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La malédiction du Boeing 737-Max




Mardi 14 Avril 2020


Un an après le deuxième crash d’un Boeing 737-Max, la commission américaine des transports et des infrastructures publie un rapport accablant mettant en lumière une « culture de la dissimulation » pratiquée par le constructeur ainsi qu’une série d’erreurs de conception de l’appareil ignorés par la surveillance fédérale américaine. Retour sur une crise d’une ampleur inédite dont l’avionneur américain n’est pas prêt de sortir.



Le 10 mars 2019, un avion de la compagnie Ethiopian Airlines, qui effectuait la liaison entre Addis-Abeba et Nairobi (Kenya), s’est écrasé à proximité de la capitale éthiopienne juste après son décollage. Les 149 passagers et 8 membres de l’équipage sont décédés au cours de l’accident.

Dans la nuit du 28 octobre 2018, un avion de la compagnie indonésienne Lion Air disparaissait en mer, à peine 13 minutes après son décollage de l’aéroport de Jakarta, causant la mort des 189 personnes présentes à bord.

Les données obtenues par un réseau de soixante-six satellites qui suivent le trafic aérien en temps réel montrent que les deux appareils ont connu plusieurs décrochages brusques juste avant le crash.
 
Quel lien entre ces deux drames qui semblent si similaires? Le B 737-Max, best-seller de l’avionneur américain Boeing. Ces accidents hors normes ont plongé ce géant de la construction aéronautique dans une crise sans précédent. L’accident intervient à un moment où le groupe Boeing est en pleine forme : il avait atteint en 2018 pour la première fois de son histoire le seuil symbolique des 10 milliards de dollars de chiffre d’affaires annuel. La polémique enfle : en juillet 2019 le groupe publie les plus mauvais résultats trimestriels de son histoire
 
L’annonce du double drame entraîne une réaction en chaîne 
 
Une réaction de défiance gagne peu à peu les états, le monde de l’aéronautique civile mais aussi les passagers des avions. À circonstances exceptionnelles, mesures exceptionnelles : dans la nuit qui suit l’accident, la Chine est le premier pays à demander à ses compagnies aériennes de suspendre les vols devant être opérés avec cet appareil. Quelques heures plus tard, elle décide même de « les clouer au sol ». C’est ensuite au tour de l’Éthiopie de faire de même. Suivront l’Indonésie, la Corée du Sud, des pays européens comme la Grande Bretagne et bien d’autres encore. C’est ainsi qu’au lendemain du drame, le lundi 11 mars 2019, le cours des actions de Boeing a déjà perdu 12% lors la bourse de Wall Street ouvre. Pour Boeing, l’addition est salée : 371 appareils actuellement cloués au sol, et un coût estimé à plus d’un milliard de dollars, sans compter le coût de stockage d’une centaine d’appareils en attente de livraison.
 
Les ingrédients d’un scandale médiatique 
 
Au lendemain de l’accident d’Addis-Abeba, le président des États-Unis Donald Trump donne à voir le tournant médiatique qu’est en train de prendre la crise en publiant un Tweet qui pose la question suivante : «les avions ne sont-ils pas devenus trop complexes pour être pilotés ? ». Cette intervention n’est pas propice à rassurer des passagers déjà suspicieux suite au drame. Les défunts proviennent de 35 nationalités différentes : les vols tragiques d’Ethiopian Airlines et de Lion Air ont donc eu un retentissement international.
Les médias s’emparent alors de l’affaire. Que s’est-il passé au cours de cette matinée du 10 mars ? Qui sont les responsables de ce drame ?

D’après les échanges enregistrés, il semblerait que dès le décollage rien ne se soit passé comme prévu. Les contrôleurs observent que l’avion ne semble pas suivre la trajectoire classique. Le commandant de bord a d’abord contacté par radio la tour de contrôle pour lui indiquer qu’il souhaitait faire demi-tour suite à des difficultés de vol. Suite à ce demi-tour, une perte d’émission est constatée et l’avion n’a plus jamais répondu.

L’image de Boeing a été durablement ternie par ces crashs et par les scandales qu’ils ont révélés, bien au-delà du 737-Max. Chaque nouvelle enquête révèle de nouveaux défauts concernant la préparation des process de Boeing, avec notamment la défaillance du système logiciel MCAS (Maneuvring Characteristics Augmentation System).

Pour Bertrand Vilmer, pilote d’essai, ingénieur et expert de justice aéronautique et spatiale « il y a eu des incidents bien plus graves en termes de nombres de morts, mais celui-ci est composé de trois éléments inédits : un contexte économique acharné, un contexte technique : celui du défaut de conception, de certification et un défaut de procédure, ce qui est assez incroyable. ». Cela en fait donc un événement hors normes dans l’histoire récente de l’aviation civile.
 
Des attitudes opposées entre les compagnies aériennes impliquées et le géant américain de l’aéronautique : éviter ou subir la crise ?
 
Tout de suite après l’accident, la compagnie d’aviation éthiopienne se défait de toute responsabilité en accusant le système de sécurité défaillant mis au point par Boeing. Elle insiste sur la grande expérience des pilotes à bord du vol qui avaient de longues heures de vol à leur actif. Ethiopian Airlines affirme dans un communiqué : « ils ont suivi à la lettre les procédures recommandées par Boeing, sans succès » et se dit fière de ses pilotes.

Au contraire, Boeing choisit de ne pas communiquer immédiatement sur le crash et déserte l’espace médiatique. Tout au long de l’affaire, la ligne de conduite du groupe consiste à faire profil bas et à reconnaitre petit à petit et du bout des lèvres les erreurs qui ont pu être commises. Les dirigeants tentent de faire bonne figure en donnant toutes les assurances possibles sur leur capacité à remettre le plus vite possible le 737 Max en service. Il faut attendre neuf jours après le crash pour que Dennis Muilenburg, alors PDG du groupe, s’exprime publiquement. Il déclare que Boeing a pris des mesures pour assurer pleinement la sécurité du B-737 Max et annonce également que la mise à jour du logiciel d’aide au pilotage sera bientôt disponible. En effet, le logiciel MCAS utilisé à bord de ces appareils et incriminé par les rapports d’expertise laisse peu de place à l’erreur. D’où la nécessité d’une formation complète des pilotes qui en prennent les commandes, prônée par l’agence européenne et l’agence brésilienne de sécurité aérienne avant le drame. A l’époque, la FAA (federal aviation administration) et Boeing avaient affirmé que cette formation n’était pas nécessaire puisqu’elle constituait un désavantage dans le cadre de la compétition avec Airbus. En effet, cette crise est d’autant plus grave pour le groupe que cet avion représentait l’atout majeur de la stratégie de conquête du ciel de Boeing. Seul avion de taille à concurrencer l’Airbus A-320, le 737-Max était l’avion le plus vendu de l’ère moderne de l’aéronautique civile et l’un des modèles favoris des compagnies low cost au niveau mondial. Les détracteurs de Boeing dénoncent la précipitation qui caractérise le lancement de cet avion, en réponse à une progression rapide de la part de marché d’Airbus.
 
Aujourd’hui, la remise en service de l’avion reste incertaine. Boeing arrivera-t-il à mettre derrière lui l’épisode dramatique du 737- Max ? Rien n’est moins sûr à l’heure de la crise de l’aviation mondiale provoquée par l’épidémie du Corona Virus. L’avion est toujours persona non grata des compagnies aériennes mondiales.

Diane de Bantel

Dans cet article : 737 MAX, Boeing, gestion de crise



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