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L’Occitane en Provence : de la success story à la machine de guerre marketing

Etude de cas




Lundi 11 Mars 2013


Marque désormais mondialement connue, l’Occitane en Provence est passée en une trentaine d’année de l’échoppe d’artisan provençal à une multinationale florissante, pesant plus de 4 milliards d’euros en capitalisation boursière (1). Cette success story a pour origine la rencontre entre un créateur de produits inspiré et un investisseur intuitif, au cœur d’une région à la richesse unique dans le domaine des senteurs. Cette réussite est aussi le résultat d’un storytelling et d’un marketing ultra-maîtrisés, modèle du genre en termes de communication corporate.



© Deyan Georgiev - Fotolia.com
© Deyan Georgiev - Fotolia.com
Les devantures de bois jaune sont reconnaissables entre mille. A l’intérieur, les tommettes rouges et les paniers d’osier exhalent des senteurs intemporelles, en provenance d’un lieu que ses habitants chérissent entre tous. Une pause senteur un peu hors du temps, tout autour du monde, un petit bout de France, dans ce qu’elle a de plus beau à offrir aux visiteurs de passage. L’invitation au voyage en Provence est partout, de l’architecture aux produits. Une véritable ambassade du Sud de la France, de cette Provence colorée et odorante qu’a voulu faire partager le fondateur de la marque, et qui a également ravi le cœur de son actuel propriétaire.
 
Tout autour du monde, les boutiques sont faites sur le même modèle, dont les structures sont spécialement fabriquées en France, puis envoyés sur place où elles seront assemblées. De Tokyo à Sao Paulo, en passant par New-York ou Pékin, les mêmes senteurs se diffusent dans un écrin de couleurs ocre. L’image de la marque est soigneusement maitrisée : « L'Occitane s'appuie sur les valeurs de la latinité (sens, chaleur, couleur) et sur une vision idéalisée de la Provence » analyse très justement Yves Vilagines, du webmagazine Les Echos, en septembre 2011 (2). Il s’agit de vendre la Provence au monde entier, mais de la vendre telle que se l’imagine des clients qui n’y ont probablement jamais mis le nez : « des paysages colorés, des villages ensoleillés », comme la décrit Reinold Geiger (3), le très discret président de la société.

« Une histoire vraie »…

L’histoire de la société, telle qu’elle la raconte sur son site, commence effectivement en Provence, là où les grandes infrastructures de l’entreprise se trouvent toujours. L’Occitane est né de l’idée d’un étudiant en lettres, Olivier Baussan, militant écologiste à ses heures, qui abandonne ses études à l’âge de 23 ans, pour se consacrer à la création de produits cosmétiques à partir de la flore de Provence. Olivier Baussan commence son activité à l’aide d’un vieil alambic racheté quelque temps plus tôt. Mais c’est la récupération d’une ancienne savonnerie sur le déclin et l’association avec un ami chimiste, Yves Millou, qui vont donner la première impulsion de croissance à cette petite entreprise. En 1982 s’ouvre à Volx la première boutique de la marque. Les années 1980 sont ensuite l’occasion de plusieurs voyages, dont un certain nombre au Burkina Faso, d’où il ramène l’idée d’ajout de beurre de karité à ses produits. En 1992, l’entreprise ouvre son premier magasin à Paris. Quatre ans plus tard, deux boutiques ouvrent, à New-York et à Hong-Kong. En 1997, c’est au tour du Japon d’accueillir une boutique. L’entreprise accélère son développement au cours des années 2000, avec l’ouverture d’une filiale tournée vers les soins spa au Brésil, et des partenariats avec des distributeurs russes. L’Occitane en Provence acquiert la société Melvita en 2008, spécialiste des cosmétiques bio (25 millions d’euros de CA et 300 salariés (4) ). Sous l’impulsion donnée par son nouvel actionnaire, celle-ci se développe et prend le même chemin que son ainée en ouvrant ses propres boutiques dans les grandes capitales. En 2012, l’Occitane en Provence détient 2000 boutiques dans le monde (5) et emploie près de 6000 salariés au total (dont 1400 en France) avec principalement deux sites de production, à Manosque (qui est aussi le siège de la société) et Lagorce, et deux sites administratifs : Paris et Genève. Son chiffre d’affaires devrait largement dépasser le milliard d’euros en 2013.
 
Les voyages en Afrique seront aussi l’occasion pour le fondateur de partager sa conception altruiste des affaires, tournée vers le soin aux déficients visuels et à la cause des femmes dans ces pays en particulier. L’Occitane est ainsi la première enseigne à proposer en 1997 un packaging sur lequel les descriptions sont également traduites en braille. En 2001, l’entreprise ouvre un partenariat avec l’ONG Orbis, vouée à la lutte contre les « cécités évitables », en particulier visuelles, en Afrique et ailleurs. En 2006, la Fondation L’Occitane voit le jour, avec Olivier Baussan comme vice-président (6). Ses champs d’action concernent de même la lutte contre les cécités visuelles en Afrique, mais aussi l’émancipation économique des femmes. En 2010, l’entreprise fait alliance avec l’association Aides et Actions, attachées à l’alphabétisation des femmes en Afrique. Des produits africains comme le karité ayant contribué au succès de la marque, la société L’Occitane s’investit sur le plan humanitaire et caritatif envers ces pays, voyant le mécénat et le bénévolat comme un juste retour des choses. A cette éthique d’entreprise s’ajoute une conception très « local » des process de production, comme des achats de matières premières. Si l’entreprise connait un très fort développement international, elle n’en contribue pas moins à un important soutien de la culture locale, au sens agricole du terme. Au travers son action de « Mécénat Provence », l’entreprise défend la diversité de la flore locale en promouvant la culture de plantes odorifères rares et menacées. L’entreprise est très engagée sur les thématiques de développement durable et de commerce équitable, qu’elle met en pratique dans ces échanges avec les pays africains fournisseurs. L’enseigne a également été la première à introduire le concept d’écorecharges, pour limiter le recours aux emballages cartons et plastiques inutiles. L’Occitane en Provence est d’autre part particulièrement attachée à la traçabilité des produits qu’elle utilise en conception, de manière à certifier au client une « AOC Provence ». Ce qui compte véritablement, pour le client comme pour l’entreprise, c’est « un produit authentique, accroché à un terroir », confirme son PDG (7). Cet attachement à la Provence est ce qui a fait le succès planétaires de la marque. L’amour des dirigeants pour cette région leur a d’ailleurs donné l’idée en 2011 d’un webmagazine dédié : « En Provence » (8).

Derrière la machine de guerre marketing, l’intuition d’un homme d’affaires

Cette histoire est celle que l’on retrouve sur tous les sites d’informations qui évoquent l’entreprise, en commençant par la page Wikipédia de la société. L’histoire officielle, le storytelling à vocation extérieure de l’enseigne, n’invente rien, et ne met en scène que des vérités. Mais peut-être pas toutes. Rien de scandaleux dans l’histoire officieuse, bien au contraire. Mais il y a eu tout de même quelques épisodes plus orageux, pendant lesquels l’entreprise aurait pu disparaitre, si elle n’avait pas trouvé sur son chemin celui à qui elle doit une grande partie de cette réussite : Reinold Geiger, investisseur intuitif, qui doit, lui, à l’Occitane d’être désormais classé dans les 900 premières fortunes mondiales, avec une fortune personnelle estimée à 1,3 milliards d’euros (9).
 
A la fin des années 1980, l’entreprise fondée par Olivier Baussan est endettée, elle souhaite se développer mais manque de liquidités. Pour remédier à ce problème, elle se voit contrainte d’accepter l’entrée au capital des investisseurs de Natural, une filiale d’Indosuez et ceux du Crédit Agricole. Natural débourse alors environ 40 millions de francs et obtient 90% des parts de l’Occitane. Mais tournés exclusivement vers une rentabilité financière de court terme, ces investisseurs n’ont aucune stratégie de développement crédible : ils écartent d’ailleurs de la gestion de l’entreprise son fondateur. Entre 1990 et 1993, l’entreprise perd de l’argent. En 1994, Reinold Geiger, qui vient de se constituer un capital du fait de la vente de sa précédente société, investit environ 15 millions de francs dans cette société, après avoir rencontré son fondateur à une réunion du secteur des cosmétiques en Italie. Il commence ainsi par détenir 33% des parts, mais tient à rester en retrait de la gestion dans un premier temps (10).
 
Après deux ans d’observation, Reinold Geiger rachète en 1996 les parts de Natural qui vient de jeter l’éponge, remercie l’ancien président, et prend sa place en tant que nouvel actionnaire majoritaire. Dans la foulée, il recrute comme directeur général Emmanuel Osti, formé chez Johnson & Johnson, et réinstalle Olivier Baussan comme directeur de la création (11). Très rapidement, le nouveau président décide de s’ouvrir à l’international, avec l’inauguration de deux magasins aux Etats-Unis et en Chine. Si le magasin de New-York est un succès immédiat, ce n’est pas le cas de celui de Hong-Kong. L’année suivante, un autre magasin ouvert à Tokyo rencontre le même insuccès. Loin de se décourager, R. Geiger comprend tout de suite que l’Asie est le marché d’avenir de l’enseigne : il faut simplement laisser le temps aux produits et au concept de pénétrer un marché encore peu réceptif à l’égard des produits occidentaux. Dans un premier temps, les deux magasins sont des puits sans fond. Durant la même période, il devient fournisseurs de plusieurs distributeurs dans les gares et les aéroports pour la diffusion des produits L’Occitane. L’enseigne ouvre également des filiales et noue des partenariats en Colombie, en Russie et au Brésil. En 2007, l’entreprise entreprend une action de leveraged buy out (LBO) ou rachat de l'entreprise par endettement : 25% des parts de la société sont ainsi rachetés à Clarins et à des investisseurs privés.

Le pari finalement gagnant de l’Asie

2010 marque une rupture dans l’histoire de l’entreprise avec l’introduction en bourse du titre. Particularité notable de cette action : c’est sur la place de Hong-Kong qu’est proposé le titre aux investisseurs. C’est la première fois que cela arrive pour une entreprise française et seulement la deuxième pour une entreprise non-chinoise. L’Occitane espère lever à cette occasion 530 millions d’euros ; ils en lèvent un peu plus de 532 (12), dont 50 millions en provenance du fond d’investissement chinois China Investment Corporation (13). Un pari réussi pour une somme qui servira dans un premier temps à rembourser les créanciers de la société, entre autres du fait du LBO de 2007, et au développement d’un marché asiatique en train d’exploser. Suite à cette introduction en bourse, Reinold Geiger détient encore 40% des parts de L’Occitane.

Le choix de la bourse de Hong-Kong s’explique par la volonté des dirigeants de l’entreprise de s’installer durablement sur ce marché qui représente désormais 50% du CA. L’Occitane réalise plus de ventes en Asie qu’en Europe et en Amérique du Nord réunies. Pour les consommateurs asiatiques, la marque est devenue synonyme de luxe et d’art de vivre à la Française, une valeur sûre des exportations hexagonales. En Asie et au Japon en particulier, qui représente à lui seul 25% des ventes, L’Occitane réalise un chiffre d’affaires supérieur à plusieurs grandes marques du luxe made in France. Elle ne réalise d’ailleurs plus que 14 % de ses ventes en France (14). En Chine, ce sont désormais plusieurs dizaines de magasins qui ouvrent par an (15). Ce développement rapide dans l’Empire du Milieu a aussi pour but de mettre un terme au pillage chinois du concept de L’Occitane : avant même que l’entreprise ne perce sur place, deux enseignes, Camenae en Grasse et Occitown, ouvrent plusieurs centaines de magasins en copiant produits, packaging, concept de magasins et même site internet (16). L’expansion de l’enseigne en Chine a pour but de permettre aux consommateurs de faire la différence entre l’original et la copie. 

Derrière cette stratégie gagnante de développement international, essentiellement un homme donc : Reinold Geiger, Autrichien, ancien champion de ski junior, investisseur éclairé et businessman génial, mais surtout amoureux de la Provence. Pour permettre la diffusion de cette passion à travers les produits de l’Occitane, il a depuis le départ l’idée de disparaitre quasiment des écrans, pour laisser le champ libre d’une part au fondateur et responsable de la création, Olivier Baussan, mais aussi et surtout à la Provence elle-même. « Nous vendons la Provence » (17) déclare son président, alors c’est la Provence qui doit tenir le haut de l’affiche, au travers des engagements de développement durable, la promotion des cultures locales, la préservation des espèces menacées ou encore le soutien à l’économie locale.

Le message est bien rôdé désormais : la marque vend un art de vivre. Pas d’emphase sur la recherche médicale, pas de course à l’innovation technologique, des thèmes chers à d’autres marques de cosmétiques. Pas de futurisme, mais un produit intemporel, issu d’une belle histoire : celle de la passion d’un homme, mi-alchimiste, mi poète utopiste, pour les herbes de sa région. La machine économique nécessaire au fonctionnement de l’ensemble n’a pas sa place dans le décor. Mais en rachetant les parts de Natural en 1996, Reinold Geiger a tout de même prouvé que la finance seule n’est capable de rien ou de si peu : il lui faut la passion, une petite dose de chance et peut-être un peu de poésie justement.

[1] How L'Occitane went big in Japan, CNN.com, 11 janvier 2013
[2] L'occitane a fait des senteurs du sud un produit mondial, Les Echos.fr, 01 septembre 2011
[3] L'occitane a fait des senteurs du sud un produit mondial, Les Echos.fr, 01 septembre 2011
[4] Il vend la Provence, Le Point.fr, 23 septembre 2010
[5] L’Occitane, une histoire vraie, L’Occitane.com
[6] Historique de la fondation L’Occitane, Fondation L’Occitane.com
[7] Reinold Geiger (Président de l'Occitane) : "J'ai créé six entreprises : certaines ont marché, d'autres ont été des flops", Journal du net.com, 30 juin
[8] Site du Webmagazine En Provence
[9] Reinold Geiger, Forbes.com, mars 2013
[10] The Billionaire Behind L'Occitane's Asian Expansion, Forbes.com, 23 mars 2011
[11] Il vend la Provence, Le Point.fr, 23 septembre 2010
[12] L'Occitane réussit son introduction en Bourse, Le Figaro.fr, 30 avril 2010
[13] L'Occitane se lance à la Bourse de Hongkong, Le Figaro.fr, 26 avril 2010
[14] Il vend la Provence, Le Point.fr, 23 septembre 2010
[15] How An Austrian Made A Billion Selling Rural France To Asia, Forbes.com, 23 mars 2011
[16] "Notre meilleure contre-attaque, c'est notre présence en Chine", L’express L’entreprise.fr, 12 mai 2006
[17] L'Occitane se lance à la Bourse de Hongkong, Le Figaro.fr, 26 avril 2010

La Rédaction




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