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Sclérose en plaques : le masitinib, game changer pour les patients et pour le marché ?




Vendredi 6 Mars 2020


C’est une avancée scientifique majeure et un succès important pour AB Science : le masitinib, sa molécule phare, au mode d’action unique, vient de réussir les essais cliniques de phase 3 pour les formes progressives de la SEP, qui restent jusqu’ici quasiment orphelines de traitements.



2,5 millions de personnes dans le monde, dont environ 500 000 en Europe et autant aux Etats-Unis, vivent avec la sclérose en plaques (SEP, ou MS pour multiple sclerosis en anglais). En France, la maladie affecte plus de 100 000 patients. Diagnostiquée généralement entre 20 et 40 ans et touchant trois fois plus les femmes que les hommes, c’est la deuxième cause de handicap chez les jeunes adultes après les accidents de la route. Cette pathologie neurodégénérative peut porter atteinte à toutes les fonctions du système nerveux central : sensibilité, vision, motricité, parole, mémoire... Maladie auto-immune, elle est causée par un dysfonctionnement du système immunitaire, qui se met à attaquer la myéline, la gaine protectrice des neurones, entraînant un blocage de la transmission de l’influx nerveux et une neurodégénérescence (1).
 
Dans 85 % des cas, la SEP évolue d’abord par poussées, suivies de périodes de rémission durant lesquelles les symptômes disparaissent ; on parle de forme « récurrente rémittente » (RRMS). Mais dans 15 % des cas, la maladie se caractérise par une aggravation constante des symptômes dès leur apparition, sans poussées ni rémissions ; elle est qualifiée de « progressive primaire » (PPMS). Le plus souvent, au bout de plusieurs années, les patients atteints de la forme récurrente rémittente basculent dans une forme « secondairement progressive » (SPMS), marquée par une augmentation continue de l’invalidité. Une SPMS qui peut elle-même prendre deux formes : « active » si elle suit le même cycle de poussées et de rémissions que la forme rémittente, ou « non active » (nSPMS) lorsqu’elle évolue de manière continue comme la SEP progressive primaire. Cette dernière forme affecte 30 à 35 % des personnes atteintes de SEP (2).
 

Un vrai besoin de traitements pour les formes progressives
 
La plupart des traitements disponibles contre la maladie visent à réduire l’agressivité du système immunitaire contre le système nerveux. Il s’agit d’immunomodulateurs, peu toxiques et d’efficacité modérée, prescrits en première intention, ou d’immunosuppresseurs, utilisés en cas d’échec des premiers, mais dont le niveau de toxicité est plus élevé (3). Pour la forme rémittente, il existe une dizaine de traitements disponibles, qui peuvent permettre aux malades, même s’ils sont handicapés, de limiter la perte de leur espérance de vie à sept ans en moyenne ; la forme secondairement progressive active de la maladie étant traité à peu près de la même manière. Mais il n’existe aujourd’hui qu’un nombre très restreint de médicaments disponibles pour les SEP progressive primaire et secondairement progressive non-active de la maladie (4).
 
Seul un produit est enregistré dans la première – l’ocrelizumab de Roche – et deux pour la seconde – l’ocrelizumab et le siponimod de Novartis. Preuve de l’importance du besoin médical, l’ocrelizumab a réalisé un chiffre d’affaires de 2,9 milliards de dollars en 2018 pour sa première année pleine de commercialisation et fait déjà partie des blockbusters de Roche (5). Agissant en inhibant l’activité du système immunitaire, ces deux médicaments présentent néanmoins une certaine toxicité qui limite leur utilisation pour une durée supérieure à trois ans. Ce qui pose problème pour traiter une maladie chronique comme la sclérose en plaques.
 
Pour toutes les formes de SEP sans rémission, les attentes sont donc très importantes et le marché énorme. En Europe, le nombre de patients à traiter atteindrait 90 000 pour la PPMS et 260 000 pour la nSPMS. Et aux Etats-Unis, les chiffres seraient respectivement de 55 000 et de 170 000 personnes. Avec une hypothèse de prix de 60 000 € par an, le potentiel total pour ces deux grands marchés atteindrait donc 35 milliards de dollars.
 

« Une avancée scientifique majeure »
 
Parmi les innovations les plus prometteuses pour pallier ce déficit de traitements, le masitinib, développé par la biotech française AB Science, figure en première ligne. Ce nouveau médicament potentiel, au mode d’action unique, vient de passer avec succès les essais cliniques de phase 2B/3 – étape ultime avant l’autorisation de mise sur le marché – dans les formes progressives de la sclérose en plaques (PPMS et nSPMS), comme l’a annoncé AB Science, le 20 février dernier. Dans cette étude, menée auprès de 301 patients traités pendant 96 semaines (200 avec le masitinib et 101 avec un placebo), le masitinib, à la dose de 4,5 mg/kg/jour, a significativement ralenti la progression du handicap, mesurée par la durée pour atteindre un score EDSS de 7.0 (Expanded Disability Status Scale) – qui correspond à un handicap suffisamment grave pour que le patient se déplace avec un fauteuil roulant (6). La tolérance au traitement s’est révélée conforme au profil de risque connu du produit.
 
« Les patients atteints de sclérose en plaques progressive primaire (PPMS) et de sclérose en plaques secondairement progressive non-active (nSPMS) représentent la moitié de la population atteinte de sclérose en plaques. Bien que de nombreuses options thérapeutiques basées sur le ciblage des cellules B et des cellules T du système immunitaire acquis sont disponibles pour les patients atteints des formes rémittentes de la sclérose en plaques, ces traitements ont échoué ou n’ont pas obtenu de résultats concluants dans la PPMS et la nSPMS. Par conséquent, il existe toujours un besoin médical très important dans ces deux indications », explique le professeur Patrick Vermersch, directeur du département de neurologie à l’Université de Lille et coordonnateur de cette étude clinique.
 
« Les résultats de cette étude constituent une avancée scientifique majeure dans la mesure où c’est la première fois que cette nouvelle stratégie de ciblage du système immunitaire inné, via les mastocytes et la microglie, a significativement ralenti la progression du handicap clinique dans les formes progressives de sclérose en plaques », estime ce spécialiste de la maladie, qui a également été l’un des leaders du développement et de l’enregistrement de l’ocrelizumab (Roche).
 

Un positionnement unique, un potentiel considérable
 
Petite molécule de synthèse, le masitinib est un nouvel inhibiteur de kinases sélectif qui cible certaines cellules du système immunitaire – mastocytes et cellules microgliales – et inhibe ainsi l’activation du processus inflammatoire (7). Administré par voie orale, il génère un effet neuroprotecteur et ralentit la neurodégénérescence. Son mode d’action original se distingue de ceux des traitements déjà autorisés contre la sclérose en plaques qui, pour la plupart, ciblent les lymphocytes T (produits utilisés dans la forme rémittente) et les lymphocytes B (ocrelizumab dans les formes progressives), ou stimulent les interférons. Il présente le double intérêt de s’attaquer aux deux formes progressives de la maladie qui souffrent jusqu’ici d’un manque cruel de solutions thérapeutiques et d’autoriser, compte tenu de sa toxicité limitée, des traitements de longue durée (supérieurs à dix ans), nécessaires à la prise en charge de cette maladie chronique.
 
En raison de son mode d’action unique, le masitinib peut être développé dans un grand nombre de maladies inflammatoires, certaines maladies du système nerveux central, et même en oncologie. Cette annonce sur la SEP marque un deuxième succès majeur pour le programme neurologie d’AB Science. La biotech française a en effet déjà publié des résultats de phase 3 positifs dans la sclérose latérale amyotrophique (SLA), également connue sous le nom de maladie de Charcot (8). Parallèlement, AB Science attend, d’ici la fin du premier trimestre 2020, les résultats de son étude de phase 3 dans la maladie d’Alzheimer, menée sur 720 patients. En juin 2019, une analyse intérimaire, réalisée sur 75 % des patients, a montré que la probabilité de succès de cet essai clinique était supérieure à 80 % pour l’une des deux doses testées (9).
 
« Ce résultat positif dans les formes progressives de la sclérose en plaques constitue une nouvelle donnée clé qui valide encore davantage le mécanisme d’action du masitinib dans les maladies neurodégénératives (10). Il s’agit en effet de la seconde preuve apportée par le programme de développement du masitinib, après l’étude de phase 2B/3 positive du masitinib dans la SLA (11) », a ainsi souligné le professeur Olivier Hermine, président du comité scientifique d’AB Science et membre de l’Académie des Sciences. « Ces deux études démontrent clairement que le ciblage du système immunitaire inné via les macrophages/la microglie et les mastocytes – mécanisme d’action du masitinib – semble être l’une des stratégies pertinentes pour traiter les troubles dégénératifs ».
 
Si ces résultats positifs se traduisent prochainement par une autorisation de mise sur le marché, AB Science pourrait prendre une avance décisive dans la course à l’innovation qui caractérise aujourd’hui le marché en pleine effervescence des médicaments contre la sclérose en plaques. Au lendemain de l’annonce d’AB Science, l’action de la biotech française a d’ailleurs bondi de 26 % et a même enregistré une progression de 215 % depuis mi-novembre 2019 (12).
 


H K



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