pas abondement les ressources de ce logiciel facile à manier et adaptable à tout public ? Pour la petite histoire, PowerPoint fut développé en 1987 par la société Forethought et était initialement destiné au Macintosh d'Apple, avant que Microsoft ne rachète le logiciel quelques mois après sa sortie. Etoffé par la société de Bill Gates, il est rapidement devenu une composante à part entière du Microsoft Office, la seconde la plus utilisée derrière Microsoft Word. Sa version la plus récente date de 2010.

Comment survive à un briefing PowerPoint ? Le secret d’une présentation efficace réside dans l’équilibre entre le contenu et le contenant. Franck Halmaert, responsable marketing de Microsoft Office, dispense à cet égard quelques conseils de bon usage : « Pour un exposé d'une heure, limitez-vous à dix ou quinze slides (…) Chaque page doit contenir cinq lignes maximum, un titre clair, un message essentiel et une image. Lorsqu'une page apparaît à l'écran, on doit tout de suite identifier le message clé».
Au-delà c’est l’assoupissement assuré. Mais n’est-ce pas le but de certains utilisateurs ? Après tout, PowerPoint est massivement utilisé dans les conférences de presse de l’armée américaine, devant un parterre de journaliste forcé de suivre schémas et paragraphes en tout genre. La présentation a remplacé la séance de questions. Les soldats, eux, appellent ça « hypnotiser les poulets».

Les anti-PowerPoint auront-il raison du logiciel ? Pas si sûr. Selon le site PowerPointInfo, il y aurait plus d’un demi-milliard d’utilisateurs dans le monde (dont 6 millions de professeurs et 120 millions d’employés en entreprise). 30 millions de présentations sont créés chaque jour, et les ventes rapportent 100 millions de dollars par an. PowerPoint a encore de beaux jours devant lui.
 





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