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L’affaire du Médiator, le scandale sanitaire qui a ébranlé la confiance des patients à l’égard du monde médical




Vendredi 17 Avril 2020


Il y a dix ans, le monde médical tremblait après les révélations sur le Médiator. Responsable de plusieurs centaines de morts, ce scandale dévoilait surtout le pouvoir des lobbyistes pharmaceutiques encore sous-estimé. Récit.



La naissance du scandale sanitaire


Le 30 novembre 2009, l’AFSSAPS (Agence Française de Sécurité Sanitaire des Produits de Santé) prend la décision de retirer le Médiator du marché pharmaceutique après plus de trente ans de commercialisation. Ce médicament, à l’origine prescrit pour les patients souffrant du diabète, a été en réalité distribué plus largement à des millions de patients comme coupe faim. Malgré des premières alertes lancées dès 1999, ce médicament n’éveille pas tout de suite de soupçon.

C’est en juin 2010, avec la parution de son livre Médiator 150 mg ; Combien de morts ?, qu’Inès Frachon, pneumologue au CHU de Brest, tire la sonnette d’alarme. Selon elle, le Médiator est la cause de plusieurs centaines de morts (entre 500 et 2000 suivant les études). Elle établit un lien ténu entre la prise du médicament et des insuffisances cardiaques mortelles ainsi que de l’hypertension pulmonaire. Les laboratoires Servier sont le premier coupable.

Mais ce n’est pas tout. Quelques mois plus tard, en janvier 2011, l’IGAS (Inspection Générale des Affaires Sociales), expose au grand jour une faille dans le contrôle des médicaments. Elle accuse à son tour l’AFSSAPS d’un manque de vigilance auprès des laboratoires Servier. A ce moment-là, l’affaire prend un nouveau tournant.

Non seulement le groupe Servier est accusé, mais c’est aussi l’ensemble du monde médical qui est touché. La crise prend une ampleur considérable en révélant une double faille du côté des laboratoires et de l’Autorité de contrôle elle-même corrompue. Il s’agit de vite réagir pour éviter que cette crise ne ternisse durablement l’image du monde pharmaceutique. 


L’affaire est un véritable coup porté contre les laboratoires Servier


Cette entreprise créée et dirigée alors par Jacques Servier a le vent en poupe à l’époque et se classe au deuxième rang des laboratoires pharmaceutiques français. Pour éviter de perdre son rang, il lui faut donc rapidement gérer ce scandale sanitaire qui s’annonce menaçant. Mais sa communication est mauvaise.

Les laboratoires Servier commencent tout d’abord par censurer le sous-titre du livre d’Inès Frachon [« Combien de morts ? »], ce qui n’a pour effet que d’accroître les chefs d’accusations portés contre eux et de renforcer le succès du livre, au départ peu reconnu. Cette crise médiatique prend une nouvelle dimension.

Servier décide ensuite de gérer l’essentiel de la crise par le démenti ce qui leur sera fortement reproché. En effet, dès le début, ils réfutent les accusations, niant le lien de cause à effet entre la prise du médicament et les défaillances cardio-vasculaires. Selon eux, les études sont abusives voire fausses, leur médicament ne présentant aucun risque pour la santé. Pourtant les chiffres sont clairs. Pourquoi ne pas avoir alors reconnu les faits et présenté leurs excuses ?

Mais la crise ne s’arrête pas là et s’amplifie alors que le Système Servier est révélé au grand jour. Ce système consiste en un gros travail de lobbying directement auprès des professionnels de santé. Les laboratoires Servier financent entre autres de nombreux congrès médicaux en échange de la vente de leurs médicaments – en particulier le Médiator. Là encore, les faits sont contre eux.

Par ailleurs, l’affaire révèle que les laboratoires Servier avaient en réalité infiltré l’agence de contrôle AFSSAPS. Les experts de l’agence étaient rétribués par Servier en échange d’informations qui permettaient aux laboratoires de préparer sa défense. Comme l’écrit Inès Frachon, « le ver est dans le fruit » et les failles que révèlent l’affaire du Médiator sont beaucoup plus profondes qu’elles n’y paraissent.
 
L’absence de réaction des laboratoires Servier, la négligence des autorités de contrôle et la complaisance du corps médical choquent, jusqu’au gouvernement qui décide finalement d’intervenir. Xavier Bertrand alors ministre de la Santé rédige une loi pour favoriser la transparence entre les laboratoires pharmaceutiques et les médecins.


Dix ans plus tard, la crise est-elle réellement finie ?


La mauvaise gestion du scandale par Servier a profondément entaché l’image des laboratoires pharmaceutiques qui sont désormais regardés d’un œil méfiant par les patients. Et les 115 millions d’euros versés pour indemniser les victimes n’ont pas suffi à calmer le jeu. Le procès Servier s’est ouvert en septembre 2019 pour tromperie aggravée, escroquerie, blessures et homicides involontaires ainsi que trafic d'influence. L’AFSSAPS, depuis devenue ANSM (Agence Nationale de Sécurité du Médicament) est, elle aussi, poursuivie pour blessures et homicides involontaires.

Ce qui aurait pu être un scandale sanitaire parmi d’autres est en réalité devenue une affaire d’État qui a profondément marqué le monde médical.

Si la loi Bertrand a favorisé la transparence et l’indépendance des médecins, le manque de contrôle de l’application de cette loi a ouvert la voie à d’autres scandales qui se sont succédés ces dernières années : Lévothirox, les prothèses PIP, la Dépakine… L’affaire du Médiator reste cependant une crise sanitaire sans précédent qui a eu des retombées médiatiques colossales du fait de sa mauvaise gestion.

Capucine Corre




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