Carnets du Business


           

Questions à Philippe Guézenec, Associé fondateur de Easton Corporate Finance




Mardi 29 Novembre 2011


Le rôle des banques d'affaires (ou "corporate banking") est encore méconnu, en ceci qu'on les assimile souvent, à tort, aux établissements financiers ayant une activité de dépôt, de crédit, ou de marché (on les confond encore régulièrement avec les banques dites "d'investissement"). Spécialisées dans le conseil et la négociation en fusions & acquisitions, la mission d'une banque d'affaires consiste en réalité à accompagner ses clients, souvent sur le long terme, dans les aspects juridiques, financiers et stratégiques de leurs opérations de haut de bilan. Philippe Guézenec, associé fondateur de la banque d'affaires indépendante Easton Corporate Finance, a accepté de nous éclairer sur les enjeux et les spécificités du corporate banking.



Carnets du Business: Philippe Guézenec, qu’est-ce qui vous amené, à votre sortie de Sciences Po, à vous intéresser à la banque d’affaires ?

Philippe Guézenec: A la sortie de Sciences Po, je me suis tout d’abord orienté vers l’audit, et j'ai intégré le Cabinet américain Coopers & Lybrand, devenu depuis PWC. J’y ai retrouvé à la fois l’esprit d’équipe (tant dans les activités professionnelles que dans les nombreuses courses à la voile que sponsorisait C&L…) et l’attrait pour la finance d’entreprise. Au cours d’une de mes missions, j’ai croisé les équipes de la Banexi (banque d’affaire de la BNP) que j’ai rejointes peu de temps après. Au-delà de la finance pure, rejoindre une banque d’affaires me tentait afin d’élargir la connaissance des entreprises en intégrant les dimensions stratégique, juridique, ou fiscale. J’ai eu la chance d’y rencontrer des grands professionnels, notamment dans le domaine de l’agroalimentaire, en travaillant sur des dossiers tels que les épices Ducros ou la cession de la salaison sèche du Groupe Fleury Michon par exemple.

Avec 22 ans d’expérience dans la banque d’affaires, comment avez-vous vu ce métier évoluer et se structurer ? Avez-vous constaté des comportements dommageables pour votre profession ?

Questions à Philippe Guézenec, Associé fondateur de Easton Corporate Finance
Depuis plus de 20 ans nous avons assisté à une grande mutation dans le domaine des banques d’affaires, avec une dichotomie de plus en plus marquée entre les banques dites « commerciales » dont le métier principal est la délivrance de crédit aux entreprises et aux fonds d’investissements d'un côté, et les banques d’affaires spécialisées, de l'autre, qui ne vendent que leurs conseils en dehors de tout conflit d’intérêt.

Cette indépendance des banques d’affaires est particulièrement appréciée par les dirigeants d’entreprise qui attendent un véritable accompagnement en toute transparence. Force est de constater que les banques d’affaires indépendantes telles que Rothschild, Lazard, ou plus récemment Easton, occupent ce positionnement en apportant de plus une expertise dans l’optimisation des différentes formes de financement que les banques « commerciales » ont bien du mal à proposer. Les conflits d’intérêt que pouvaient receler les opérations de grandes banques au cours des années 90 ou, plus récemment, sur des transactions tels que Hermès/LVMH, devraient conduire à une plus grande segmentation des types d’intervention.

Associé d’un grand établissement international, vous avez choisi la voie de l’entrepreneuriat en créant la banque d’affaire Easton Corporate Finance il y a près d’un an. Pourquoi ce choix ? Quelles activités recouvre votre banque ?

Les acquisitions ou cessions d’entreprises se multiplient, et surtout, se complexifient un peu plus tous les jours. Le métier de banquier d’affaire, tel que je l’entends, nécessite de pouvoir afficher une très grande indépendance. Ceci ne peut plus se faire dans le cadre de grands établissements bancaires confrontés régulièrement à des problèmes de rentabilisation de leur relation clients.

En créant Easton Corporate Finance fin 2010, j’ai voulu retrouver cette liberté d’action propre à un conseil indépendant qui construit sa relation avec ses clients sur la durée. Dès la création d’Easton, l’objectif de l’équipe était d’être suffisamment nombreux (15 seniors dès l’origine) pour offrir une qualité de service inégalée, mais aussi une ouverture réelle sur l’international car les problématiques de nos clients et prospects traversent les frontières.

Quel est, selon vous, le rôle fondamental d’une banque d’affaires ?

Outre sa forte implication dans l’identification des contreparties (acheteurs ou vendeurs), dans l’optimisation des montages retenus, ou dans la négociation par exemple, le banquier d’affaires joue également de plus en plus le rôle d’un « chef d’orchestre » au milieu de différents conseils (avocats, conseil en stratégie, etc.) et banquiers prêteurs pour optimiser les conditions de la transaction pour son client.

Il doit rester l’interlocuteur privilégié - pendant les bons et mauvais moments - du dirigeant ou des actionnaires, dans leur réflexion concernant l’évolution du capital d’une affaire ou d’un groupe. Le banquier d’affaire ne peut plus être considéré comme « un homme de coup qui disparaît après le closing » mais comme un partenaire « agitateur d’idées et apporteur de solutions » face aux interrogations du chef d’entreprise. Chez Easton Corporate Finance, nous pouvons nous enorgueillir d’avoir plus de la moitié de nos missions qui proviennent de clients que nous suivons depuis plus de 10 ans. Nous les accompagnons sur le long terme pour des transactions de quelques dizaines à plusieurs centaines de millions d’euros.

Comment les associés d’EASTON gèrent-ils la segmentation sectorielle que vous affirmez ?

Chacun des associés d’Easton Corporate Finance a développé depuis de nombreuses années des compétences sectorielles pointues. Les secteurs « historiques » sont la santé, les services BtoB, l’immobilier/construction et bien évidemment les biens de consommation/distribution. Notre réseau international nous apporte de plus une exposition accrue vers des segments porteurs tels que les TMT ou l’énergie, par exemple.

Comment gérez-vous la nécessaire internationalisation de votre métier ?

Nous avions, à la création d’Easton Corporate Finance, comme priorité d’être très ouverts sur l’international. De ce fait, nous avons noué ou renoué très vite des partenariats très forts avec des équipes de F&A que nous connaissions depuis longtemps en Europe, mais aussi en Asie et aux Etats-Unis, et qui partagent la même philosophie que nous. Aujourd’hui la quasi-totalité de nos mandats intègre, d’une manière ou d’une autre, cette dimension internationale.

Très concrètement, comment l'avantage d'avoir une banque d’affaire à ses côtés lors d’une opération touchant à son capital, se manifeste-t-il pour le dirigeant?

Avoir une bonne banque d’affaire indépendante à ses côtés est un gain et une opportunité pour le dirigeant ou l’actionnaire. Etant indépendant, le banquier d’affaires doit tout d’abord être en mesure de dire non à son client. Il m’est ainsi arrivé de m’opposer à une acquisition envisagée par un client acheteur pourtant très motivé. Les « Due Diligence » recelaient des zones de risque trop élevées au regard de l’intérêt stratégique de l’opération envisagée. Ce type d’attitude permet de construire une relation de confiance sur le long terme.

Concernant le coût d’intervention d’une banque d’affaires, il reste malgré tout très limité. Par exemple dans une mission de cession, le banquier d’affaires peut, à travers sa connaissance intime du secteur dans lequel intervient la société mise en vente, identifier les quelques acquéreurs susceptibles d’offrir les meilleurs conditions. En approchant un nombre limité de candidats motivés, la confidentialité est maximisée, le temps du dirigeant épargné et les conditions d’une transaction (le prix des titres mais aussi les détails de la garantie de passif, etc.) optimisée.

Quelle empreinte Philippe Guézenec souhaite-t-il laisser dans la banque d’affaires ?

Le tissu industriel français reste constitué de trop petites entreprises en comparaison avec nos voisins allemands ou anglais, et les banques d’affaires doivent contribuer à des rapprochements créateurs de valeur. Ainsi, en accompagnant sur plusieurs années des groupes ambitieux, le banquier d’affaires est partie prenante de leur réussite. La participation à la constitution de pôles de regroupement ou de filières fortes au plan européen peut constituer un objectif pour un banquier d’affaires. Nous avons ainsi contribué à la constitution de groupes puissants dans le domaine des cliniques privées en France, ou accompagné des acteurs tel que Sofiprotéol dans différentes transactions, dont le rachat des huiles Lesieur puis des huiles d’Olives Puget, ce qui a permis de constituer un acteur leader de la filière oléagineuse en Europe.

De même, l’obtention des solutions de financement très atypiques auprès de groupes asiatiques pour sauver un des fleurons de l’industrie viticole française reste une mission dont je suis très fier. Enfin, et en tant que breton, je suis particulièrement sensibilisé à l’avenir des sociétés du « Grand Ouest », et je tente de contribuer au développement de ma région d’origine, que ce soit dans la filière porcine qui souffre beaucoup actuellement, ou dans toutes les activités liées à la mer.

La Rédaction




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