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La crise était presque parfaite : Jérôme Kerviel ou le revers de fortune




Mercredi 22 Avril 2020


Le 24 janvier 2008, en pleine crise des subprimes, la Société Générale doit avouer l’inavouable : une perte de 4,9 milliards d’euros sur les marchés, due aux agissements d’un seul homme. Le nom de Jérôme Kerviel, ce trader fort de seulement trois ans d’ancienneté marquera à jamais la banque française. En effet, une fois la stupeur dissipée, la question de la responsabilité des dirigeants est soulevée : les maîtres auraient-ils été dépassés par l’élève ?



La découverte d’une fraude financière historique
 
Le trader d’une trentaine d’années avait réussi à prendre des positions engageant 50 milliards d’euros, une somme dépassant le total des fonds propres de la Société Générale. Tant qu’il parvenait à faire fructifier sa fraude (à hauteur d’un milliard et demi d’euros en 2007), le jeune trentenaire s’attirait les éloges de sa hiérarchie. Mais quelques temps avant que le scandale n’éclate, il enchaîne les déconvenues sans parvenir à dissimuler ses pertes, ce qui finit par mettre en lumière ses agissements aux yeux de tous, le 18 janvier 2008. Dans un premier temps, la Société Générale espère pouvoir minimiser les pertes occasionnées par les activités frauduleuses du jeune trader en menant des opérations dans l’urgence afin de liquider des options, le 21 janvier, mais sans grand succès. Dès lors, cet acteur majeur de la place financière française et mondiale ne peut dissimuler les faits plus longtemps, sous peine d’ajouter une crise d’image et de confiance à la crise financière que connaissent toutes les entités financières depuis l’été 2007. Le silence n’est plus de mise. Il s’agit alors de sauver la crédibilité d’une banque qui a déjà suffisamment tardé à communiquer. Le 24 janvier 2008, l’affaire est divulguée, le coupable pointé et le contentieux initié. Celui que M. Bouton, alors PDG de la Société Générale, qualifie d’ « escroc, fraudeur, terroriste » semble être le coupable idéal. Au contraire, la banque qui a fait en sorte de minimiser les pertes pendant une semaine « dans le plus grand secret en respectant les règles de marché » tout en sécurisant « une augmentation de capital lui permettant faire face à ce choc », semble être la victime d’une terrible machination. Coupable, il l’est indéniablement, mais l’est-il isolément ? En effet, ses agissements ne visaient pas exclusivement son enrichissement personnel, mais ont également largement contribué à celui du groupe et c’est bien là le cœur du problème. La question qui émerge devient celle de la responsabilité du groupe qui aurait sciemment fermé les yeux sur le grain de sable qui se serait glissé dans ses rouages, venant à révéler les failles d’une mécanique en apparence si bien huilée.
 
Du coupable esseulé au maillon faible de l’entité
 
Dans un premier temps, le groupe tente d’imputer l’entière responsabilité à son salarié, mais la stratégie ne peut être que de courte durée. En effet, plusieurs managers (Luc François, Jean-Pierre Lesage, Christophe Mianné, Pierre-Yves Morlat) sont visés par des sanctions en raison de leur implication soupçonnée dans l’affaire. Un conseil d’administration est convoqué le 30 janvier 2008 dans l’urgence. Daniel Bouton n’est pas destitué, en dépit des nombreux reproches qui lui sont adressés, et un comité spécial d’administrateurs indépendants est institué pour gérer cette crise. Dans la continuité, la Banque base sa défense sur l’ignorance totale des agissements de son employé, sur son agile contournement des systèmes de sécurité de la banque et réaffirme ses positions en matière de transparence et de régulation. Alors que le procès fait rage, la Société Générale campe sur ses positions, s’adaptant tant bien que mal aux révélations qui se multiplient. Un onglet « Jérôme Kerviel » sera même mis en place sur le site de la banque afin d’expliquer point par point les tenants et les aboutissants de l’affaire, tout en limitant au maximum l’impact de l’affaire sur l’image de la banque, bien que cette dernière ne soit déjà largement entachée.
 
La remise en cause de tout un système
 
Les agissement d’un seul homme, plus ou moins dissimulés, ont non seulement touché les clients, dirigeants et employés, mais ils ont surtout ébranlé un système tout entier. En effet suite à la révélation de l’affaire Kerviel, la Société Générale s’est empressée de multiplier les réformes et mesures de sécurité : « La banque a revu sa politique de risques et renforcé les contrôles à tous les niveaux en investissant depuis 2008 plus de 200 millions d’euros pour renforcer la sécurité des activités de marché et améliorer l’efficacité opérationnelle. Les différentes fonctions de risques, conformité, audit et inspection ont également été renforcées pour l’ensemble des activités de la banque ». Ainsi, après avoir pointé un coupable et réaffirmé ses positions, la banque a voulu insister sur les leçons tirées d’un tel drame financier.
 
Ainsi, la crise n’a pas été évitée et a même heurté la Société Générale de plein fouet. Le cas fut très complexe à gérer du fait de la multiplicité des acteurs engagés, du contexte économique et financier de crise ainsi que de la renommée de l’entité impliquée. Néanmoins, ce qui aurait pu signer l’arrêt de mort du groupe (ciblé par de multiples rachats) n’a finalement été « qu’une mauvaise passe », bien que l’affaire Kerviel demeure une sujet sensible à de nombreux points de vue.

 
 

Constance Bouchard




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