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Doctolib : l’Autorité recadre les pratiques de la e-santé




Jeudi 6 Novembre 2025


Doctolib a été condamnée à 4,665 millions d’euros pour abus de position dominante. Une décision qui secoue le secteur de la e-santé et interroge la stratégie de croissance d’un acteur devenu incontournable. Entre exclusivités, intégration de services et acquisition de MonDocteur, l’affaire éclaire les tensions entre innovation, leadership et encadrement des plateformes.



Un modèle de croissance bousculé par les accusations d’exclusivité et de verrouillage

L’Autorité de la concurrence reproche à Doctolib d’avoir utilisé des pratiques contractuelles jugées restrictives, comme des clauses d’exclusivité et des ventes liées entre ses différents services. Ces mécanismes, encore en vigueur jusqu’en septembre 2023, obligeaient parfois les soignants à souscrire au module Doctolib Patient pour accéder à la téléconsultation. Pour l’Autorité, ce système renforçait artificiellement la position de la plateforme et limitait la capacité des concurrents à se développer. Des documents internes, cités dans la décision, évoquent même l’objectif explicite de « ne laisser aucun cabinet à la concurrence », une phrase rare dans un dossier de droit de la concurrence et qui a pesé dans l’analyse.

Ces pratiques interrogent directement le modèle économique de Doctolib, fondé sur l’intégration poussée de ses différents modules et sur des effets de réseau puissants. Depuis 2017, l’entreprise dépasse 50 % de parts de marché dans la prise de rendez-vous en ligne, avec des pics atteignant 90 % selon les périodes. En téléconsultation, elle dépasse 40 % depuis 2019. Ces niveaux traduisent à la fois une adoption massive par les patients et une dépendance croissante des cabinets à un outil devenu central dans leur organisation quotidienne. Doctolib conteste toutefois la lecture de l’Autorité et affirme n’équiper que 30 % des soignants français, un argument qu’elle compte porter en appel.

L’affaire MonDocteur et l’enjeu stratégique : consolider ou fragmenter le marché ?

La sanction vise également le rachat de MonDocteur en 2018, réexaminé aujourd’hui à la lumière de la jurisprudence Towercast qui permet de sanctionner a posteriori une acquisition sous seuils lorsqu’elle renforce une position dominante. Pour l’Autorité, la disparition de ce concurrent direct a contribué à réduire la diversité des solutions accessibles aux professionnels, dans un marché où les effets de réseau rendent chaque acteur très dépendant de la taille de sa base utilisateurs. Même si la sanction spécifique reste limitée à 50 000 € en raison de l’incertitude juridique existante en 2018, le signal envoyé au marché est clair : les acquisitions, même anciennes, peuvent désormais être réévaluées dans le contexte des plateformes numériques.

Cette affaire ouvre une nouvelle phase pour le secteur business de la e-santé. D’un côté, la décision rappelle que les stratégies d’intégration verticale et d’extension rapide peuvent être perçues comme des tentatives de verrouillage lorsqu’elles sont combinées à une forte présence sur le marché. De l’autre, elle met en lumière la difficulté pour les startups et scale-ups de la santé numérique de croître dans un environnement où les effets de réseau favorisent les leaders établis. Doctolib devra désormais composer avec un cadre plus strict, tout en poursuivant une croissance essentielle pour moderniser l’organisation des soins.

Adélaïde Motte

Dans cet article : amende, concurrence, numérique, santé



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