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Le gouvernement traine Shein au tribunal pour obtenir sa suspension




Mardi 25 Novembre 2025


Mercredi 26 novembre à 11 heures, Shein comparait au tribunal judiciaire de Paris. Une audience très attendée, que le gouvernement présente presque comme un acte fondateur : celui où l’État, enfin, tape du poing sur la table face au géant chinois de l’ultra-fast-fashion.

Mais derrière la démonstration d’autorité, un malaise pointe : cette offensive spectaculaire ressemble autant à un sursaut tardif qu’à une opération politique. Et elle dit beaucoup, aussi, de nos propres contradictions de consommateurs.



Un feu roulant de procédures, déclenché en quelques semaines

 

 

 

Bercy le revendique : « un arsenal ». Pas moins de quatre procédures engagées contre Shein en parallèle.

D’abord sur le terrain pénal, avec des accusations lourdes (allant jusqu’à la vente de contenus pédopornographiques, d’armes ou de médicaments). Ensuite via la loi sur la confiance dans l’économie numérique, qui permet d’exiger des mesures d’urgence — c’est dans ce cadre que se tient l’audience du 26 novembre.

 

L’État demandera une suspension d’au moins trois mois de la plateforme. Rien que ça.

À cela s’ajoutent une procédure administrative pouvant aller jusqu’au déréférencement du site, puis un signalement auprès de la Commission européenne, qui pourrait infliger des sanctions XXL : jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial.

 

Un tir groupé. Impressionnant. Peut-être trop ?

 

Une sévérité soudaine… pour l’enseigne préférée des Français il y a un an

 

 

Le contraste choque : Shein était, en 2024, l’enseigne préférée des Français.

Devant Zara, devant H&M, devant Kiabi, devant tout le monde.

 

Une marque adulée par les adolescents, les étudiants, les familles modestes.

Et soudain, en novembre 2025, l’État voudrait suspendre l’ensemble du site.

 

Bien sûr, Shein n’est pas un enfant de chœur : manque de contrôle, contrefaçons, opacité totale sur les conditions de production, avalanche de micro-produits souvent dangereux ou non conformes. Mais on ne peut s’empêcher de remarquer que ce discours sur la “fast-fashion qui nous empoisonne” arrive tard, très tard.

 

D’autant que cela fait vingt ans que les Français achètent de la fast-fashion de qualité médiocre provenant de Turquie, du Maroc, du Bangladesh ou du Pakistan… dans leurs supermarchés, sans que l’État n’ait jamais lancé un plan d’urgence comparable.

 

Alors pourquoi maintenant ? Pourquoi ainsi ? Et pourquoi uniquement Shein ?

 

 

Une méthode qui interroge : frapper très fort, très vite, sans transition

 

 

La procédure accélérée du 26 novembre ressemble à une démonstration de force plus qu’à un travail régulateur ordinaire.

Shein a d’ailleurs, sous pression, coupé elle-même toute sa marketplace, ne laissant en ligne que ses propres produits. Le gouvernement s’en félicite… avant d’y voir un aveu de faiblesse : « un signe qu’ils ne maîtrisent rien ».

 

Mais faut-il se réjouir qu’une plateforme supprime 90 % de son offre en 48 heures parce qu’un gouvernement le demande ?

Ou s’inquiéter d’une forme de régulation par l’effet de panique ?

 

Car l’enjeu dépasse Shein : la méthode fait jurisprudence.

Demain, quelle plateforme peut se voir supprimer l’accès ? Sur quelles bases ? Avec quel débat démocratique ?

 

 

Une contradiction française : dénoncer le modèle… tout en l’ayant nourri

 

 

L’État accuse Shein d’avoir « intégré les manquements à son business model ».

C’est vrai.

Mais notre économie de consommation rapide — et nos prix plancher imposés par les distributeurs français — repose exactement sur la même mécanique :

 

  • production low-cost,

  • contrôles insuffisants,

  • cycles de renouvellement ultra-rapides,

  • marges écrasées sur les producteurs,

  • délocalisation XXL.

 

 

Shein n’a pas inventé la fast-fashion : il l’a poussée à son extrême numérique.

Et si Shein prospère, c’est parce que le marché français a été éduqué à cette culture du vêtement jetable depuis deux décennies. Y compris via des enseignes bien françaises.

 

 

Un gouvernement qui veut frapper un symbole… plus qu’un système ?

 

 

L’offensive de Bercy vise clairement une cible politique facile :

 

  • étrangère,

  • chinoise,

  • détestée par les marques européennes,

  • et coupable d’excès flagrants.

 

 

Mais en s’acharnant uniquement sur Shein (et, dans une moindre mesure, Temu ou AliExpress), le gouvernement évite soigneusement la discussion qui fâche :

la fast-fashion low-cost est d’abord notre propre modèle de consommation.

 

Suspension trois mois ? Déréférencement ? Blocage du nom de domaine ?

 

On parle ici de mesures qui, si elles étaient appliquées à tous les acteurs du secteur selon les mêmes critères, videraient la moitié des rayons textiles français.

 

 

Le 26 novembre, une audience très juridique… mais un débat très politique

 

Mercredi, le juge ne tranchera pas sur l’avenir de la fast-fashion en France.

Il dira simplement si Shein doit être suspendu en urgence, et sous quelles conditions elle pourrait rouvrir.

 

Mais l’essentiel est ailleurs :

l’audience révèle un gouvernement qui tente de reprendre le contrôle d’un phénomène que les consommateurs ont déjà tranché — ils veulent du pas cher, vite, tout le temps.

 

Et maintenant que le modèle explose avec Shein, l’État découvre qu’il est difficile de réguler une demande qu’on a laissé prospérer pendant vingt ans, voire même, que l'on a promu, sous prétexte de défendre le sacro-saint pouvoir d'achat des Français... 


Jean-Baptiste Giraud




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