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Bernard Marois
Bernard MAROIS Professeur Emérite à HEC Paris Président d’Honneur du Club Finance HEC En savoir plus sur cet auteur

L'Europe a-t-elle encore un avenir ?




Vendredi 12 Avril 2013


Un événement est passé inaperçu en 2010. Et pourtant, son importance ne fait aucun doute à long terme : l’Europe a atteint son « pic »démographique et, depuis lors, a entamé son repli. En 2035, l’Europe ne représentera plus que 6 % de la population mondiale, alors qu’elle était plus peuplée que la Chine en 1900 !



Old Woman Dozing - Nicolas Maes (1656)
Old Woman Dozing - Nicolas Maes (1656)
Certes, certains pays sont pires que d’autres. Ainsi, l’Allemagne a commencé à voir sa population décroître dès 2002, de même pour l’Italie ou l’Espagne. Seule la France, parmi les grands pays européens, a gardé une démographie positive. Mais la tendance continentale demeure alarmante et le déficit en population augmente, si on rajoute la Russie.

Or, les études historiques montrent clairement que démographie et croissance sont fortement liées : L’Europe est en train de se « japoniser ». La décroissance démographique risque de s’accompagner d’une stagnation économique de longue durée. Ce phénomène sera accentué pour la zone euro, dans la mesure où notre monnaie est surévaluée. Les pays membres de la zone ne peuvent dévaluer, même lorsque leur compétitivité est érodée. Voyons, pour illustrer ce point, l’exemple de l’Espagne : le PIB a baissé de 7 % depuis 2008, avec un chômage en progression rapide (environ 30 % des jeunes n’ont pas d’emploi !) ; dans le même temps, la production industrielle s’effondrait (moins 30 %), soit le niveau de 1992. On pourrait prendre également les cas de la Grèce, de l’Italie ou du Portugal : dans tous ces pays, la baisse de la population s’accompagne d’une politique économique déflationniste, imposée par la situation catastrophique des dépenses publiques (endettement trop élevé et déficit budgétaire persistant).

Malheureusement, la décroissance démographique n’a pas que des effets négatifs à court terme, elle entraîne des conséquences désastreuses, à moyen et long terme : augmentation des personnes âgées et donc des dépenses y afférant (coût de la dépendance par exemple) ; moindre propension à l’innovation (baisse des dépenses de recherche) ; aversion au risque et, par conséquent, à la réalisation de réformes indispensables ; moindre mobilité et opposition à toute flexibilité dans un marché du travail où le nombre d’actifs baisse mécaniquement par rapport aux inactifs.

L’histoire nous apporte des éclairages inquiétants sur les périodes de « baisse de la population ». D’une part, la fin de l’Empire romain a conjugué décroissance démographique (causée par les guerres avec les « Barbares » et les épidémies) et  régression économique, dans un contexte politique dramatique (conflits ethniques et sociaux ; éclatement de l’empire dû à la victoire des forces « centrifuges »). Autre illustration : les treizième et quatorzième siècles, pendant lesquels la population de l’Europe Occidentale a baissé de près d’un tiers, en raison de la guerre de Cent Ans et des épidémies de peste : on évalue la diminution du PIB par habitant à plus de 40 %, pendant cette période. Inversement, le dix-neuvième siècle a connu une croissance économique, certes faible à l’aune de nos « Trente Glorieuses », mais relativement continue (en dehors des crises financières périodiques) et répartie sur tout le continent, en relation avec une progression démographique constante.

Nous tirons donc de cette analyse, un commentaire relativement négatif : l’Europe aura beaucoup de mal à retrouver une croissance substantielle, dans la mesure où « le marché potentiel » se rétrécit et la force de l’euro, si elle persiste, en « rajoutera une couche », car nous ne pourrons pas espérer compenser la diminution de la consommation « nationale » (c’est-à-dire européenne) par l’essor des exportations. Au contraire, la hausse des importations, en provenance des pays émergents, viendra compliquer nos problèmes.
En outre, la solution ne pourra pas provenir d’un accroissement de notre productivité, puisque celle-ci sera insuffisante. En effet les dépenses de recherche et de développement dégagées par les pays européens tendent à diminuer d’année en année complétée par une désindustrialisation accélérée de l’Europe du Sud, France comprise.

Et la France dans ce contexte ? A priori, notre situation est meilleure que les autres pays, d’un point de vue démographique, et devrait le rester à moyen terme (sauf si l’émigration des jeunes, à la suite du matraquage fiscal actuel, se poursuit). Si on nous compare à l’Allemagne, la croissance de la population française face à la diminution de la population allemande devrait nous être profitable et se retrouver dans les chiffres de notre économie. Or ce n’est pas le cas. La France n’arrive pas à atteindre sa croissance « potentielle », définie comme le taux de progression dont nous devrions pouvoir bénéficier, compte tenu de notre démographie et estime aux alentours de 2%.

Les raisons, nous les connaissons, pour les avoir identifiées de nombreuses fois : un environnement peu favorable à l’entreprise et à l’entrepreneur ; une jeunesse insuffisamment employée (25%de chômeurs), en raison de blocages institutionnels (prime « aux anciens », sclérose de la fonction publique, etc.) et d’une formation partiellement inadéquate ; trop de dépenses du fonctionnement (en particulier dans le secteur public) et pas assez d’investissements d’avenir ; un déficit commercial persistant, égal à 3,5% de notre PIB ; une gouvernance politique peu efficace, puisqu’elle n’entame pas les réformes indispensables ; une Europe divisée (pas de politique industrielle constructive, contrairement à nos concurrents américains et chinois) ; une zone euro engluée, à cause de ses défauts de construction (elle n’est pas une zone « optimale » et ne le sera probablement jamais, dans son périmètre actuel).
Bref il faut anticiper des temps difficiles.





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